Franck Crudo : « Les bons sentiments ne font pas une politique », écrivez-vous. Ou encore : « Entre la loi de la jungle et la loi de l’amour il y a la loi tout court. Entre l’angélisme et la barbarie, il y a la politique. » Face à la barbarie justement, la négation du réel au nom d’un idéal comme dirait Nietzsche ou encore le politiquement correct ne deviennent-ils pas aussi dangereux que le politiquement abject ?
André Comte-Sponville : Quand bien même ils seraient aussi dangereux, ils n’en seraient pas pour autant aussi haïssables ! Qu’est-ce que le politiquement correct ? Une police de la pensée, le plus souvent intériorisée, qui interdit de dire ce qu’on croit vrai quand cette vérité ne correspond pas à ce qu’on voudrait qu’elle soit ou à ce qui serait, aux yeux de la pensée dominante, moralement ou politiquement souhaitable. C’est confondre le réel et le bien, la vérité et la valeur, au bénéfice de ces derniers. C’est moins la voix de la majorité que celle des élites réelles ou prétendues. Moins une langue de bois, contrairement à ce qu’on dit parfois, qu’une langue de coton – matériau plus doux, comme chacun sait, mais presque aussi difficile à avaler ! Par exemple il est politiquement correct de dire que l’islamisme radical n’a rien à voir avec l’islam, qui est une religion de paix et d’amour. Que ce soit souhaitable, c’est bien clair. Mais est-ce vrai ? Peu importe : il est politiquement correct de le dire… Même chose pour l’immigration : il est politiquement correct de dire qu’elle est une chance pour la France, pas du tout un problème. Comme si elle ne pouvait pas être les deux à la fois ! Mais le réel se venge : à force de refuser d’entendre ceux qui jugeaient que l’immigration extra-européenne, même nécessaire, posait un certain nombre de problèmes, on a fini par les pousser vers le parti qui prétend, bien sûr à tort, qu’elle est la source de tous nos maux ! Le politiquement correct, qui dénie les problèmes, fait le jeu du populisme, qui les hystérise. Et comme le politiquement correct, en France, est plutôt de gauche (parce que la gauche est surreprésentée dans le microcosme médiatique), il finit par faire le jeu de la droite dure, voire de l’extrême droite. C’est une raison supplémentaire de le combattre.
« Ceux qui prétendent qu’il n’y a “aucun rapport” entre le djihadisme et l’islam nient l’évidence »
Vous soulignez que le concept d’islamophobie est piégé parce qu’il a deux sens possibles (le racisme antimusulman, lequel est inadmissible, ou bien la critique d’une idéologie religieuse, laquelle est nécessaire) et que l’islam a bel et bien un rapport avec l’islamisme. Une idéologie – qu’elle soit politique ou religieuse – qui sécrète autant d’antisémitisme, de sexisme, d’homophobie, d’intolérance et qui soumet à ce point la raison à la foi est-elle compatible avec les valeurs de la République ou des Lumières ?
On a le droit, dans nos pays, d’être anticommuniste, antifasciste ou antilibéral. Pourquoi n’aurait-on pas le droit de s’opposer pareillement à telle ou telle religion, par exemple au judaïsme, au christianisme ou à l’islam ? Mais la frontière est souvent ténue entre l’antijudaïsme et l’antisémitisme, comme entre l’islamophobie et le racisme antimusulman. Il importe donc de rester doublement vigilant, pour préserver la liberté de l’esprit (on a le droit de critiquer toute idéologie, qu’elle soit religieuse ou pas) sans cesser de combattre le racisme, sous toutes ses formes. Notons d’ailleurs que le racisme antimusulman, en France, est très loin d’être le plus virulent. Un noir catholique ou un arabe athée seront beaucoup plus souvent victimes du racisme qu’un musulman de type européen ! Ce n’est pas une raison pour cesser de combattre ce racisme-là, mais arrêtons d’en faire l’essentiel.
Lisez la suite de l’entretien sur son lien d’origine.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !