Mouvement contre les retraites, le point d’étape du « rouge » de la rédaction de Causeur.
Et maintenant, que vais-je faire ? doit se dire Macron, comme Gilbert Bécaud.
Quand sondage après sondage comme vague après vague, l’opposition à la réforme des retraites est partagée par les trois-quarts des Français et plus de 93% des actifs ; quand la deuxième journée d’action dépasse encore une fois le million de manifestants ; quand après avoir expliqué aux Français qu’ils ne comprenaient pas la philosophie de la réforme, puis que cette réforme était plus juste pour les femmes contre toute évidence au point que le brillant Franck Riester a lâché le morceau par mégarde sur une radio ; quand la manipulation des chiffres du COR a été démentie par le président du COR lui-même devant les députés en commission ; quand en désespoir de cause le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, sans doute fâché d’avoir un préfet de police, Laurent Nuñez, qui tient ses hommes et empêche les débordements contrairement à Didier Lallement qui illustrait à merveille ce vieil adage du préfet Grimaud en 68 que le degré de violence dans une manifestation est décidé par l’emploi qu’on fait de la police et non par les manifestants, fussent-ils émeutiers ; quand Darmanin donc, dans une rhétorique aussi droitarde que désespérée assure que tout ça, c’est la faute aux bobos, ce Darmanin si amusant quand il met au premier rang des périls menaçant le pays l’écoterrorisme, et le fait de consommer bio et de voir des films avec Maurice Garrel, bref, quand Macron et son gouvernement se cognent au réel, que leur reste-t-il comme option ?
Vers le raidissement, ou un pourrissement ?
Primo, le raidissement : coup de menton thatchérien, regard fixé sur la ligne bleue du CAC40, ne rien lâcher. Le problème du raidissement, c’est qu’il est compliqué d’être raide tout seul, si je puis me permettre. Ça branle déjà du manche dans la majorité. On se fait battre à une partielle par un candidat Nupes qui a eu comme principal argumentaire son opposition à la retraite à 64 ans. C’est qu’aujourd’hui, ça manifeste même dans les chefs-lieux de canton. Ca irrigue tout le pays, à part trois avenues de l’Ouest parisien… Et encore, pas à l’étage des chambres de bonnes !
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Le député lambda, même « Renaissance », revient chaque week-end dans sa circo et il se fait engueuler par tout le monde, contrairement à Emmanuel Macron qui n’a jamais été élu local. Les vieux, les jeunes, les hommes, les femmes, le boulanger, le médecin (s’il y en a encore un), les profs, les ouvriers de la dernière PME du coin… Il comprend qu’il ne se fera pas réélire, ce qui par ailleurs, écarte toute possibilité de dissolution, agitée parfois dans les médias. Macron est un solipsiste enfermé dans son bunker, mais il n’est pas suicidaire ! Une dissolution, dans le meilleur des cas, ce serait pour lui une majorité tellement relative qu’on appelle ça une minorité.
Autre solution : le pourrissement. Attendre les actions « sauvages », façons contrôleurs au moment de Noël, pour que le mouvement devienne impopulaire. Espérer que les syndicalistes ne puissent plus empêcher des bases radicalisées de gâcher les vacances de février. C’est bien une idée de journaliste, ça, « gâcher les vacances de février ». Parce qu’il n’y a personne qui prend des vacances en février, ou si peu de monde. Surtout avec l’inflation. On pourra faire pleurer un journaliste au pied des remontées mécaniques à l’arrêt, ça ne va pas mobiliser les foules.
Et demain, le RN ?
Et puis l’inconvénient du pourrissement, c’est que c’est vous qui pouvez pourrir. Vous aurez passé à l’arrache votre projet de loi en cinquante jours, et, en admettant qu’il ne soit pas déclaré inconstitutionnel (possibilité de plus en plus vraisemblable si le fameux 47-1 est appliqué), ensuite, vous ne pourrez plus rien faire d’autre. Vous perdrez violemment toutes les élections intermédiaires, votre majorité composite se fera la malle (« Horizons » a déjà prévu de présenter tout seul ses candidats au Sénat), et la trace que vous laisserez dans l’histoire sera le macronisme comme ultime avatar du capitalisme libéral avant l’arrivée du RN au pouvoir. Parce que c’est bien ce qui va vous tomber dessus, si vous ne retirez pas ce projet de réforme. La vengeance est un plat qui se mangera froid en 2027. Entre la gauche en pleine scissiparité et votre majorité en lambeaux qui entrainera les supplétifs de LR dans sa chute, vous rangerez la France aux côtés de la Hongrie ou de la Pologne. Ça va me faire tout drôle, Marine Le Pen présidente.
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Il y aurait bien une dernière solution : retirer le projet. Faire un discours sincère, pour une fois, sur ce que cette mobilisation sans précédent révèle de fatigues et de fractures dans un pays qui a besoin d’apaisement, de perspectives. Prendre acte que le rapport au travail a changé, qu’il n’est plus une fin en soi mais un moyen d’accéder au bonheur. Même si ça ne vous plait pas, c’est comme ça. Jadis, on ne voulait pas mourir pour Dantzig, aujourd’hui on ne veut pas mourir pour le FMI.
Tenez, parlez du bonheur, par exemple, Monsieur le président. Dites que la fin de toute politique, c’est le bonheur et que si ce n’est pas l’Etat qui peut rendre les gens heureux, il peut au moins y aider. En ne les faisant pas mourir à la tâche, en cessant d’invoquer une logique comptable douteuse quand on vous parle de temps libéré. J’ai la faiblesse de croire en la rédemption ou l’infusion de la Grâce, façon Claudel derrière un pilier de Notre-Dame ou Paul sur le chemin de Damas.
Rassurez-vous, on ne vous demande pourtant pas de devenir un saint, juste de retrouver un peu d’humanité. Ce n’est pas si difficile, vous verrez.
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