Installée par le premier ministre le 27 février dernier, la Commission Moreau (du nom de sa présidente) pour l’avenir des retraites vient de rendre son rapport. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le compte n’y est pas et que les propositions faites tiennent bien davantage d’une énième réformette que de la réforme systémique et ambitieuse qu’attendent le pays comme Bruxelles.
Dès sa désignation, la Commission souffrait d’un dangereux déficit de démocratie. En tout et pour tout, elle comprend dix représentants du secteur public, pour la plupart hauts fonctionnaires : conseillers d’Etat, membres du Conseil d’Orientation des Retraites ou cadres de l’INSEE. Bien entendu, aucun représentant du secteur privé, bien qu’il constitue plus des trois quarts de la population active et des retraités. La commission ne compte qu’un seul retraité, presque par raccroc : en réalité l’un des cadres de l’INSEE qui vient tout juste de prendre sa retraite. Au passage, notons qu’en ces temps de transparence, un problème juridique semble avoir complètement échappé à ce vénérable cénacle : la moyenne d’âge (environ 55 ans) et la consanguinité de ses membres les mettent inévitablement en position de conflit d’intérêt, puisque l’alignement de leurs régimes publics sur le régime de droit commun constitue une mesure de justice incontournable. Comme on pouvait le craindre, l’arbre est bien tombé du côté vers lequel il penchait. Son rapport de 172 pages recommande notamment le matraquage fiscal des retraités avec un allongement inévitable des durées de cotisation. Mais venons-en à l’essentiel.
On sait qu’une très nette majorité de Français réclament plus de justice et d’égalité. Ils dénoncent sans cesse les avantages de la fonction publique et les privilèges des régimes spéciaux. Qu’importe, avec un sens politique très sûr, la Commission Moreau évite soigneusement tous les sujets qui fâchent: rien sur les régimes parlementaires, rien sur les régimes spéciaux des services publics, rien sur la révision du périmètre des fonctions dites « actives » qui permet – parfois depuis 1853 – à un petit tiers de fonctionnaires de partir en retraite bien avant les autres, rien non plus sur l’amplitude pour une large part dissimulée des déficits des régimes publics, qui mettent en péril l’ensemble du système français…
Pour donner le change, le texte prévoit la prise en compte pour les fonctionnaires des toutes dernières années de service (3 ou 10?), au lieu des 6 derniers mois actuellement (une dérive fréquente consistant à promouvoir l’agent environ un an avant son départ). Cette proposition irait incontestablement dans le (bon) sens d’un rapprochement entre public et privé – 25 meilleures années pour la retraite Sécu – si elle n’était matériellement assortie de l’intégration dans la base de calcul des pensions publiques d’une partie des primes qui ont longtemps échappé à toute cotisation et prise en compte, avant de rentrer (partiellement) depuis 2005 dans une retraite additionnelle de la fonction publique. Or, ce nouveau calcul risque dans certains cas de renchérir sensiblement le coût déjà excessif des retraites publiques. En outre, il confirme le sentiment qu’aucune réforme sérieuse ne peut se faire dans le secteur public sans présenter en contrepartie un substantiel bakchich aux salariés de ce secteur.
Autre piste des plus dangereuses : pour rééquilibrer le système, la Commission Moreau propose une désindexation générale des pensions et des cotisations, le pouvoir d’achat des pensions étant déconnecté de l’indice des prix, cependant que les cotisations salariales ne seraient plus désormais prises en compte que pour une partie variable de leur montant. Certes, cette déconnection ne serait que provisoire et elle serait attentivement pilotée par un comité ad hoc dont on ignore la composition, les règles de décision et les garanties éventuelles qu’il offrirait contre une manipulation des chiffres. Avec la fixation du taux du livret A, l’Etat a parfaitement montré que ce type de contraintes ne le gênait aucunement.
Enfin, la pénibilité n’est évoquée qu’a minima. Pour être vraiment prise en compte dans le privé (elle l’est parfaitement dans le public, par le jeu très large des fonctions dites « actives »), encore faut-il qu’elle soit liée à un travail de nuit ou à une exposition prolongée à des substances cancérigènes. Sinon, il faudra se contenter d’un compte-temps individuel, valant crédit de formation, de salaire ou d’activité et dont l’efficacité réelle et le rendement quasi-insignifiant risquent de ne pas être à la hauteur des espérances suscitées.
Pour clore le tout, on trouve une nouvelle proposition de hausse des cotisations (0,4% en 4 ans) partagée entre salariés et entreprises. Cette disposition va directement à l’encontre des préconisations de Bruxelles, puisque les autorités européennes n’entendent pas voir le poids des retraites grever davantage encore le PIB du pays.
En somme, le rapport Moreau préconise une réforme de fonctionnaires, étroitement conçue par des fonctionnaires et pour des fonctionnaires. Une proposition injuste, partielle, étriquée, discriminatoire, plus importante par ses non-dits (retraites parlementaires, services publics, dissimulation du déficit abyssal des retraites de la fonction publique) que par ses propositions effectives. Pour terminer, osons poser la question qui tue : pourquoi donc aucun gouvernement n’a-t-il jamais eu le courage de demander au secteur privé de constituer une commission pour se pencher sur les réformes à mettre en place dans les régimes publics ?
Force est de reconnaître qu’après tant d’instances publiques crispées sur leurs privilèges, la Commission Moreau s’inscrit comme une nouvelle occasion manquée, dans un pays qui sait désormais qu’une véritable négociation avec les retraités eux-mêmes, tout comme la véritable égalité public-privé, ne sont décidément pas pour demain.
*Photo : jyc1.
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