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L’éternel retour d’Alexandre Vialatte


L’éternel retour d’Alexandre Vialatte

Alexandre Vialatte cri du canard bleu

Il y a plus de quarante ans disparaissait l’écrivain. Aujourd’hui cependant, le mort est toujours bien vivant. Nous sortons à peine de l’ « Année Vialatte » – organisée en 2011 par le groupe de presse Centre-France, éditeur du quotidien régional La Montagne auquel l’écrivain a collaboré durant près de vingt ans – que paraît aux éditions du Dilettante un nouveau texte inédit du montagnard, écrit en 1933 : Le cri du canard bleu. Les réserves dans lesquelles puisent les amis de Vialatte pour faire vivre son œuvre semblent infinies. Le fond de tiroir ne manque pas de coffre. Il faut dire que l’écrivain a finalement assez peu publié de son vivant : quelques romans (Battling le ténébreux en 1928, Le fidèle Berger en 1942, Les fruits du Congo en 1951), des livres sur l’Auvergne et des monceaux de traductions de l’Allemand. Les premières parutions en recueils de ses splendides chroniques de presse devront attendre les années 70-80. Plusieurs romans inachevés ou inachevables ont déjà été publiés de manière posthume dont La maison du joueur de flûte et La dame du Job – texte remontant aux années 20, sur lequel Vialatte a tenté de revenir vers la fin de sa vie, et qui comporte de nombreuses similitudes avec ce Canard qu’on nous présente aujourd’hui.

Dans Le cri du canard bleu, texte d’une quarantaine de pages, on retrouve les thèmes vialattiens habituels : la nostalgie de l’enfance, l’attrait mystérieux et magique des images publicitaires, les personnages pittoresques et fantasques. Vialatte décrit l’éveil d’un jeune garçon qui découvre un sentiment doux, étrange et nouveau au contact de sa maîtresse d’école ; un sentiment bien différent de l’amitié qu’il voue à sa petite camarade de classe, Amélie. « Amélie n’avait pas le ‘signe’ ; elle est l’enfant de tous les jours, la vestale des humbles marmites. Elle a le tort du pain quotidien. » La maîtresse, elle « s’abreuvait de Rousseau et de sombres poètes qui affirmaient d’un ton provocant qu’il fallait vivre de légumes… Elle lisait dans la nature à livre ouvert. Un jour, elle n’y tint plus ; lasse de la mappemonde qui ne savait que tourner sur elle-même, elle s’en alla sans crier gare… » Avant de partir elle offre au jeune Etienne Berger un canard bleu en porcelaine issu de la collection de zoologie pédagogique… un canard qu’elle prétend bleu, d’ailleurs, mais qui est vert en réalité car « elle tyrannisait la couleur comme elle despotisait les âmes ». S’ensuit le récit de l’éveil du garçonnet aux choses de la vie : « Nous comprîmes soudain que la nature est païenne, que la philosophie peut égarer les âmes, que le venin se cache dans les fleurs », et un développement sur ce que la nostalgie peut nous apporter de douceur et de tristesse. Une nostalgie qui accompagne le jeune Berger jusqu’à l’âge adulte… « En Allemagne, au bord du Rhin, où je me suis réveillé de mon adolescence… »

Ce bref roman inachevé est complété par une note du fils de l’écrivain, Pierre Vialatte, qui veille jalousement sur l’héritage littéraire de son père, et une préface assez remarquable de François Feer : « Pourquoi je suis devenu auvergnat », décrivant la façon dont – en effet – l’œuvre du montagnard fait pernicieusement de ses admirateurs des auvergnats militants, amoureux par procuration d’une Auvergne absolue.

Si cette publication vient étendre notre connaissance de Vialatte romancier (il est évident, soit dit en passant, que le chroniqueur laissera bien davantage son empreinte que l’auteur de romans…), on peut s’interroger sur l’opportunité de ce projet. Le Cri du canard bleu aurait peut-être trouvé plus honnêtement sa place en « complément » de La Dame du Job par exemple – ou en appendice d’une édition intégrale de ses œuvres, que nous appelons de nos vœux. Un texte, osons finalement le mot, qui ne casse pas trois pattes à un canard… même bleu.

Le cri du canard bleu, Alexandre Vialatte (Le Dilettante)



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Il est l’auteur de L’eugénisme de Platon (L’Harmattan, 2002) et a participé à l’écriture du "Dictionnaire Molière" (à paraître - collection Bouquin) ainsi qu’à un ouvrage collectif consacré à Philippe Muray.

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