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Retour à Paris

Seconde partie


Retour à Paris
Gérard Philippe et María Félix "La fièvre monte à El Pao", film de Luis Buñuel (1959) © RONALDGRANT/MARY EVANS/SIPA Numéro de reportage: 51404757_000001.

Le billet du vaurien


Suite d’hier

Ce 29. 12. 2020

Paris est la ville qui dégage la plus forte sensualité: les rencontres y sont aisées et les affaires vite conclues. Sans ce climat érotique, elle perdrait beaucoup de son attrait et on ne reculerait pas frileusement devant la mort. L’espoir d’une amourette dont on ignore quel tour elle prendra, est un élixir divin. On respire à Paris l’air de la liberté. Si j’étais honnête, j’écrirais: on y respirait l’air de la liberté. Avec la dictature hygiénique qui s’est instaurée et dont chacun pressent qu’elle n’est que le prélude à un asservissement général, Paris a des allures de vieille rombière. Le désir s’est éclipsé.

L’homme est l’ensemble des relations qu’il entretient avec ses semblables, disait Karl Marx. Lorsque les liens s’effilochent, autant prendre la fuite. Lausanne, à cet égard, est une ville idéale. On n’y est par pourchassé par le fisc – le seul ami qui ne vous abandonnera jamais – et la possibilité d’y mourir en douceur face à un des plus beaux paysages du monde vous est accordée avec une simplicité toute helvétique. Les stars hollywoodiennes ne s’y sont pas trompées quand elles se sont installées sur les rives lémaniques. J’aspire à en faire autant. J’ai connu le meilleur à Paris. Un dernier coup de chapeau à Lausanne, la ville qui m’a vu naître et où je ne désespère pas de mourir. Mais je n’oublie jamais pour autant que l’avenir est assis sur le genou des dieux. « Quel avenir à quatre-vingt ans ? », m’a demandé en ricanant cette sauvageonne de vingt ans. La sagesse des jeunes filles s’accorde parfaitement avec la folie des vieillards. Évitons donc les femmes de notre âge, les seules hélas qui nous sont encore aisément accessibles.

Lausanne Image: Sophie ML / Pixabay
Lausanne Image: Sophie ML / Pixabay

Ce 31 / 12 / 2020

Certains jours, on se demande pourquoi tenir un journal: si peu de choses à dire et si banales de surcroît. Une année s’achève (encore une, mais quand donc cette mauvaise farce s’arrêtera –t-elle ?) et la seule chose qui me vient à l’esprit en cette période de suspens pandémique, c’est une réflexion de Luis Buñuel (« La fièvre monte à El Pao ») que je cite de mémoire. Au nom du serment d’Hippocrate, qui place par-dessus tout le respect de la vie humaine, les médecins ont créé la forme la plus raffinée des tortures modernes: la survie. Nous vivons une étrange période où les foules se précipitent pour les applaudir. Nous sommes passés d’une démocratie libérale à une biocratie totalitaire. Je suis toujours surpris que les gens y voient un immense progrès et réclament un tour de vis supplémentaire.

Deux jeunes filles m’expliquaient hier qu’elles se sentaient enfin protégées. Elles avaient vu comme moi un reportage à la télévision sur la Corée du Nord et n’étaient pas loin de penser que c’était un régime idéal. J’ai préféré ne pas entrer en matière, moi le vieux mâle blanc à l’agonie. J’ai songé : « Vivre ? À quoi bon ? Pour pleurer ta jeunesse dans un monde qui n’est plus le tien ? »

Ce 1 / 01 / 2021

J’ai passé la nuit du Réveillon avec deux amis viennois : Karl Kraus et Thomas Bernhard. Le premier m’a dit : « Avant même de ressentir tout ce que la vie nous infligera, on devrait se faire euthanasier. » Comme nous évoquions un ami psychanalyste, il a ricané : « La psychologie est aussi inutile qu’un mode d’emploi contre un poison. » 

A lire aussi, du même auteur: Une nuit avec Thomas Bernhard

D’ailleurs, a-t-ajouté, les psychologues devinent très vite le vide intérieur de leurs patients. Ils n’en sont pas moins fiers du baratin qu’ils nous servent sur la profondeur de leurs analyses.

Thomas Bernhard ne manqua pas d’ajouter « Chacun vit jusqu’à ce qu’il meure? » Il aurait pu ajouter qu’entre-temps, il se passe beaucoup de choses. Mais pour les autres, c’est rarement intéressant. Le plus souvent, ce n’est intéressant que pour celui qui fait ces expériences. En vérité, chacun ne s’intéresse qu’à lui-même. Toute autre chose n’est que rentabilité indirecte. C’est partout pareil. Les bonnes œuvres, le Sahel, la faim dans le monde ou les épidémies.

Ce Monsieur Macron fait, lui aussi, du cinéma, exactement comme ce Monsieur Trump, quelle que soit la perspective qu’on adopte. L’homme ne fait que ce qui va l’avancer à quelque chose, lui permettre de rester dans le coup, croit-il. Même si vous entrez en religion, vous n’avez rien d’autre dans la tête, vous n’avez pas le choix de toute manière. Si vous voulez vous mettre au service des autres, cela ne signifie rien d’autre que vous êtes particulièrement méchant et misanthrope. Je crois qu’il en est ainsi de la foi et de toutes croyances. Voilà.

Avant de m’endormir, ragaillardi par ces spécimens d’humour viennois, j’ai regardé sur mon iPhone les photos « osées » que m’envoie toutes les nuits une certaine Charlène que je n’ai jamais rencontrée, mais qui prend un plaisir insolite à m’allumer. Elle y parvient parfois. Mais d’ici à la voir en chair et en os… Thomas Bernhard s’en détournerait et Karl Kraus se montrerait d’une cruauté facétieuse. Je n’ai pas d’autre choix, à supposer qu’elle débarque impromptu rue Oudinot. Je m’efforcerai de ne pas oublier le mot de Karl Kraus : « Chez la femme, rien n’est impénétrable, sauf sa superficialité. » Et puis, le plaisir érotique ne consiste-t-il pas à multiplier les péripéties ? Il serait dommage de s’en priver, même si j’arrive à un âge où la lassitude l’emporte sur la volupté. Raczymov parlerait des travaux forcés de la sexualité, les derniers à nous assurer que nous sommes encore vivants. Mais est-il bien nécessaire de l’être, sinon pour prouver aux autres qu’on est encore dans le coup ?

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