Accueil Édition Abonné Il ne faut plus se laisser intimider

Il ne faut plus se laisser intimider

L’analyse politique de Philippe Bilger


Il ne faut plus se laisser intimider
Le magistrat et essayiste français Philippe Bilger © Pierre Olivier

Après ses propos aussi lucides que critiqués, Bruno Retailleau obtient le soutien de 170 députés et sénateurs. De son côté, Jean-Éric Schoettl rappelle que « l’État de droit ne doit pas empêcher de modifier l’état du droit », et Xavier Driencourt donne des pistes pour contraindre les pays maghrébins à délivrer les laissez-passer consulaires pour nos OQTF en attente.


L’exigence du courage se proclame à proportion de la lâcheté qui sévit à peu près partout. Dans la vie intellectuelle et politique, dans l’univers médiatique, dans tous les espaces où en principe la simple audace de s’exprimer librement et tranquillement devrait être sauvegardée.

Mais toutes les démissions ne se valent pas et certaines sont plus redoutables que d’autres, dans leurs effets.

Depuis que Bruno Retailleau a été nommé ministre de l’Intérieur, un débat fondamental a été posé avec vigueur sur la table démocratique : celui de l’État de droit. Non seulement il n’a pas à s’en excuser et feindre de revenir sur certains de ses propos pour complaire mais, au contraire, il doit continuer plus que jamais à user de cette pensée et de ce verbe qui ont l’immense mérite d’avoir toujours été les siens.

Le soutien apporté à Bruno Retailleau a une rançon : celle de laisser croire que Gérald Darmanin, à ce même poste, a démérité alors qu’il a sauvé l’honneur du régalien avant la mise en place du gouvernement de Michel Barnier. Je regrette qu’il semble s’abandonner maintenant à des jeux politiciens avec 2027 dans sa visée.

Il ne faut plus se laisser intimider.

Les déclarations de Bruno Retailleau, en particulier dans un très long entretien au Figaro Magazine, suscitent un vif émoi de la part d’idéologues qui sont ses adversaires compulsifs (le réel qu’il voit, ils ne veulent pas le voir !) ou de naïfs qui ont fait de l’humanisme une opportunité d’abandon et de délitement.

Pourtant cette évidence qu’il énonce : « Quand le droit ne protège plus, il faut le changer », me paraît tellement à la fois de bon sens et d’un authentique humanisme (celui qui se met au service de la majorité des honnêtes gens et de la pluralité des victimes) qu’on aurait pu espérer un consensus quasi général.

A lire aussi, Charles Rojzman: Bruno Retailleau, une chance pour la France?

En effet, sur des statistiques aujourd’hui indiscutées qui révèlent un lien entre une immigration non contrôlée et la criminalité qui peut en en surgir, sur la très faible exécution des OQTF et, plus généralement des peines, sur l’absurde loi sur les mineurs de 2021, le ministre de l’Intérieur affirme ce que la rectitude intellectuelle et le réalisme social et politique devraient inspirer à tous.

Je pense que le nouveau garde des Sceaux, dans son rôle et attentif à le préserver, ne se sentira plus contraint de mettre des bâtons dans les roues de son collègue de l’Intérieur, qui lui-même est parfaitement au fait des grandeurs et des faiblesses de la Justice.

Il ne faut plus se laisser intimider.

J’ai noté avec une grande satisfaction – rien n’est jamais gagné et la lâcheté sait couvrir toutes ses abstentions d’un voile honorable ! – le soutien clair, net et argumenté apporté à Bruno Retailleau par cent soixante-dix députés et sénateurs de la droite républicaine.

Ils ont rappelé que l’État de droit n’a pas vocation à être « intangible » et que le signifier n’a rien qui offense la démocratie. L’État de droit, c’est d’abord ce socle : « le respect de la Constitution, de la séparation des pouvoirs et de nos principes fondamentaux ». Tout le reste peut être évolutif si on veut bien s’attacher à quelques repères inaltérables, à portée moins juridique qu’humaine, sans lesquels la démocratie tournerait à une sorte de sauvagerie officielle. Notamment on ne juge pas deux fois la même affaire, l’exigence de la non-rétroactivité, du principe de la prescription, de l’irresponsabilité pénale (on ne juge pas les déments).

À partir de telles lignes rouges, qui peut soutenir de bonne foi que le pouvoir politique n’aurait pas à mettre toute son énergie au soutien de la sauvegarde sociale et de la tranquillité de chacun ? Qu’oppose-t-on d’ailleurs à cet impératif à la fois humain et juridique ?

Les communiqués du Syndicat de la magistrature, sur ce sujet, nous confirment plutôt que Bruno Retailleau parle vrai et voit juste.

Et, dans un tout autre registre, les propos convenus (pour la haute hiérarchie judiciaire d’aujourd’hui!) du procureur général près la Cour de cassation Rémy Heitz ne sont pas bouleversants au point de nous dissocier de la rudesse lucide du ministre.

Ce n’est pas non plus le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, qui avec une banalité solennelle nous alerte sur le fait que « l’État de droit est la condition de la démocratie » qui nous troublera : on est d’accord avec lui.

Ce n’est pas également ceux qui confondent le jeu de mots avec l’analyse intellectuelle et juridique qui sont susceptibles de nous détourner du point de vue de Bruno Retailleau : soutenir qu’il ne fallait pas confondre l’État de droit avec l’état du droit est amusant mais ne fait pas progresser.

L’excellente tribune de Jean-Éric Schoettl, au contraire, nous éclaire quand il souligne que « l’État de droit ne doit pas empêcher de modifier l’état du droit ». On ne peut que l’approuver quand il écrit ceci : « Le corpus des textes relatifs à la sécurité publique et à l’immigration, lui, n’est pas intangible. Il peut être modifié dans le respect des procédures dans lesquelles s’incarne l’État de droit et, en tout premier lieu, de la procédure législative ».

A lire aussi, Elisabeth Lévy: État de droit, que de frime on commet en ton nom

On pourrait résumer ainsi : l’Etat de droit est un cadre dans lequel l’état du droit apportera sa pierre et ses dispositions avec pragmatisme. En allant aussi loin qu’une démocratie à la fois combative et se limitant pour ne pas se dévoyer le permettra.

Il ne faut plus se laisser intimider.

En particulier par une ultime injonction. Que feriez-vous à la place de ceux qui n’ont que leur bonne volonté ou, pire, leur impuissance à offrir aux citoyens pour les consoler ?

Il est facile de répondre que le volontarisme actif, le courage politique effectif, s’ils étaient mis en œuvre, résoudraient beaucoup de ce qu’on prétend insoluble. Par exemple récemment, l’ancien ambassadeur de France en Algérie (de 2008 à 2012 puis de 2017 à 2020) Xavier Driencourt a proposé plusieurs pistes que la France devrait emprunter pour contraindre l’Algérie à délivrer les laissez-passer consulaires. Elles réduiraient sensiblement le nombre d’OQTF en jachère, non exécutées et qui mettent les Français en péril. Il y faudrait presque rien : l’audace attendue de ceux qui nous gouvernent.

Bruno Retailleau doit donner du courage à ceux qui doutent, aux fatalistes, aux frileux. Son plan d’action est de nature à rassurer la « majorité nationale » derrière lui. Son verbe ne sera pas un substitut aux œuvres qu’on espère de lui.

Ne nous laissons plus intimider.




Article précédent Tous les défauts du « Monde »
Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération