La «vague rouge» tant attendue n’est jamais venue : quelles sont les causes de cet échec et quelles en seront les conséquences à long terme?
Les résultats des élections de mi-mandat aux États-Unis ont démenti maints pronostics selon lesquels les Républicains allaient reprendre le contrôle du Sénat et de la Chambre des représentants avec une confortable avance, en réaction à la calamiteuse présidence Biden, dont les manifestations alarmantes ne manquent pas (accroissement démesuré de l’étatisme, hausse des prix, augmentation de la criminalité, frontières non contrôlées dans le sud du pays, encouragement à la « wokisation » de la société américaine, etc.). Dans les quelques jours qui ont suivi l’annonce des résultats, de nombreux commentateurs conservateurs, désarçonnés dans un premier temps par l’absence de « vague rouge » tant attendue par eux, ont ensuite tenté d’analyser les causes de l’échec essuyé par les républicains.
Comme on pouvait l’imaginer, les critiques adressées à l’encontre Trump – y compris au sein du camp républicain – ne se sont pas fait attendre. Par son obstination inconsidérée à vouloir être candidat à la présidence en 2024, l’ancien locataire de la Maison Blanche, battu en 2020, serait, a-t-on souvent entendu ces derniers jours, la principale cause des résultats, globalement décevants, enregistrés par le GOP (Grand Old Party). Ainsi, tout en étant conscients des graves déficiences de la présidence Biden en cours, les Américains auraient voulu faire comprendre à Trump qu’ils ne comptaient pas pour autant lui donner un blanc-seing dans l’hypothèse où Trump se présenterait aux élections de 2024 (hypothèse que celui-ci vient de confirmer il y a deux jours à Mar-a-Lago).
Plutôt que d’attaquer directement Trump, l’essayiste et réalisateur de documentaires Dinesh D’Souza s’interroge sur la qualité réelle de certains candidats républicains qui ont été battus, et que Trump lui-même a parfois pu soutenir. D’autres commentateurs comme l’auteur conservateur Mark Levin ont critiqué les mauvais choix stratégiques du Senate Leadership Fund, lié au chef de la minorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, et dont le but consiste à « bâtir une majorité républicaine au Sénat » : c’est ainsi, souligne Levin, que la campagne du « RINO » (Republican in Name Only, ou soi-disant républicain) Joe O’Dea dans le Colorado a été largement soutenue par le Senate Leadership Fund, ce qui n’a pas empêché sa défaite face son rival démocrate.
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Ce qui nous amène ici à souligner un point capital : il existe depuis des années une profonde division non seulement entre conservateurs républicains d’une part et « progressistes » démocrates de l’autre, mais aussi de plus en plus au sein même du parti républicain : celui-ci se partage désormais en effet entre l’establishment, les « RINOs » et les « Never Trumpers » d’un côté, et, les partisans du courant MAGA (Make America Great Again) de l’autre côté, mouvance qui reste à ce jour principalement incarnée par Trump. En France, ces termes ne sont pas tellement connus, mis à part peut-être le sigle MAGA, qui, lorsqu’il est évoqué par les médias mainstream, est généralement associé d’office par eux à Trump et à l’ « extrême droite » américaine – laquelle serait, à les en croire, fondamentalement bornée, fanatique, réactionnaire et ennemie du progrès social. Cette vision est évidemment tout à fait inexacte et caricaturale : rappelons d’abord que c’est Reagan, et non Trump, qui formula le premier le slogan « Make America Great Again ». Lors de la fête fédérale du travail en 1980, Reagan déclara en effet : « Ce pays a besoin d’une nouvelle administration avec un dévouement renouvelé pour le rêve de l’Amérique, une administration qui donnera une nouvelle vie à ce rêve, et redonnera sa grandeur à l’Amérique ». Trump se place donc ici dans le sillage d’un Reagan, et ce à différents niveaux : défense du capitalisme de laissez-faire – contrairement au capitalisme de connivence avec l’État, qui en est la négation pure et simple -, réduction de la pression fiscale pesant sur les entreprises et la société, qui dissuade l’effort et l’initiative privée, patriotisme, défense enfin d’un conservatisme social – lequel nous paraît devoir être d’autant plus vigoureusement défendu à notre époque que les « woke » entendent refondre idéologiquement l’ensemble du genre humain conformément à leurs folles lubies.
Le mouvement MAGA n’a ensuite rien à voir avec une quelconque « extrême droite », étiquette politique dont l’usage tombe ici complètement à côté de la plaque, mais qui présente en tout cas l’avantage pour les médias mainstream de se dispenser d’avoir à comprendre de quoi il s’agit vraiment.
Trump, concédons-le volontiers, est irritant sur la forme. C’est un OVNI politique à tout point de vue, jusqu’à la rhétorique, souvent agressive et outrageante, dont il use et abuse. Mais quel est le danger qui menace aujourd’hui le plus la démocratie américaine ? Trump ou le sectarisme « progressiste » du Parti démocrate – désormais largement dominé idéologiquement par l’ultragauche ? À en croire la majorité des médias, il n’y a pas d’hésitation possible : c’est Trump, évidemment. C’est Trump en raison de ses dangereuses sorties médiatiques qui ont continuellement ponctué son mandat présidentiel ; et c’est lui et lui seul, plus encore depuis les événements du 6 janvier 2021, dans la mesure où il aurait, répète-t-on inlassablement un peu partout, lancé un « appel à l’insurrection » qui aurait ainsi conduit aux événements du Capitole. Pour un Français – et pour beaucoup d’Américains aussi – l’idée même que Donald Trump est directement responsable de ce qui s’est passé ce jour-là ne fait pas l’ombre d’un doute. À ce propos, l’essayiste Guy Millière remet les pendules à l’heure dans son dernier livre, Après la démocratie (Éditions Balland, 2022), en rappelant que Trump, sur le fondement de soupçons d’élections litigieuses, avait demandé à ses soutiens « de se rendre devant le Capitole. Pacifiquement. Patriotiquement. Pour faire entendre leur voix » (p. 17). Au moment même où Trump parlait, des individus ont brisé deux fenêtres du Capitole, y sont entrés, et ont ensuite ouvert les portes pour inciter les partisans de Trump à faire de même : entre cinq et six cents personnes sont entrées (Ibid.). On peut, on doit leur reprocher d’y être entré, mais soutenir que telle était leur intention initiale en se rendant au siège du pouvoir législatif n’est ni plus ni moins qu’une fake news.
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La présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a dès lors parlé d’ « insurrection » et de « tentative de coup d’État » ; Trump et ses soutiens ont également été qualifiés de « terroristes intérieurs » (Ibid., p. 18), pour reprendre une expression alors nouvellement forgée pour l’occasion. Trump devenait ainsi l’ennemi public no1, la principale menace planant désormais sur la démocratie américaine. Une deuxième procédure d’impeachment (destitution) inutile a dès lors été engagée contre lui… quelques jours à peine avant le début effectif de la présidence Biden. Appel à la délation, chasse aux « terroristes intérieurs » ont ensuite été encouragés par les grands médias (p. 20), désireux d’œuvrer à la rééducation morale de ceux qui avaient eu la malchance d’être « intoxiqués mentalement » par Trump (Ibid.). Guy Millière rappelle dès les premières pages de son livre le caractère effarant des méthodes inquisitoriales employées par les Démocrates et leurs serviles relais médiatiques pour venir à bout de Trump. Des méthodes qui, à la vérité, ne sont pas dignes d’une démocratie bien-portante.
Nuançons ce dernier point : la démocratie américaine est malgré tout une démocratie robuste, car ce qui lui permet de faire face aux assauts des démocrates fanatisés par leur anti-trumpisme obsessionnel, c’est notamment sa Constitution. Le rêve d’un nombre semble-t-il croissant de Démocrates, qui tendent à voir la Constitution comme un « document vivant » qu’on peut librement modifier à sa guise, ce n’est pas de respecter les principes des Pères fondateurs américains, mais de les infléchir au contraire dans le sens du progressisme étatiste et redistributeur voulu par eux, pour ainsi faire de l’État fédéral l’acteur désormais incontournable de la vie des citoyens, et ce dans tous les domaines (santé, économie, éducation, morale, etc.). L’Amérique, ses valeurs, son fonctionnement institutionnel sont directement assis sur la philosophie des fondateurs, qui se sont attachés à assurer constitutionnellement le respect de la philosophie des droits individuels tout en échafaudant un système permettant à un ensemble d’États particuliers de vivre au sein d’une fédération. Or, de plus en plus de démocrates radicaux ne semblent plus du tout croire à ces valeurs et ces principes, qu’ils jugent en fait responsables des maux de la société américaine, et même du reste du monde : ils veulent donc désormais les remplacer par d’autres valeurs, d’autres principes, relevant d’une idéologie contre laquelle les fondateurs ont justement tenté de prémunir l’avenir du pays en établissant maints garde-fous institutionnels : le collectivisme étatiste. Ce qui reviendrait, si la gauche y parvenait un jour, non seulement à affaiblir, mais même à détruire de l’intérieur la société américaine. L’un des grands artisans de cette tentative (plus ancienne que l’on pense d’ordinaire) visant à amoindrir la puissance de l’Amérique, au motif que celle-ci aurait été une puissance coloniale constamment génératrice d’injustices et de régressions (sociales, morales, culturelles), fut Obama. C’est ce que rappelle encore Guy Millière dans son livre précité, et ce fut aussi la thèse du film de Dinesh D’Souza, 2016: Obama’s America (2012).
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Le Parti démocrate d’aujourd’hui (servi par la caisse de résonance progressiste que constitue la classe médiatique dominante) n’est en vérité plus ce qu’il était il y a encore une vingtaine ou une trentaine d’années : il est devenu de plus en plus étatiste, de plus en plus sectaire, et désormais idéologiquement inféodé à l’écolo-socialisme et au « wokisme ». Guy Millière va jusqu’à parler de « totalitarisme », et Mark Levin de « marxisme américain » – c’est le titre de son dernier livre, American Marxism (New York, Threshold Editions, 2021). Un mot comme « totalitarisme » pourra ici paraître excessif. Or, avant de le juger comme tel, rappelons-nous la leçon de ce grand pourfendeur d’idéologies que fut Jean-François Revel : le totalitarisme ne concerne pas seulement en propre un système politique, mais constitue un phénomène mental plus général ; nous aurions ainsi tort de croire que les démocraties en seraient par définition totalement exemptes dans certains de ses secteurs. Non, le totalitarisme est une tentation fondamentale de l’être humain, qui sommeille potentiellement en chacun de nous. Par conséquent, seul un système constitutionnel, garantissant la vie, la liberté et la propriété individuelle, peut nous permettre de tenir à distance cette tendance consubstantielle à l’homme, tendance qui peut tout au plus être réduite au minimum, sans jamais pouvoir être complètement extirpée. Il faudrait donc qu’un plus grand nombre d’Américains comprennent enfin qu’il y a lieu pour eux (et sans doute aussi pour le reste du monde démocratique) de protéger ce que les États-Unis ont peut-être de plus cher : ce qui a fait depuis la création de ceux-ci leur « exceptionnalisme », c’est-à-dire leurs valeurs fondatrices assises sur le respect des droits fondamentaux, inaliénables et imprescriptibles des individus.
De ce point de vue, Trump nous paraît en l’état actuel des choses, en dépit de toutes les campagnes de dénigrement qui se sont succédé sans relâche contre lui dans le seul dessein de lui nuire, et malgré ses indéniables défauts et outrances verbales, le mieux à même de faire face à l’offensive collectiviste de « régénération » morale et culturelle du pays menée depuis plusieurs années par les Démocrates radicalisés par les idées d’extrême gauche. Peut-être le prochain candidat républicain à l’élection présidentielle de 2024 sera-t-il un autre candidat que Trump – on parle de plus en plus de Ron DeSantis, largement réélu gouverneur de Floride. Or, si DeSantis devait être investi par le Parti républicain, et s’il devait gagner la présidentielle, la forme serait à coup sûr différente de celle de Trump. Mais est-on si certain que le fond de sa politique le serait ? Il ne le serait probablement pas en réalité, car, comme Trump, DeSantis adhère pleinement à la mouvance MAGA. Seule celle-ci, qui puise ses origines intellectuelles dans la philosophie des fondateurs, et qui va jusqu’à Trump, en passant par Reagan et le mouvement du Tea Party de la fin des années 2000 et du début des années 2010, a une chance de sauver l’Amérique d’elle-même et du radicalisme progressiste que celle-ci est parvenue à sécréter en son sein depuis des décennies – et plus encore, redisons-le, depuis la présidence Obama, dont l’actuelle présidence Biden ne constitue finalement que le troisième mandat.
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