En ce 18 juin 1940, deux hommes qui ne se connaissent pas écoutent fiévreusement la radio et entendent avec stupeur, coup sur coup, deux discours contradictoires : celui du maréchal Pétain, prononcé la veille, qui annonce l’armistice ; puis celui du général de Gaulle, diffusé sur la BBC, qui appelle tous les Français à la résistance. L’un, Marie César Gabriel de Choiseul-Praslin, huitème duc de Praslin, issu de l’une des plus illustres familles de France, est un sexagénaire portant beau, officier de carrière ayant démissionné lors des inventaires, héros de la guerre de 1914-1918. L’autre se nomme Gilbert Renault. Né en Bretagne dans la moyenne bourgeoisie, la trentaine joviale et robuste, « un rien hâbleur », selon certains, il s’est ruiné dans la production cinématographique avant de se refaire… en gagnant à la loterie. À première vue, ils n’ont rien en commun, sinon l’essentiel – leurs convictions royalistes. Et en cet instant crucial, elles vont les réunir : car, pour les deux, rester fidèle à ses convictions suppose de s’engager corps et âme dans la Résistance, fût-ce contre celui qu’ils ont considéré jusqu’alors comme leur maître à penser, Charles Maurras.[access capability= »lire_inedits »]
Le 20 juin, Gilbert Renault, le futur colonel Rémy, embarque sur un chalutier norvégien en partance pour l’Angleterre. « Le réflexe de partir (…) trouvait son origine dans l’enseignement que depuis vingt ans je recevais quotidiennement sous la signature de Charles Maurras. Nourri de l’Action française, il ne m’était pas possible de reconnaître comme définitive la défaite de la France. J’allais tout naturellement là où il m’apparaissait qu’on allait continuer à se battre. » Le duc de Praslin, lui, condamne, dans une lettre à Maurras, « la demande d’armistice et la méconnaissance évidente de ce qu’exigeaient (…) les intérêts primordiaux et l’honneur même de la France » – convaincu que Maurras appuiera cette protestation de toute sa puissance intellectuelle. Comment le théoricien du nationalisme intégral pourrait-il réagir autrement ? Du reste, quoi de plus naturel que résister pour ces royalistes qui, au fond, n’ont rien fait d’autre depuis un siècle et demi ? D’où leur incompréhension lorsqu’ils apprennent le ralliement de Maurras à Pétain, ce maréchal républicain pour lequel le duc de Praslin avouera avoir toujours éprouvé méfiance et « antipathie ».
Cette déception amère ne les conduit pas à renier leurs convictions. Ils ont plutôt le sentiment que c’est Maurras qui les a inexplicablement trahies. Dans une lettre à son vieux maître datée de janvier 1942, le duc de Praslin oppose ainsi « feu Charles Maurras » à « son successeur (du même nom) » et sa « néo-Action française », qu’il accuse d’avoir « peut-être rendu impossible le triomphe de (ses) idées politiques, sans lesquelles il n’est pas de salut pour la France ». Il faut, estime le duc, être maurrassien contre Maurras, comme ses ancêtres ultras furent royalistes malgré le roi. Dès 1941, il contacte le représentant local du comte de Paris, puis accepte, en 1942, à la demande du royaliste Edmond Michelet, de prendre en Dordogne la tête de l’organisation Combat. Ce qui lui vaudra d’être pourchassé par la Gestapo.
Quant au colonel Rémy, devenu « l’agent secret n°1 de la France libre », c’est également ainsi qu’il conçoit son réseau de renseignement, la « Confrérie Notre-Dame », nom improbable choisi en référence à Louis XIII plaçant la France sous la protection spéciale de la Vierge Marie. Sa ligne de conduite est directement empruntée à l’enseignement de Maurras : considérer exclusivement l’intérêt national, indépendamment des attaches partisanes ou des rancœurs personnelles. C’est ainsi qu’en 1943, Rémy, catholique et royaliste, entreprend de mettre en contact le gouvernement de la France libre et le Parti communiste français en amenant à Londres un émissaire des FTP, Fernand Grenier. De Gaulle salue cette manifestation de « l’unité française » qui témoigne de « la volonté de contribuer à la libération et à la grandeur de notre pays ».
La France au-dessus des partis, mais également au-dessus des rancunes : compagnon de la Libération et membre éminent du RPF, le colonel Rémy participera en 1949, aux côtés de Daniel Halévy, à des meetings en faveur de la libération de Charles Maurras. Après s’être à bon droit « dressé pendant un temps contre » lui, il est désormais juste, pense-t-il, de lever la sanction frappant « cet intransigeant serviteur de la France ».[/access]
François-Marin Fleutot, Des royalistes dans la Résistance, Flammarion, 2000.
Guy Perrier, Rémy, l’agent secret n°1 de la France libre, Perrin, 2001.
*Image Pixabay.
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