Voilà, c’est fini, comme chantait Jean-Louis Aubert. La RATP annonce la mort programmée du ticket de métro, à petits feux d’abord, puis définitive dès mars 2022.
« Les utilisateurs devront se tourner vers des alternatives digitales », nous apprend-on. « Un pas technologie inéluctable », jugent encore nos confrères. Après cent-vingt et un ans de bons et loyaux services, les languettes en carton sont poussées vers la sortie comme de vulgaires intérimaires. Inutiles, pas écologiques, coûteuses. Avec les cabines téléphoniques et les magnétoscopes, le ticket sombrera dans les oubliettes de l’histoire pour ne plus témoigner que de la décrépitude de ceux qui l’ont connu. « Tata, c’est quoi un ticket de métro ? », me demandera un jour mon neveu. « Un truc de vieux », répondrai-je, comme pour lui voler les mots de la bouche.
En mars, il faudra faire un adieu ultime au meilleur marque-page de ces livres de poche qu’on butine entre deux stations, à ces fossiles qui peuvent trainer au fond des poches et qui ne survivent pas si mal à la machine à laver. Et tant pis pour les clochards à qui l’on offrait ce don en nature, accompagné d’une clope pour les plus généreux d’entre nous… Tant pis surtout pour les fumeurs, qui savent en faire des filtres d’appoint parfaits pour emballer les joints. Avec l’expérience, ceux-là ont appris à rouler minutieusement le petit morceau de carton pour le recouvrir de la feuille d’OCB et donner au tout un galbe parfait – au fond les fumeurs de haschisch sont des personnes très appliquées. Et tant pis même pour ceux qui ne s’attèlent qu’à le détruire, qui comme moi, ont une fâcheuse tendance une fois sur la rame à le torturer, le plier, les retourner, le tordre au point d’avoir toujours un peu honte à l’idée de devoir le présenter aux contrôleurs. Qui sait, cette maltraitance trahit peut-être des aspirations de bourreau ?
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Rappelons aussi que le ticket de métro était un excellent thermomètre pour mesurer la déconnection de personnages politiques vis-à-vis de la vie ordinaire. En 2012, Nathalie Kosciusko-Morizet, qui venait de quitter son poste de ministre des Transports, l’évaluait à « 4 euros et quelques ». Une petite fortune. Heureusement, il restera encore le prix du pain au chocolat ou de la baguette comme autre indicateur.
La fin des fins des haricots
Dans peu de temps, le ticket de métro ne désignera plus qu’un type d’épilation du maillot qui concurrence l’épilation brésilienne. Quoi qu’avec l’offensive des néo-féministes qui militent pour la réhabilitation du poil intempestif, ce pourrait être aussi la fin des fins des haricots. Plus de forme géométrique du tout sur l’origine du monde, juste une forêt vierge ? Plus d’épilation du tout, au risque d’être rangé chez les traitres, chez les collabos du patriarcat.
L’utilisation même de l’expression « ticket de métro » disparaîtra. On parlera de « pass » comme on le fait déjà avec tout le reste, sans savoir s’il faut franciser le nom et lui accoler un « e ». Pass navigo, pass sanitaire, pass culture… A l’avenir, on parlera peut-être de « pass métro » ? Son nom officiel est en tout cas arrêté par la RATP, ce sera le « Navigo Easy » : un « titre de transport dématérialisé » à retrouver sur application smartphone et à faire valider numériquement. Que de réjouissances en perspective pour ceux qui sont toujours en rade de batterie.
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Vous me direz de voir le bon côté des choses : la disparition du ticket de métro, c’est aussi la fin des machines idiotes qui te larguent des pièces de monnaie à n’en plus finir. Et la fin d’une pollution inutile : la RATP précise que 10% des billets actuellement vendus sont perdus à jamais et que jeté dans la rue, un ticket de métro met un an à se décomposer, soit autant de temps qu’un mégot de cigarette. Et cela donne à ceux qui luttent pour la planète la sensation de sauver le monde, comme ceux qui plantent leurs tomates ou qui font leur savon à la main. Greta Thunberg et Sandrine Rousseau ont forcément lutté pour la disparition du ticket de métro ! Elles qui ont une grande conscience du bien et qui veulent interdire tout ce qui fait le sel de la vie. Oui mais non : les habitudes qui ne font pas de mal à une mouche ne devraient jamais disparaître. Il y a encore tant de choses à faire avec un ticket de métro, surtout depuis que l’on sait qu’il faudra y renoncer.
Dire qu’il va s’éteindre avant que nombre d’entre nous n’aient tenté d’en faire des origamis ou des avions de papier, comme dans ces vidéos Youtube où des probables chômeurs passent des mois à confectionner des œuvres inutiles. Dire que le ticket de métro va s’éteindre avant la prochaine présidentielle, avant les dernières heures de la grande bataille, au moment où l’équipe de campagne d’Anne Hidalgo aura sans doute envie plus que tout de poster des vidéos de sa reine achetant un billet pour montrer à quel point elle est proche du peuple. Enfin il lui reste encore quelques mois pour le faire, mais enfin, il ne faut pas trop traîner.
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