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République ou France? La vraie question des présidentielles

Eric Zemmour veut placer l'identité nationale au cœur du débat politique français


République ou France? La vraie question des présidentielles
Eric Zemmour dans le vignoble à Husseren-les-Châteaux (68), décembre 2021 © Jean-Francois Badias/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22635937_000008

Selon Eric Zemmour, la République n’est qu’un régime politique. S’il ne le remet nullement en cause, il préfère parler à ses soutiens de la France et de son destin. Invoquée stérilement à tout bout de champ par ses adversaires, la République ne recouvre selon les zemmouriens qu’un vivre ensemble fade ou un laïcisme désuet qui ne permettent pas de protéger le pays des menaces qui planent sur son identité.


« Vive la République et surtout, surtout, vive la France ! ». Le 5 décembre, sous les applaudissements d’une assemblée gonflée à bloc, Éric Zemmour signait le désormais mythique « serment de Villepinte », par cette conclusion ô combien significative.

En revisitant la traditionnelle formule présidentielle, le candidat réactionnaire ne s’offrit pas seulement le luxe d’une fraîcheur stylistique, mais dessina surtout la synthèse de ce qui semble définir le cœur de cette nouvelle campagne. 

Rappelez-vous, c’était en 2017. Tout commentateur politique digne de ce nom balayait dans la précipitation le vieux clivage gauche-droite au profit d’une dichotomie plus vendeuse : les « gagnants » contre les « perdants » de la mondialisation. Comment leur en vouloir ? Tout prêtait à y souscrire, et l’opposition frontale de second tour entre le projet socio-libéral et européiste d’Emmanuel Macron et les envolées populo-chauvinistes de Marine Le Pen confortait cette analyse. La simplicité schématique plaît. Et plus convaincante encore depuis, la crise des « gilets jaunes » – où une certaine ruralité fit trembler au rythme des samedis de mobilisation une élite plus que jamais déconnectée des préoccupations populaires – a parachevé de convaincre tout le monde.

Le discours hostile à l’immigration n’est que la partie visible de l’iceberg Zemmour

Pourtant, une nouvelle énergie nommée Éric Zemmour rebat depuis septembre les cartes thématiques d’une campagne présidentielle déjà haute en couleurs. Ne nous y trompons pas : si les commentateurs ne retiennent des sorties polémiques du nouveau candidat que les banalités d’un discours assimilationniste hostile à l’immigration et à l’islam, ces dernières ne constituent en réalité que la partie émergée de l’iceberg Zemmour. La nouvelle dualité que le « Reconquérant » propose aux Français, celle qui distingue la France de son système politique, la République, ne date pourtant pas d’hier. 

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Distinction insupportable aux yeux d’universalistes drogués aux « valeurs républicaines », différence rafraîchissante au goût d’un « camp national » que trois partis se disputent désormais, le rapport que la France entretient avec son régime politique reprend indéniablement dans cette campagne qui commence des droits qu’on lui dérobe dans le débat depuis plus d’un siècle. 

L’union des droites que l’auteur du Suicide français se targue de refonder en rassemblant les classes populaires et la bourgeoisie patriote, incarne bien cette vieille question. La terre est préférée au territoire, le peuple à la population, le pays à l’État. Quitte à faire fi des différences sociales. Seules, les distinctions de « classes » chères à Marine Le Pen ne suffisent plus. Nombreux sont ceux qui observent désormais que leur dénonciation répétée a affaibli ce qui devrait être au cœur de notre élection présidentielle :  l’identité française. Personne n’échappera plus à la question identitaire, et chacun revisite la France à sa sauce. 

Assimilation contre créolisation

En face du projet assimilationniste que propose le « petit Français de confession juive », qualificatif qu’Éric Zemmour préfère sciemment à celui de « juif français », Jean-Luc Mélenchon nous apprend quant à lui que la France a en fait toujours porté en elle les germes d’une « créolisation » latente qu’il nous faudrait aujourd’hui embrasser. Les esprits attentifs ne s’étonnent plus des innovations clientélistes auxquelles le tribun insoumis les habitue depuis ses décennies de fanfaronnade publique. 

Jean-Luc Mélenchon, janvier 2021 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA Numéro de reportage : 00999890_000011

Pour les départager, le président Macron invite de son côté les Français à assumer leur « part d’africanité », tout en refusant le piège indigéniste qui cherche à déconstruire l’histoire de France et à « déboulonner » ses statues. Pour le président toutefois, quand le djihad islamique assassine un professeur, on s’en prend « surtout » à l’Éducation nationale et aux « institutions républicaines »… À croire que l’islam aurait attendu la Convention de 1792 pour livrer bataille à l’Occident !

Néanmoins, à l’heure où le chômage de masse s’éteint, comment expliquer une telle emphase identitaire, virage politique que les historiens attribuent traditionnellement au désespoir économique ? Notre mémoire nous fait défaut. Enivrée par le dogme fukuyamiste qui à la chute de l’Union soviétique proclamait « la fin de l’Histoire », l’analyse politique semble s’être figée dans une conception strictement économiste du sort des nations. À tort. Brexit, avènement du trumpisme, renaissance du nationalisme chinois, l’identité fait indéniablement son grand retour sur la planète, et la France, comme à son habitude, traîne à rattraper ses pairs.

Vivre ensemble fade, laïcisme désuet

Dans la confusion d’une immigration incontrôlée, d’une déconstruction indigéniste de notre culture et sous la menace djihadiste, le Gaulois en manque de repères ne trouvait jusqu’ici dans la réponse républicaine que la fadeur du « vivre ensemble » et d’un laïcisme désuet.

Et pour cause ! Faudrait-il rappeler que la République ne constitue que le socle politique sur lequel repose la société française, et nullement un levier de préservation culturelle ?

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On ne parle ni ne mange républicain. On ne se prélasse pas sur le sable chaud des plages du Sud de la République, mais bien du Sud de la France. La République incarne des valeurs, une certaine vision de notre organisation collective peut-être, mais la France exprime quant à elle des paysages particuliers, une cuisine, une littérature, une histoire, une âme – celle d’une civilisation. En dénonçant les calculs court-termistes d’une classe politique qui s’enlise depuis 30 ans dans une gestion technocratique et désincarnée de la nation, Éric Zemmour promet à ses soutiens de « sauver la France de sa disparition » et de la réinscrire dans le temps long de sa glorieuse Histoire.

Pour la première fois dans l’histoire de la Vème République post-gaullienne, ce récit politique semble trouver un écho auprès d’une partie conséquente de l’électorat français. Toutefois, si l’angle identitaire semble tenir pour le moment, résistera-t-il à l’épreuve de quatre longs mois de course à l’Élysée ? C’est sans nul doute la stratégie sur laquelle mise déjà le camp présidentiel, en rappelant inlassablement les vertus protectrices du « quoi qu’il en coûte » et un bilan économique positif assumé par Emmanuel Macron. On peut le déplorer mais les élections présidentielles passées nous enseignent toutes que seules, les idées politiques ne suffisent pas à propulser un candidat au sommet de l’État. Fort de 30 années de journalisme politique, Éric Zemmour semble pourtant l’oublier, voire le refuser. Excès de confiance dans son « destin français » ? Manque de pragmatisme politique ? 

L’avenir proche nous le dira. En tout état de cause, le pari identitaire devra convaincre autrement que par ses envolées littéraires et polémiques vaines s’il souhaite peser face aux forces politico-médiatiques qui s’appliquent déjà à le faire perdre. 



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Diplômé du King’s College de Londres en Philosophie, Politique et Économie, Simon Moos est rédacteur en chef d’IN+, un média en ligne traitant des grands sujets de société à travers le prisme d’une ligne de défense des valeurs occidentales.

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