Accueil Politique Non, ce n’est pas la République qui a tué l’âme catholique de la France!

Non, ce n’est pas la République qui a tué l’âme catholique de la France!

En réponse à Nicolas Lévine


Non, ce n’est pas la République qui a tué l’âme catholique de la France!
Image d'illustration / Cathédrale de Reims / Pixabay

Le texte de Nicolas Lévine publié la semaine passée dans nos colonnes a indigné certains lecteurs attachés à la ligne laïque et républicaine de Causeur. L’Église serait avant tout victime d’un discrédit qui lui est propre et sur lequel elle doit s’interroger.


La plupart des articles d’opinion publiés aujourd’hui dans la presse peinent à réveiller notre intérêt. Beaucoup charrient un fond de militantisme qui tourne en rond usant d’une rhétorique victimaire pour dénoncer les supposées atteintes aux droits ou les oppressions censées s’abattre sur les minorités noires, homosexuelles, transsexuelles, musulmanes…. D’autres n’en finissent pas de pourfendre des habitudes de vie et de consommation dont notre planète ferait les frais, et d’appeler de leur vœux une écologie punitive. Je dois reconnaître à Nicolas Lévine le mérite de m’avoir sorti de ma torpeur. Le cri d’alarme qu’il pousse pour déplorer la déshérence de l’identité catholique a quelque chose de touchant au premier abord. Oui, en effet, nos églises se vident et se détériorent et les actes de vandalisme dont elles sont trop souvent l’objet ne suscitent qu’un timide émoi parmi nos dirigeants. La sécularisation massive du peuple français a indéniablement créé en retour un sentiment d’indifférence à l’égard de notre patrimoine liturgique. L’argent public consacré à la préservation de des églises et des cathédrales semble en effet dérisoire au regard des besoins.

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Quand Causeur pourfend la « gueuse »

L’ennui est que Nicolas Lévine est bien loin de s’arrêter à ce constat. Sa déploration de la déchristianisation nationale vire à l’affichage sans fard d’une profonde détestation de la République qui ne trouve aucune grâce à ses yeux, et pour cause. Nous avons droit dans sa philippique à tous les arguments bien connus des pourfendeurs de la « gueuse ». On se croirait du reste en train de lire La Croix dans les années 1900… La République est coupable, forcément coupable, d’avoir fait taire les congressions, instauré l’école laïque. Il ne manque que le divorce… L’Eglise est donc sa victime, et de surcroît cette victime ne serait pas une simple minorité mais la majorité silencieuse du pays, sa racine profonde et intangible. En somme la République, selon Lévine, a tué l’âme de la France, et ce mal être collectif profond, que notre pays traverse depuis des décennies, en serait la conséquence directe. Je pourrais m’amuser à mettre en évidence les troublantes similitudes d’un tel discours avec celui de Philippe Pétain et sa Révolution nationale mais je préfère d’abord montrer l’inanité d’un tel discours et sa profonde malhonnêteté intellectuelle. Croire que la pauvre Eglise catholique a été trucidée par une IIIe République haineuse revient à passer totalement sous silence ce que l’Eglise a été au XIXe siècle. Cette Eglise, durant plus d’un siècle, ne s’est pas remise de la disparition de la monarchie et n’a eu de cesse de vouloir effacer l’héritage de la Révolution française. Lorsque la Restauration eut lieu en 1815, le dogmatisme le plus liberticide a retrouvé sa place notamment par la réintroduction du délit de blasphème condamnant à des peine sévères (parfois jusqu’à la mort) celui qui s’aventurait à moquer le pape ou le simple porteur de soutane. Plus tard, cette même Eglise catholique, par l’intermédiaire de son pape Pie IX, a montré combien les idées mêmes de liberté et de modernité lui étaient intolérables. La publication du Syllabus en 1864, « recueil renfermant les principales erreurs de notre temps » en disait long à ce sujet. Le rationalisme, le libéralisme, le gallicanisme, la démocratie et bien d’autres choses y étaient dénoncés vertement.

La perte de la foi est un fait historique massif en Occident tout simplement parce que les dogmes de l’Eglise catholique sont devenus totalement en porte à faux au regard des promesses bien plus séduisantes de la modernité

Les Républicains ont fini par gagner la bataille. Ce ne fut pas chose facile puisqu’une majorité conservatrice et monarchiste, alliée à un président Mac Mahon fort peu républicain, a tenté de créer une nouvelle restauration. Mais en 1877 la messe était dite, si j’ose dire, les Français appelés aux urnes ont élu une Chambre des députés bel et bien républicaine, contrairement à ce qui s’était passé en 1871. A partir de là, on peut estimer que les Républicains ont en effet mené un travail sur les esprits en républicanisant un pays encore en proie à des nostalgies bonapartistes ou royalistes surtout parmi certaines franges de la population (aristocrates, paysans…). Le combat fut rude, parfois injuste, ayant l’honnêteté de le reconnaître, comme à l’époque du petit père Combes et de son anticléricalisme ardent. Mais cette bataille était-elle illégitime ? Il faut se souvenir que jusqu’aux années 1910 l’Eglise n’en finissait pas de pourfendre cette République, coupable à ses yeux de favoriser ce que Nicolas Lévine ne semble lui-même guère apprécier : la liberté de conscience, le droit au blasphème, la cohabitation entre ce que Maurice Barrès, pourtant peu suspect de progressisme, a appelé les « diverses familles spirituelles de la France » c’est-à-dire les Catholiques, les Protestants, les Juifs, les Francs-Maçons, les athées et j’en passe.

La France ne se réduit pas à son identité catholique!

Car là est sans doute, en dehors des nombreux rappels historiques qu’il passe sous silence, la plus grande erreur de Nicolas Lévine. Oui, la France est catholique dans une large mesure mais elle n’est pas que cela. Notre pays, ne lui en déplaise, est aussi l’héritier d’une longue culture de la liberté de conscience qui a tiré profit d’une philosophie des Lumières dont elle a été l’un des principaux fers de lance. Oublier cela, c’est ne rien comprendre à la complexité de notre pays, c’est cultiver la nostalgie d’une société totalement monolithique, celle du Roi-Soleil qui au regard d’une doctrine absolue (cujus regio ejus religio – un prince, une religion) n’avait pas hésité à révoquer l’édit de Nantes et à pourchasser les Protestants. On en vient à se frotter les yeux en lisant que Vatican II ne serait qu’un « concile péteux », aux yeux de Nicolas Lévine, pour avoir introduit l’esprit du protestantisme. Est-ce à dire que nous devrions regretter le temps où l’Eglise voyait chez les Juifs un peuple déicide, où l’œcuménisme était vu comme une concession à l’idée d’une pluralité des consciences ? Soyons honnêtes, les Catholiques eux-mêmes en prennent pour leur grade dans ce passage en revue des différentes causes du naufrage de l’Eglise. La niaiserie de bien des homélies, l’esprit boyscout de ces prêtres qui plébiscitent davantage les veillées avec guitare et feux de camps plutôt que la communion dans une foi authentique, ont leur part de responsabilité selon lui. Et il vrai qu’un pape François qui a fait de l’accueil inconditionnel des migrants sa cause première n’aide pas à y voir clair dans les tourments de notre époque.

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Il n’empêche, le principal est largement passé sous silence dans l’explication de cette déchristianisation. La perte de la foi est un fait historique massif en Occident tout simplement parce que les dogmes de l’Eglise catholique sont devenus totalement en porte à faux au regard des promesses bien plus séduisantes de la modernité. On peut pourfendre l’argent, le consumérisme, Françoise Dolto et le port du pantalon par les femmes (j’ai moi aussi une préférence pour les jupes) il n’empêche, l’individualisme des sociétés démocratiques est le vecteur d’une liberté qui n’a jamais été la tasse de thé de l’Eglise catholique comme de presque toutes les religions. C’est peut-être un tord de ne plus croire dans les promesses d’un au-delà mirifique après la mort, et de s’en remettre à la simple quête d’un bien être terrestre. Notre vie ne s’en trouve certainement pas plus légère, et nombreux sont les ouailles pour le moins hagardes qui peinent à user avec discernement de cette liberté souvent dépourvue de mode d’emploi, faute d’une éducation et d’un sens de la transmission qui tombent en quenouille. Mais devons-nous pour autant regretter le temps où le curé du village faisant office de directeur de conscience ? Je n’en crois rien. L’Eglise est avant tout victime de son discrédit. Elle n’a que trop tardé à reconnaître les droits et libertés de tout fidèle appartenant à une société démocratique. Sa vision du monde fossilisée a beau avoir laissé place depuis un demi-siècle à un esprit « sympa », « tolérant » et gentiment paternaliste, elle n’a pas su voir les effets inéluctables de la modernité et réformer ses dogmes en conséquence. La persistance du célibat des prêtres en est l’un des exemples les plus emblématiques. Qui peut encore croire que seuls des hommes, que l’on continue de priver de l’une des dimensions les plus fondamentales de l’existence, l’amour et la sexualité en l’occurrence, puissent encore être des intercesseurs crédibles pour promulguer la parole divine parmi les fidèles ?

Causeur est un journal libre où l’on peut trouver bien des opinions « surtout si vous n’êtes pas d’accord ». C’est sans conteste sa force, mais à vouloir pourfendre le politiquement correct jusqu’à servir de tribune à des propos qui feraient passer en comparaison Patrick Buisson pour un gauchiste, je crains qu’il ne se trompe de combat.

Sans doute la déshérence du catholicisme est à certains égards déplorable mais c’est avant tout le déclin de l’héritage républicain et celui d’une culture humaniste léguée par les Lumières qui doivent nous préoccuper en premier lieu. C’est cela que nous devons avoir en tête lorsque l’on parle d’identité française en péril.

Droit de réponse

La force de Causeur c’est, en plus de drainer des auteurs et lecteurs d’un excellent niveau, membre de ce « grand public cultivé » en voie de disparition, de respecter sa devise. 

L’auteur de cette tribune me reproche de débiner la République. Je l’assume. Certes, ce faisant, je prends le risque d’être qualifié de « complotiste », d’épigone de Léo Taxil. Être catholique et républicain, c’est comme être bonne sœur et strip-teaseuse. La Constituante est majoritairement franc-maçonne ; l’immense majorité des membres des cabinets de la IIIème République est franc-maçonne. Comme le disait un des rapporteurs de la loi sur le mariage gay en 2013, dans un reportage tourné par France Télévisions qui le montrait faire la tournée des loges, franc-maçonnerie et République sont, en France – mais pas que –, indissociables. Point. En tant qu’ennemi des lobbys, cela me consterne ; en tant que catholique, cela me révolte, car la franc-maçonnerie a pour objectif ultime de détruire le christianisme. Ayant de bonnes raisons de craindre l’Église, il est normal que les minorités protestante et juive se réfugient dans les jupons de Marianne. 

Les « Lumières » ? La barbe ! Il y a plus de génie dans une page de Thomas d’Aquin que dans toute l’Encyclopédie. Le christianisme, ou du moins le catholicisme, a (presque) toujours accueilli favorablement la philosophie. L’Inquisition a, sur plusieurs siècles, fait moins de victimes qu’une brève flambée de chtouille dans le Gévaudan. Elle n’a empêché ni le progrès des sciences, ni celui des arts. Quant à la tolérance, il y a des maisons pour ça, comme disait joliment Renaud Camus dans ces colonnes il y a de cela quelques années. 

De nos jours, il suffit d’observer les musulmans pour comprendre que la religion est d’abord, pour le commun, un fait culturel. Les libéraux se rêvent en coquilles vides que le monde viendrait remplir. Mais les autres sont déjà pleins, eux, et ils nous le prouvent en imposant crânement leurs mœurs et coutumes à ce qu’on rechigne à appeler encore société française tant l’individualisme, mère de tous les vices, l’a atomisée – une société sans tabous n’a de société que le nom. 

Que la laïcisation de la France soit le résultat d’un long et puissant mouvement intellectuel et social, soit. Mais je reproche à l’Église de n’avoir pas su y répondre et même, depuis les années 60, de l’accompagner. De se vautrer, sous couvert d’« œcuménisme », dans le relativisme le plus aberrant. Le Christ dit : « Nul ne vient au Père que par moi » (Jean 14.6). Il ne peut y avoir plusieurs vérités. Il n’y a pas de « religions du livre ». Du baptême de Clovis au dernier soupir de la petite Thérèse en passant par les Croisades et la fureur de Jeanne, toute notre histoire est chrétienne, et d’une gloire incomparable. La « mystique républicaine » est morte avec le beau Péguy sur les bords de la Marne. 

Je le redis, selon moi être la fille ainée de l’Église, c’est quand même plus chic que d’être la poule du Grand Architecte. 

Nicolas Lévine



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