Alors voilà : en 1989, le Mur de Berlin est tombé et deux ans plus tard, l’URSS disparaissait. Tout le monde voulait croire que c’était la fin de l‘Histoire et que Francis Fukuyama était son prophète. Le monde allait enfin connaître le bonheur infini du marché dans une paix perpétuelle qui allait ravir les mânes d’Emmanuel Kant. On sait ce qu’il advint : les anciens pays de l’Est connurent les plaisirs de la liberté d’expression et de la libre entreprise, dont s’empressèrent de profiter les différentes mafias, les oligarques et autres dépeceurs de biens nationaux. A la guerre froide succéda une paix chaude, très chaude même : demandez aux Irakiens, aux Afghans, aux Serbes, aux Croates, aux Bosniaques ce qu’ils en pensent.
Les USA avaient gagné contre le communisme soviétique oui mais voilà, un seul être vous manque et tout est trop peuplé. Des pays émergents comme la Chine stalinocapitaliste et le Brésil multiculturel devenaient de grandes puissances. L’Armée Rouge, qui avait au moins le mérite de se battre à l’ancienne, avait été remplacée par Al Qaïda et le 11 Septembre, ce ne fut pas un missile soviétique qui détruisit les Twin Towers mais des avions de lignes détournés par des terroristes.
Alors on comprend que les Républicains, à la veille de l’élection présidentielle américaine, voudraient bien que tout redevienne comme avant. Pas seulement dans les mœurs et le monde du travail où maintenant n’importe quelle salope peut divorcer, se marier avec sa copine et bénéficier d’une couverture sociale minimale mais aussi sur le plan des relations internationales. Le candidat républicain Mitt Romney, mormon affairiste et multimillionnaire, donne ainsi l’impression de regretter le bon vieux temps du rock’n roll quand il fait de Moscou « l’ennemi géopolitique n°1 » des USA.
Il faudrait lui rappeler que Poutine, malgré sa formation de kaguébiste, n’a plus rien d’un communiste et tout comme les Etats-Unis, il veille juste de très près à ce que l’on ne vienne pas trop empiéter sur sa zone d’influence, quitte à montrer quelques mouvements d’humeur comme l’apprit à ses dépens en 2008 la Géorgie de Saakachvili un peu trop convaincue du bien-fondé des thèses « néocons » de l’administration Bush.
Mais de là à le confondre avec Léonid Brejnev, il y a tout de même un pas. Dans son envie manifeste, presque émouvante de retour vers le futur, Mitt Romney a aussi bénéficié d’une tribune de soutien signée dans le Washington Times par les quatre anciens secrétaires d’Etat ayant servi sous des présidents républicains : Henry Kissinger, Condoleeza Rice, George Schulz et James Baker.
Ah, Henry Kissinger… 90 ans aux prunes… On en aurait les larmes aux yeux de nostalgie. Henry Kissinger, c’est aussi émouvant que les chromos de Norman Rockwell. Ça nous renvoie au bon vieux temps de Nixon, de la loi martiale sur les campus universitaires quand la garde nationale tirait dans le tas des étudiants pacifistes, quand on bombardait quotidiennement le Vietnam au napalm , quand on envoyait Pinochet expliquer l’économie de marché à Santiago du Chili, un autre 11 septembre, 1973 celui-là. On a aussitôt envie de remettre les vinyles de Jefferson Airplane, Grateful Dead, John Baez ou la géniale intro de Wish were you here de Pink Floyd sur sa bonne vieille platine. Pourquoi toujours penser à mal ? Au fond, si ça se trouve, Mitt Romney regrette les filles coiffées à l’afro, les jeans pat d’eph, les buvards de LSD et les partouzes mystiques et défoncées dans le désert comme dans Zabriskie Point d’Antonioni.
En même temps, la tribune des ex-chefs de la diplomatie étasunienne précise les choses avec une bonne phrase qui tue : « La direction des affaires du monde par les Etats-Unis est cruciale pour la paix et la prospérité ». Oui, oui, vous avez bien lu. C’est grâce aux apprentis-sorciers de Wall Street, par exemple, et à l’invention des subprimes que le monde connaît la prospérité. Et c’est bien entendu grâce à la politique étrangère de Bush père et fils que le Proche et le Moyen-Orient sont devenus les extraordinaires havres de paix et de stabilité que l’on connaît.
« La direction des affaires du monde… » : une formulation qui fleure bon le messianisme, la pax americana, ma Bible et mon fusil, Dieu, le dollar et mon droit, et tout le toutim.
Bref, quand j’entends « La direction des affaires du monde par les Etats-Unis », ça me rappelle un bon vieux mot oublié. Comment disait-on, déjà ?
Ah oui : impérialisme, qu’on disait.
*Photo : Gage Skidmore
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