Le Conseil d’État vient d’ordonner à l’Arcom de réexaminer le respect par la chaîne CNews de ses obligations en matière de pluralisme. Le ton et certaines idées que l’on entend sur le canal 17 gênent. Surtout, certains s’inquiètent que les citoyens puissent s’échapper de leur goulag mental…
Après octobre noir, voici février gris ! Vert de gris, oserais-je. Octobre, le pogrom du terrorisme islamiste dans sa déclinaison Hamas, la déferlante de sang et de barbarie sur la terre d’Israël. Février, des journalistes de France – oui de France, terre de Beaumarchais, Diderot, Voltaire, Hugo, Zola, Camus et tant d’autres – ourdissent un bas procès visant ni plus ni moins à faire interdire d’autres journalistes, leurs confrères…
Qui en veut à la liberté de la presse ?
Les deux événements ne sont pas, il s’en faut de beaucoup, de même gravité, de même intensité, de même nature, ni porteurs d’aussi terrifiantes conséquences. Leur seul lien, ténu je le confesse, est que ma petite personne, modestement, était jusqu’alors bien persuadée de ne jamais avoir à assister sa vie durant à tant d’horreur d’une part, et à tant d’ignominie intellectuelle d’autre part.
Je nous en croyais prémunis, considérant la vie humaine et l’intégrité de l’être comme métaphysiquement sacrées et la liberté d’expression tout aussi sacrée, du moins civiquement, philosophiquement. Une interrogation oppressante émerge. Jusqu’où régressera-t-on ? Jusqu’où nous laisserons-nous embarquer dans ces spirales obscurantistes où se déploient chaque jour un peu plus la haine et la plus abyssale bêtise?
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Voilà bien que Reporters sans Frontières, organisation non gouvernementale qu’on veut bien feindre de croire non inféodée politiquement, se pervertit au point d’entreprendre de bâtir, ici, en France, un mur, exactement de ceux qu’elle est censée devoir détruire partout ailleurs de par le monde. Les murs de la censure. Les murs de la vérité bâillonnée. Les murs du goulag mental… Mais au fond, rien de bien surprenant à cela: toutes les menées à visée inquisitoriale reposent sur une contradiction originelle dont elles finissent par crever. Elles en viennent toujours à générer la négation pure et simple de ce qu’elles font profession de défendre et promouvoir. Le communisme, brandissant sans vergogne l’étendard de l’égalité la plus absolue, fabrique en réalité, avec une obsessionnelle méticulosité, la nomenklatura la plus illégitimement inégalitaire de l’ère contemporaine. Les exemples abondent. Dans un registre, là aussi peu comparable, mais symboliquement tout aussi pervers, voilà donc que Reporters sans Frontières s’emploie à en dresser une, de frontière. Un comble. Une frontière destinée à rejeter hors du champ journalistique la chaîne d’information CNews. On pourrait se croire plongé dans un cauchemar ou victime d’une très mauvaise farce.
Il faut dire que cette antenne cumule deux travers inexpiables vus de cette ONG qui, très probablement, se voit en détentrice exclusive des critères objectifs permettant de déterminer ce qui doit être porté ou non à la connaissance du public et comment cela doit être livré. Donc, premier péché impardonnable, CNews rencontre le succès. Succès d’audience, et, de surcroît, succès de considération, d’estime. C’est beaucoup. Seconde tare tout aussi rédhibitoire, ses programmes s’ingénient à dire le réel. Le réel tel qu’en lui-même. Non l’édulcoration façon camomille que servent depuis des décennies les médias autorisés. Le réel pleine face, affronté bille en tête. Nouveau, très nouveau dans le paysage. Alors, forcément, ça dérange, ça déstabilise. Le doux ronron qui ne ronronne plus, enfin vous voyez…
Billard à trois bandes
La manœuvre de RSF, en fin de compte, ne mériterait que « le sarcasme de la gaieté et l’indulgence du mépris » – comme dit si brillamment Chamfort – si l’enjeu n’était aussi grave, aussi existentiellement déterminant. Il s’agit de la liberté de dire. La liberté d’aller voir avant de dire pour – là est le point névralgique – dire ce que l’on voit. Tout simplement.
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Avec cette manœuvre d’exclusion, disais-je, on bordaille l’association de malfaiteurs. RSF s’en va pleurnicher du côté du Conseil d’Etat qui ira quant à lui déverser leurs doléances communes auprès de l’Arcom où, dit-on, on serait assez bien disposé à les entendre. Le billard à trois bandes, mais très loin de la subtilité ordinairement requise pour ce jeu passionnant.
Je nommais Voltaire. Il n’a, paraît-il, jamais prononcé la fameuse phrase : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous puissiez continuer à le dire. » Elle lui va pourtant comme un gant. Aussi, puisqu’elle ne lui appartient pas, considérons qu’elle est à tout le monde. Même aux petits marquis effarouchés de la presse idéologiquement encartée. Qu’ils s’en emparent. Et ils auront, cette fois, bien mérité de leur beau métier.
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