Dans un livre récent, Des Blancs comme les autres?, la militante féministe et antiraciste, Illana Weizman, développe une « nouvelle » théorie sur l’antisémitisme, aussi légère et bancale que dangereuse.
Le nom d’Illana Weizman ne vous dit probablement rien. Cette militante féministe franco-israélienne a pourtant connu récemment son petit quart d’heure de célébrité sur Twitter, en lançant le hashtag #MonPostPartum. Dans un essai récemment paru en France sous le titre Des blancs comme les autres, Les Juifs, angle mort de l’antiracisme, elle explique que « les Juifs ne sont pas blancs », précisant : « Pourquoi les Juifs sont-ils trop souvent perçus, dans les camps militants de gauche, comme blancs et privilégiés ? L’adjectif blanc n’a ici rien à voir avec la carnation ou le taux de mélanine, mais renvoie aux whiteness studies anglo-saxonnes, la blanchité (sic) entendue comme hégémonie sociale et culturelle à laquelle sont confrontées les minorités ethno-raciales. Autrement dit, le terme blanc renvoie dans mon propos à une position dominante dans la société ».
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Le propos pourrait presque faire rire, s’il ne renvoyait à un sujet très sérieux et souvent dramatique. Effectivement, des Juifs sont attaqués, violentés et assassinés en France aujourd’hui, parce qu’ils sont perçus comme représentants d’une élite, d’une classe dominante, voire comme l’incarnation des « dominants » par excellence. Weizman rappelle à cet égard l’assassinat d’Ilan Halimi, dont le tortionnaire pensait pouvoir rançonner les Juifs, supposés riches et solidaires de leur coreligionnaire. A ce sujet, elle conteste la notion de « Nouvel antisémitisme » (d’origine musulmane), en expliquant : « Lorsque Youssouf Fofana, chef proclamé du gang des barbares, torture et tue Ilan Halimi, son antisémitisme n’est pas spécifiquement « musulman » mais s’enracine dans des idées antisémites traditionnelles, à savoir que les Juifs auraient de l’argent et qu’il pourrait ainsi tirer une rançon de son crime ».
Au passage, Weizman en profite pour tacler des intellectuels aussi différents que Bernard-Henri Lévy, Pierre-André Taguieff ou Elisabeth Lévy, qu’elle qualifie tous de « conservateurs ». Elisabeth Lévy, notamment, est prise à partie pour avoir déclaré sur CNews en septembre 2021 : « Il reste un peu du vieil antisémitisme français, sauf que celui-là il casse pas la gueule aux enfants juifs. Je ne connais pas un Juif qui ait quitté la France à cause du Rassemblement national. […] Je connais beaucoup de Juifs qui quittent la France à cause de l’antisémitisme des banlieues ». Cette déclaration, somme toute assez banale, est qualifiée par Weizman de « sortie ahurissante ».
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Par-delà la polémique, l’analyse d’Illana Weizman sur l’antisémitisme est un peu courte. Que le « Nouvel antisémitisme » recycle les thèmes traditionnels de l’antisémitisme séculaire ne s’oppose nullement au fait qu’il constitue une nouveauté, en raison de l’origine sociologique et ethnique de ceux qui le professent. De même, dire que l’antisionisme est un des nouveaux visages de l’antisémitisme (comme je le montre dans mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain) n’est nullement contradictoire avec la persistance d’un antisémitisme traditionnel, à fondement religieux.
Mais le propos d’Illana Weizman est également contestable, voire dangereux pour une autre raison, plus fondamentale. En prétendant que « les Juifs ne sont pas blancs », elle espère disculper une partie du peuple Juif de l’accusation d’assumer une position dominante et d’appartenir aux classes sociales privilégiées, honnies du nouveau Lumpenproletariat incarné par les « banlieues ». Dans la foulée, elle explique au Bondy Blog : « Tous les racismes proviennent d’une même essence, notre ennemi commun c’est l’hégémonie blanche, qu’on soit juif, musulman ou noir ».
Cette attitude n’a rien de nouveau à l’époque moderne : régulièrement, des Juifs de gauche ont voulu montrer patte blanche, en étalant les preuves du caractère soi-disant « progressiste » et révolutionnaire du judaïsme ou des « bonnes origines de classe » de leurs coreligionnaires. Cela n’a aucunement protégé les Juifs contre l’antisémitisme de gauche, et notamment stalinien. Ainsi, seule la mort providentielle de Staline en 1953 (le jour de la fête juive de Pourim) a empêché celui-ci de mettre à exécution ses sinistres projets envers les Juifs d’Union soviétique.
Les Juifs, en tant que peuple, appartiennent à toutes les classes sociales et ils ne peuvent aucunement incarner une « minorité ethno-raciale », au sens où l’entendent les partisans du néo-progressisme. Ce n’est pas en « déconstruisant » l’identité juive ou le peuple Juif qu’on combattra efficacement l’antisémitisme, de même que le féminisme radical déconstructeur n’a jamais fait avancer la cause des femmes. Les Juifs n’appartiennent à aucune race, à aucune classe sociale et à aucun parti politique de manière exclusive. Il est d’ailleurs troublant de constater que la parole juive est aujourd’hui représentée en France presque exclusivement par des femmes « progressistes », comme Illana Weizman ou Delphine Horvilleur, comme si les médias entendaient annexer le judaïsme au camp « progressiste » et féministe. Il est donc utile de rappeler que les Juifs sont aussi des hommes blancs.
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