Déserts médicaux. La loi Valletoux, qui vise à améliorer l’accès aux soins, a été adoptée la nuit dernière. Elle incite notamment l’hôpital privé à participer davantage à la permanence des soins les weekends, et propose une allocation mensuelle aux médecins qui signeront des « contrats d’engagement de service public » dans un secteur géographique sinistré. Mais, les députés ont finalement refusé de réguler les installations de médecins. C’est tout notre rapport à l’accès aux soins qu’il faut revoir, selon notre chroniqueuse.
La question de savoir s’il faut forcer les médecins à se relocaliser dans les campagnes en France est un sujet complexe et controversé. Il existe, c’est vrai, une pénurie de médecins dans certaines régions rurales françaises, ce qui peut entraîner des difficultés d’accès aux soins pour les populations locales. Bien sûr, on s’indigne des déserts médicaux, surtout lorsqu’on en est victime ! Mais la solution n’est pas près d’être trouvée. D’abord lorsqu’on est un libéral, on estime que la liberté de s’installer pour qui que ce soit est absolument prioritaire et que finalement le médecin est aussi un entrepreneur comme un autre. Oui, bien sûr il y a la vocation de soigner des gens, mais il y a aussi les années d’études, le dévouement, le temps de travail, le gain financier de moins en moins proportionnel aux efforts fournis et aux études longues et difficiles…
Un gouvernement digne de ce nom doit dans ses missions régaliennes assurer la répartition des soins sur tout le territoire, mais encore faut-il que les médecins acceptent de se rendre au fin fond de nos provinces et qu’ils puissent avoir les moyens de s’installer. Pour les spécialistes par exemple c’est mission impossible : un ophtalmo, avec le coût d’un cabinet équipé, n’a aucune chance de rentabiliser son activité dans des campagnes peu peuplées. On ne peut que les regrouper dans les hôpitaux régionaux qui eux aussi connaissent la crise. Et que dire de la valse des maternités qui jouent à fermera, ne fermera pas… Des femmes étant obligées de faire 1H30 de voiture, en Savoie par exemple, pour accoucher ! Ceux qui sont concernés directement estiment bien sûr qu’il est nécessaire de prendre des mesures « obligatoires » pour inciter les médecins à s’installer dans ces zones. Or, l’isolement, les opportunités professionnelles limitées pour les conjoints, les infrastructures de santé insuffisantes, les conditions de travail difficiles et les faibles rémunérations sont très dissuasives pour les médecins en réalité… En revanche on peut être choqué que sur la Côte d’Azur les médecins pullulent; on pourrait presque envisager, comme pour les pharmacies, de limiter certaines installations dans les zones privilégiées.
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Pourtant on a bien essayé de mettre en place des incitations financières plutôt que des mesures coercitives. Des programmes de bourses d’études pour les étudiants en médecine acceptant de s’engager à exercer dans des régions rurales après l’obtention de leur diplôme, des avantages fiscaux pour les médecins s’installant dans les zones rurales ou encore le développement des infrastructures et des services de soutien dans ces régions pour inciter les médecins à s’y installer… mais rien n’y fait. La preuve encore avec la loi Valletoux passée cette nuit à l’Assemblée sur la liberté d’installation des médecins, une occasion ratée de mieux pourvoir les déserts médicaux. En fait, la question est multifactorielle et dépend de notre façon de consommer la médecine ! Prenons l’exemple des ophtalmologistes dont on se plaint qu’il faille attendre trois mois pour avoir un rendez-vous. Est-ce vraiment nécessaire d’avoir une ordonnance pour se faire prescrire des lunettes de vue, alors qu’aujourd’hui, les avancées techniques permettent à n’importe quel opticien de mesurer aussi bien que le spécialiste exactement les mesures nécessaires à la confection des verres ? Cette contrainte n’est-elle pas simplement là pour conserver une clientèle captive ? De la même façon, les médecins s’opposent à ce que de nombreux actes puissent être effectués en pharmacie. Piqures, vaccins… Et pourquoi ne pas multiplier et installer des télé-consultations médicales comme c’est déjà le cas dans certaines pharmacies ? La bobologie (à ne pas prendre certes à la légère) peut largement se traiter à distance.
En fin de compte, l’objectif principal devrait être de trouver un équilibre entre la nécessité d’améliorer l’accès aux soins de santé dans les zones rurales mais surtout la nécessité absolue de changer de comportements quitte à lutter contre le lobbying de certains. La technologie va changer complètement la donne, encore faut-il réfléchir à la façon de l’intégrer dans un parcours de soin traditionnel et périmé. Chat GPT 4 a déjà fait la preuve de la qualité des diagnostics les plus courants, et, mieux, a été jugé plus empathique avec le patient dans ses explications qu’un médecin en face à face !
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Il faut changer de mode de « consommation médicale » et à tous les niveaux, car c’est bien de cela dont il s’agit dans une forte majorité des cas; on le voit bien à l’utilisation abusive qui est faite des urgences, lesquelles peuvent se retrouver à négliger les cas graves à cause de l’encombrement dû à la pénurie des consultations possibles. Dans beaucoup de petites villes, des maisons de santé sont évoquées depuis des années et on ne voit rien venir. Impossible de faire faire un point de suture à un enfant sans aller aux urgences, est-ce normal ? De même le numerus clausus, remplacé par le numerus apertus qui l’a bien un peu reformé mais insuffisamment ; le résultat ne se ressent pas encore, étant donné le nombre d’années d’études, et la pénurie demeure. Le sage montre la lune et nous nous obstinons à regarder le réverbère, en médecine comme ailleurs… Ne manque-t-il pas aussi un regard entrepreneurial et une approche fondée sur le bon sens ? Le manque de vision politique est le principal problème dans tant de domaines.
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