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Prérentrée: lettre à mes anciens collègues

"Un coronavirus et Blanquer en même temps, ce n'est vraiment pas de chance"


Prérentrée: lettre à mes anciens collègues
Jean-Michel Blanquer à Nanterre le 28 août 2020 © BUFKENS Cedric/SIPA Numéro de reportage: 00978799_000017

De l’importance du courage et du regard au temps du corona


Je ne suis plus des vôtres, mais tout de même, je voudrais vous dire que je vous aime. Vous allez rentrer. Je ne sais pas si les gens se rendent compte qu’un prof, c’est quelqu’un qui a toujours ressenti, comme enfant, comme adolescent, comme adulte, ce léger serrement de coeur, cette sensation d’apesanteur, cette répétition toujours différente toute sa vie. On ne s’habitue pas à une rentrée ou à une prérentrée, parce que l’enjeu est finalement très intime. Il a rapport avec le temps qui passe, la liberté, la mélancolie, le plaisir. Aujourd’hui encore, douze ans après, une année pour moi, c’est une année scolaire, pas une année civile. Elle commence dans la fin de l’été (dominante bleu pâle le matin, fausse impression de vacances prolongées vers midi, fraicheur précoce de l’après midi), et elle se termine dans le bleu intense de juillet et l’odeur de poussière que fait se lever une pluie d’orage dans la cour de récréation.

Le symbole le plus évident du monde du Covid

Evidemment, les signes de la fin du monde (ou du moins de ce monde-là) ont fini par gagner l’école. Elle n’était déjà plus le sanctuaire, la petite abbaye de Thélème qu’elle aurait dû rester quand j’ai fait ma première prérentrée en 1985, comme maitre-auxiliaire.

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Elle était déjà chargée de régler tous les problèmes de la société créés par d’autres: inégalités économiques délirantes (il me revient que cette rentrée de 1985 s’est faite pour moi dans une des première ZEP), violences sociales de tout ordre et, sur la fin, replis identitaires qui en étaient la conséquence et qui ont été instrumentalisés par l’extrême-droite, puis à peu près par tout le monde. Elle est aujourd’hui le symbole le plus évident du monde du Covid. Le virus est entré partout et encore plus dans l’école. Administrée par des hauts fonctionnaires solipsistes qui prennent leur désir pour des réalités, l’école doit faire comme si. Comme si la distanciation sociale n’était pas franchement utile, comme si un minot de six ans et une grande bringue de dix-sept, c’était la même chose, comme si on pouvait très bien se débrouiller pour faire cours à trente dans une salle faite pour vingt, etc…

Peur et espérance

Il vous faut donc ajouter le courage dans votre besace. Ce courage n’empêchera pas comme ce fut le cas en mai-juin votre ministre laisser l’opinion vous lyncher si besoin est, et même à y rajouter sa touche personnelle. Ce que jamais un ministre de l’Intérieur, des Finances n’oserait avec sa police ou ses agents. C’est vrai qu’un coronavirus et Blanquer en même temps, ce n’est vraiment pas de chance.

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En plus, vous ne pourrez pas vous faire la bise et vous serrer la pogne alors que l’interminable discours du principal ou de la proviseure, se déroulera en durant vingt minutes de trop, comme d’habitude. Maigre consolation: pour une fois, ils seront aussi angoissés que vous.

Alors, oui, je pense à vous et pour le coup, j’ai du mal à imaginer à quoi tout ça va ressembler dans les jours qui viennent. Il va falloir miser sur les regards, encore plus que nous le faisions jadis, sans doute. Et dans leurs regards à eux, demain, de la petite à lunettes en CE1 au grand costaud du lycée pro section BTP, vous lirez la même chose que ce que vous ressentez: de la peur et de l’espérance.

Oui, je vous aime.




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