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Rentrée littéraire: vous ne passerez pas à côté de Sarkozy!

Le temps des combats (Fayard, 2023)


Rentrée littéraire: vous ne passerez pas à côté de Sarkozy!
L'ancien président français Nicolas Sarkozy et son épouse Carla, Venise, 2 septembre 2023 © Anna Maria Tinghino/SIPA

Le dernier bouquin de Sarko se vend bien. Nous l’avons lu pour vous. On y apprend que l’ancien président déteste les conservateurs.


Il fut un temps où les monarques présidentiels prenaient soin de mourir peu de temps après la fin de l’exercice de leur mandat… À défaut de respecter tout à fait la phrase rituelle « Le roi est mort, vive le roi », Charles de Gaulle et François Mitterrand, pas insensibles à la question royale durant leur jeunesse, s’éteignirent l’année qui suivit leur départ de l’Élysée. Georges Pompidou, qui avait un jour cité Maurras devant les élèves de Sciences-Po, décéda, lui, en plein exercice présidentiel. Depuis, l’allongement de l’espérance de vie, le quinquennat, l’élection de présidents de plus en plus jeunes, la limitation des mandats présidentiels (qualifiée dernièrement de « funeste connerie » par le président Macron), les difficultés des présidents à se faire réélire, tout cela a contribué à l’accroissement du nombre d’anciens chefs de l’État encore en vie et en grande santé. Pour s’occuper, Nicolas Sarkozy, par exemple, « donne » des conférences à travers le monde, participe au conseil d’administration des hôtels Accor et surtout, il avance dans l’écriture de ses mémoires. Difficile, en cette rentrée, de passer à côté de l’ancien chef de l’État, dont la tête apparait à l’arrière des bus, sur les étals de la FNAC, à la manière d’un Bachir Gemayel dans le Beyrouth-Est des années 80, avec la sortie du Temps des combats (Fayard), qui répond au Temps des tempêtes (a priori, il n’y a de contrepèterie entre les deux titres).

Imaginons la France d’après

L’ouvrage, qui revient sur les années 2009-2011, cartonne. D’après Le Point, il s’en est écoulé 24 000 exemplaires en une semaine depuis sa sortie. La Baule, Port Leucate, Biarritz, Arcachon, Saint-Raphaël : l’ancien président a pour l’instant fait la tournée des stations balnéaires chics pour rencontrer ses lecteurs. Voilà de quoi nous remettre dans l’ambiance des années Sarkozy, époque de grande passion politique, à la fois chez ses partisans mais aussi chez ses adversaires.

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Il faut un effort de mémoire pour tout à fait se souvenir de ce que fut le moment Sarkozy. A l’instar d’un vieux téléphone Nokia, dégainé comme un indice d’ultra-futurisme dans les films de la fin des années 90 mais qui apparaît après rediffusion comme un gadget suranné, presque rigolo, le sarkozysme (et son slogan « la France d’après », digne d’un film de science-fiction) fait parfois l’effet d’un objet jadis à la pointe de la modernité mais auquel on finit par trouver un charme kitsch et désuet. Souvenons-nous : pendant cinq ans, ce fut un tourbillon quotidien d’idées, de déplacements, de transgressions, qui donnait le tournis. On a eu l’impression de se retrouver dans ce cartoon où un diable de Tasmanie tourbillonne sur lui-même et dévale à toute berzingue dans le bush australien, à grand renfort de borborygmes pas toujours audibles. La victoire de son successeur dut moins à son sensationnel charisme qu’au désir des Français, secoués de toutes parts, de sortir (un temps au moins) du train-fantôme.


2008 avait été la grande année du « un jour, une idée ». La crise russo-géorgienne puis la crise financière avaient donné au président sa dose d’adrénaline, son véritable moteur, sans lesquels il s’appesantissait dans les petitesses de la vie politique intérieure. Séisme d’Haïti, tempête Xynthia, printemps arabes, tsunami de Fukushima : la période immédiatement suivante ne fut pas exempte non plus de secousses et de tourbillons…

Distribution des bons et des mauvais points

On sent parfois que le livre a été écrit un peu rapidement. Toutes les tournures ne sont pas élégantes, par exemple : « Je devais annoncer une initiative politique forte pour tenter de reprendre l’initiative ».
Quand il écrit : « La période de la crise financière fut d’une rare intensité. J’étais littéralement par monts et par vaux », faut-il imaginer le président sortir du conseil des ministres et arpenter vraiment vallées, vallons et collines à la recherche de solutions ? 
Concernant le conflit israélo-palestinien, il se mouille : « À ceux qui trouveront mon propos irréaliste ou idéaliste, je répondrai qu’il y a tout à gagner dans la paix et tout à perdre dans la guerre ». Des propos qui pourraient inspirer la prochaine Miss France !

La lecture du Temps des combats offre moins une vision intelligible de cette période historique et une compréhension des arcanes du pouvoir qu’une distribution des bons et des mauvais points. Le quasi-adoubement de Gérald Darmanin a déjà été beaucoup commenté : il est vrai que le spectacle d’un ministre de l’Intérieur jouant sa partition dans la majorité pour préparer le coup d’après nous ramène tous vingt ans en arrière. Laurent Wauquiez, lui, a droit à une appréciation digne d’un carnet de notes : « [je l’]ai toujours considéré comme le plus brillant de sa génération. Je n’ai pas changé d’avis. À lui maintenant de savoir se mettre en danger en sortant de sa zone de confort. Il le peut s’il le veut ».

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Pendant ces années, à l’international, Obama, très soucieux de ne prendre aucun risque qui égratignerait son image, et qui avait fait le forcing pour que l’UE accepte la Turquie en son sein, n’a pas laissé une très grande impression au président français. Quant à Angela Merkel, sa tiédeur et son conservatisme contrastaient avec l’agitation sarkozyenne. Mais finalement, le binôme a su constituer un tandem au moment de la crise des dettes souveraines. Étrangement, dans le monde, Sarkozy s’est trouvé surtout à l’aise avec la gauche, en tout cas avec les Britanniques Tony Blair et Gordon Brown. Confronté à des socialistes français bloqués sur « des convictions de l’époque paléolithique » (plus tard dans l’ouvrage, il fait toutefois l’éloge des grottes de Lascaux, signe qu’il n’est pas totalement hostile aux hommes préhistoriques !), Sarkozy peut composer, une fois le Channel franchi, avec des travaillistes modernes, « plus à droite » que lui en économie. Il est vrai que le sarkozysme fut un bougisme, pour ne pas dire un agitationisme : lui-même ne cache pas son « besoin irrépressible de mouvement, de voyages, de découvertes ». Peu de termes sont plus péjoratifs dans le vocabulaire de Sarkozy que celui de « conservatisme », associé notamment aux syndicats, à la bureaucratie et à la gauche en général.
Parmi les figures internationales les plus appréciées, figure aussi le président brésilien Lula, avec lequel la France mit en place des coopérations. L’occasion de faire l’éloge d’une personnalité politique expérimentée revenue aux commandes après des démêlés avec la justice. Toute ressemblance avec l’ancien président français serait purement fortuite…

Des porte-flingues flingués

Il y a un paradoxe Sarkozy. Phénomène apparu à la fin de l’ère Chirac, le sarkozysme offrait une double promesse : secouer une vieille droite endormie, pleine de tabous ; et affronter la gauche, éloignée du pouvoir depuis le 21 avril 2002 mais qui avait gardé de puissants relais dans la culture et les médias, et donc, de phénoménales capacités de nuisance pour le pouvoir en place. Sarkozy avait fait son compte à la vieille droite chiraquienne en 2007 mais il restait à cette dernière, à travers Jean-Pierre Raffarin et Alain Juppé, critiques notamment au moment du débat sur l’identité nationale, quelques beaux restes. Ceux-ci, avec le temps, avaient constitué une sorte de « gauche bis » : « Le pire était qu’ils pensaient sincèrement ce qu’ils disaient. La gauche avait réussi à les intoxiquer plus profondément qu’ils ne l’imaginaient eux-mêmes ». Quant à la gauche, elle est brocardée toutes les cinq pages, avec des mentions spéciales pour Ségolène Royal et François Hollande. Concernant Hollande, Sarkozy ne semble pas s’être remis d’avoir perdu contre un adversaire aussi médiocre à ses yeux. On se demande contre quel opposant la défaite eût été plus flatteuse ; peut-être aucun : même DSK ne trouve pas tellement grâce à ses yeux.


L’ancien président a assumé une confrontation pleine et totale avec la gauche, ce qui avait le don de mobiliser ses supporteurs survoltés. Certaines phrases du livre, notamment sur les profs grévistes et syndiqués, semblent d’ailleurs écrites pour casser l’applaudimètre d’un meeting à Nice ou à Perpignan. Et en même temps, il y a eu chez Sarkozy un désir de reconnaissance de la part de la gauche, et surtout de la gauche culturelle, désir qui s’est exprimé au moment de la nomination de Marin Karmitz à la tête du Conseil de la création artistique par exemple, de Philippe Val à la tête de France Inter ou lors de la défense de Roman Polanski (défense qui avait irrité à l’époque la base électorale de droite). Sans compter la nomination de Frédéric Mitterrand à la Culture, prise de guerre symbolique complètement assumée par Nicolas Sarkozy. Ce désir de prendre le large avec la gauche culturelle semble s’expliquer parfois par la compagnie gênante de quelques soutiens. Sarkozy n’est pas tendre avec ses porte-flingues les plus fidèles de jadis. De Frédéric Lefebvre, il dit : « il est vrai qu’il n’était pas réputé pour sa particulière finesse d’analyse ». Quant aux époux Balkany, « il y avait beaucoup de gentillesse et d’affection, mais aussi une habitude à parler d’abord, à réfléchir ensuite » ; version moderne du « je n’aime pas dire du mal des gens mais effectivement elle est gentille ». Plus globalement, la famille gaulliste est dépeinte comme sujette à des sautes d’humeur et des réactions épidermiques, mais que l’on peut calmer et rassurer facilement, comme des grands enfants.

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La manie d’attaquer ses têtes de turc favorites (François Hollande, François Bayrou, et dans son camp, Jean-Louis Debré, Jean-François Copé et Jean-Pierre Raffarin) donne là encore au livre un côté cartoon, avec des « méchants » récurrents et un peu ridicules qui constituent de vrais running gags. Sarkozy cite abondamment les commentaires de ses adversaires de l’époque, ainsi qu’une presse totalement hostile, du Nouvel Obs à la presse régionale. Écrire une énormité contre Sarkzoy donne l’occasion d’être un jour cité dans ses mémoires : alors, pourquoi ne pas tenter sa chance ?

Avec un recul de plus de dix ans et des passions redescendues, il faut reconnaître à l’ancien président d’avoir voulu secouer le cocotier d’un pays endormi par les fins de règne des rois fainéants précédents. On saura lui reconnaître un certain goût du risque, de la transgression, qui est plus méritoire que la mollesse, l’immobilisme et la grosse ruse de son immédiat successeur.

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