À Rennes, le groupe d’extrême droite l’Oriflamme a revendiqué avoir dégradé l’entrée du local du Parti communiste dimanche dernier, en réaction à la mort de Dominique Bernard. Le bourgeois breton, qui estime que rien n’est plus sacré que le droit des réfugiés tchétchènes à demeurer en France, est très choqué. Qui sont ces affreux du groupe l’Oriflamme, et quel est leur message ?
Lundi matin, c’est ce gros titre qu’ont découvert les Rennais sur le petit chevalet bleu et jaune Ouest-France qui s’expose devant les marchands de journaux et les supérettes : « PCF : les locaux vandalisés ». Il fallait s’aventurer dans les colonnes du quotidien, pour en savoir plus.
On apprenait alors qu’un groupuscule d’extrême droite dénommé l’Oriflamme avait vandalisé la veille le local du parti des 70 000 fusillés. L’action a été elle-même revendiquée par la formation sur son compte Twitter. « Traîtres à la France, communistes assassins », pouvait-on lire sur des imprimés collés sur le portail, sur lequel de la peinture rouge avait été également apposée. « L’entrée du local du PCF a été décorée en scène de crime car les politiques défendues par les gauchistes (et notamment les communistes) tuent des Français, nous explique un militant. Il convient donc de le montrer aux Français, plus que jamais. Leur cosmopolitisme les mène à défendre des islamistes qui finissent par tuer des Français. Ce sont des traîtres. »
Un communiqué du PC rennais embarrassant
L’Oriflamme a voulu réagir à sa façon à la brulante actualité nationale, et reproche au PCF local de s’être mobilisé ,en 2014, aux côtés du MRAP et de la Cimade, contre l’expulsion de la famille de Mohammed Mogouchkov, le terroriste islamiste d’Arras. La mobilisation avait alors permis le réexamen du dossier par le ministère de l’Intérieur, qui avait fini par annuler l’expulsion. Le jeune homme originaire d’Ingouchie s’est désormais fait connaitre de tous comme l’auteur de la terrible attaque au couteau qui a coûté la vie à Dominique Bernard, enterré hier. À l’époque, la famille était hébergée à la Guerche-de-Bretagne, dans l’Est de Ille-et-Vilaine, et venait d’être déboutée du droit d’asile. Michèle Fougeron, alors présidente du MRAP, s’était émue : « Comment oser reprocher à ces parents de n’avoir pas de ressources, quand la préfecture a refusé, voici deux ans, une autorisation au père qui avait une promesse d’embauche ? » Puis, le père, Kiadi Mougouchkov, a lui été expulsé vers la Russie, en 2018, en raison de problèmes administratifs et de soupçons de violences conjugales.
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À Rennes, la gauche, qui domine nettement le paysage politique et intellectuel, est scandalisée. Aurélien Guillot, secrétaire fédéral du PCF en Ille-et-Vilaine, a annoncé qu’il portait plainte. Une menace qui n’inquiète pas outre mesure notre militant : « Il n’y aucun risque judiciaire car la permanence n’a pas été dégradée et nous ne sommes pas rentrés dans les locaux par effraction ; nous n’y sommes pas du tout rentrés ». La maire de la ville, Nathalie Appéré (PS), a exprimé son soutien aux camarades. Et la section locale du PCF estime que puisque Mohammed Mougouchkov n’avait que onze ans au moment de la mobilisation contre son expulsion, rien ne pouvait présager qu’il pourrait un jour commettre un tel acte terroriste. Reste que le communiqué de presse de 2014 en soutien à la famille a depuis ce week-end disparu du site web de la section rennaise du PCF…
Terre hostile
Mais qu’est-ce donc que l’Oriflamme ? Dans une capitale bretonne où Marine Le Pen n’a fait que 15% des voix au deuxième tour de la présidentielle 2022, le groupuscule tente de diffuser des thèmes très droitiers en terrain très hostile.
On les voit, sur certaines photographies, avec des croix celtiques, symbole utilisé par divers mouvements d’ultra-droite européens. « En réalité, c’est le logo d’une marque de vêtements, European Brotherhood », assure notre contact, une marque connue dans tous les mouvements européens d’extrême droite. Notre militant rectifie : « Nous disposons d’un drapeau mi-fleur de lys mi-croix celtique. Il représente la nation et la civilisation, la France et l’Europe. Et puis, de toute façon, si nous voulions être ironiques, nous dirions que la croix celtique a toute sa place en Bretagne car elle rappelle ses racines celtes ». Il est vrai que l’on croise ce symbole dans de nombreux cimetières bretons. Au départ, les jeunes gens de l’Oriflamme constituaient la cellule locale de l’Action française avant de se séparer du vieux mouvement maurrassien. « Il s’agissait pour les militants de recouvrer une certaine liberté, aussi bien de mouvements que de pensée, sans subir le joug d’une bureaucratie parisienne déconnectée et, à l’usure, néfaste et décourageante ». Le groupuscule rennais dégage désormais un style moins royaliste que fascisant, dans le genre des supporters de la Lazio de Rome. Notre militant interrogé se défend et conteste fermement le terme : « Fascistes, nous ? Vous osez nous demander si l’on se définit par le terme le plus déformé du monde, qui recouvre désormais une centaine de fantasmes au moins ? Il n’est pas possible de vous répondre, du moins nous sommes dans l’obligation de dire : non ». Le militantisme dans des partis plus classiques, très peu pour eux : « Nous ne désirons pas défendre des partis qui ne sont que des structures pourries où le pire de l’homme (la perfidie, le mensonge, la trahison, la volonté de pouvoir) s’exprime constamment ».
Choquer le bourgeois
En mai 2023, l’Oriflamme s’est mobilisé à Saint-Brévin (Loire-Atlantique) contre l’installation d’un camp de migrants. Puis également à Saint-Senoux (Ille-et-Vilaine), contre un atelier donné à des enfants et animé par des drag-queens dans la médiathèque de la bourgade. Une quinzaine de militants, aux visages dissimulés et avec un mégaphone, avait sérieusement plombé l’ambiance ce jour-là. L’un des participants a été condamné à six mois de prison ferme et 1 500 euros d’amende pour « injure publique envers une personne dépositaire de l’autorité publique » (le maire de la ville) et « provocation publique à la haine ou à la violence en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre ».
Avec leur action contre les cocos, les militants de l’Oriflamme auront donc réussi cette fois à choquer le bourgeois rennais. Une mobilisation que l’on pourrait toutefois rapprocher des actions d’agit-prop de Greenpeace, lorsque ses activistes s’introduisent dans des centrales nucléaires. Ça choque, ça a été conçu pour, ce n’est pas sympa pour celui qui doit enlever la peinture après, mais pas de quoi ouvrir une cellule psychologique non plus.
A Rennes, ce week-end, d’autres tags ont été observés, non loin du cimetière du Nord : « Mort aux Juifs ». Un message sans doute en lien avec l’actualité au Proche-Orient, et qu’aurait pu également rapporter Ouest-France sur son petit chevalet du lundi matin.