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Le génie du girardisme


Le génie du girardisme

Le vrai drame, selon Girard, c’est que le désir ne mène nulle part sauf à la violence ; il s’est produit chez l’homme un glissement progressif du désir mimétique à la rivalité éponyme, jusqu’à « la violence de tous contre tous ». Comme une telle situation n’est guère tenable (sans parler de l’ambiance !), on va canaliser cette violence en inventant, dès les sociétés archaïques, le bouc émissaire, qui réconcilie la communauté en polarisant l’hostilité de tous, et ce d’autant plus facilement qu’on finit par le croire vraiment coupable. La religion chrétienne renverse cette perspective : le bouc émissaire, c’est-à-dire le fils de Dieu fait homme et persécuté par les hommes, est innocent !

Le problème, comme d’habitude, c’est que nous n’avons pas compris le message : aujourd’hui comme hier, « les 9/10e de la politique mondiale, c’est encore et toujours le bouc émissaire ! » Ce qui est nouveau en revanche c’est que, pour la première fois de son histoire, l’homme a les moyens de tout faire péter ! En langage girardien, « la situation est apocalyptique ». De fait, les textes apocalyptiques ne nous racontent pas seulement la fin du monde, mais l’état du monde qui précède cette fin et la prépare ; notre époque toute crachée !

Une époque où n’importe qui, ou presque, devrait pouvoir se rendre compte qu’on va droit dans le mur. Les perspectives sont claires : elles sont sombres ! Destruction de notre environnement vital, manipulations biologiques, prolifération nucléaire : tout se met en place pour que l’avenir de l’humanité ne dépende plus que d’une bande de Docteurs Folamour toujours plus nombreux, et toujours plus fêlés ! La violence gagne parce que la technologie, qui fut le monopole de l’Occident, se répand. A cet égard, Girard s’en prend à juste titre aux tentatives américaines de miniaturisation de l’arme nucléaire : les terroristes ne seront-ils pas les premiers à tester cette innovation en grandeur réelle ?

Mais si vous me permettez d’être chiant un instant, l’apocalypse pour un chrétien, c’est encore autre chose : l’accomplissement de la Bonne Nouvelle, c’est-à-dire le début du royaume de Dieu – rien de moins ! Et pour faire partie de ce royaume, c’est d’une simplicité biblique : il suffit de le vouloir ! Le Jugement dernier, c’est celui qu’au bout du compte on porte sur soi-même : souhaité-je dépasser ma condition d’être humain, ou en suis-je somme toute satisfait ? Suis-je l’alpha et l’oméga, au risque d’être le bêta ? Ou bien accepté-je l’idée (pénible, il est vrai) qu’il y ait plus grand que moi ? Et un Dieu qui m’aime, en plus ? Déjà en ce bas monde (comme disait le grand-père de mon curé, à moins que ce ne soit l’inverse), nous nous châtions nous-mêmes en rendant invivable la Terre où nous vivons. Foin de bouc émissaire, si j’ose dire : nous sommes responsables de tout, même de nous !

Ce qui a frappé Girard dans sa relecture de Clausewitz, c’est cette annonce d’une « montée aux extrêmes » inéluctable, qui s’est encore accélérée depuis le XXe siècle. Quel rapport, dira-t-on, entre apocalypse et Clausewitz ? Eh bien, la guerre moderne telle que l’a définie le Prussien est un mécanisme implacable de violence exponentielle devenu l’unique loi d’une Histoire qui s’accélère… et nous mène tout droit à l’Apocalypse !

Après être passés de la « guerre en dentelles » à la « guerre totale », comme on n’arrête pas le progrès, nous voici désormais confrontés au terrorisme. Dans la « bonne vieille guerre », au moins, on avait un adversaire identifié. Aujourd’hui, comment combattre Al Qaeda quand on ignore où frapper ce « groupe », dont on n’est même pas tout à fait sûr qu’il existe ? L’extrémisation de la violence s’explique, selon René Girard, tant par sa mondialisation que par sa démocratisation. La maladie autodestructrice de l’Europe s’est propagée dans le monde entier ; et avec la démocratie, hélas, « pour la première fois les hommes du commun se sont pris de passion pour la guerre ».



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