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René Fallet, Bourbonnais d’honneur

L'auteur haut en couleurs était bien plus qu'un simple amuseur


René Fallet, Bourbonnais d’honneur
René Fallet, 1978 © ANDERSEN ULF/SIPA Numéro de reportage: SIPAUSA30051922_000005

Le Braconnier de Dieu ressort dans une édition illustrée et commentée


Il y a des écrivains qui ont la gueule de l’emploi. Méfions-nous en ! Leur besace est pleine de malices et de mystères. On croit les connaître et on les classe, un peu trop vite, dans la catégorie des godelureaux de la Communale, ces élèves turbulents, à l’imagination poissonneuse, un peu soupe au lait, ayant le zinc comme horizon indépassable et ce côté populo de la banlieue sud-est en bandoulière. Vous pensez bien qu’un fils de cheminot, ex-zazou aux racines paysannes devenu bistrotier en chef des lettres françaises est, par nature, un gars inoffensif. 

La belle tête du Français moyen

Les élites peuvent dormir tranquille. Chacun son métier, les vaches seront bien gardées. À René Fallet (1927-1983) anar rigolard, la comédie piquante des petites gens, employés de commerce, banlieusards en rupture de ban et idiots des campagnes ; aux autres, les penseurs qui écrivent pour l’Histoire, les « grands » sujets nobélisables. Regardez cette belle tête de Français moyen, la moustache en porte-étendard, les lunettes à l’épaisse monture pour brouiller les pistes, le béret pour amuser la galerie, une vraie publicité ambulante pour un apéritif vinique disparu. Fallet ne trompait pas sur la marchandise. Il faisait couleur locale. Il pêchait, il pédalait et il consommait sans modération. Il écrivait à hauteur de selles.

Même s’il passait parfois dans le poste avec Brassens, Blondin, Doisneau ou Coluche, il n’était pas bégueule. Il était des nôtres, de la France d’en bas, des fins de mois acrobatiques et des bonheurs accessibles, des pinces à vélo et du jardin potager. Ce type-là avait les mêmes rêves qu’un retraité des Postes, un coin de nature, loin des achélèmes et du béton armé, une rivière à fleur de cannes et un café pour retrouver les copains, les soirs de cafard. Il vous narrait, chers lecteurs, des histoires d’amours ancillaires et d’épopées folkloriques, d’échappées éthyliques et de troussages verdoyants. Fallet avait vocation à distraire le travailleur comme l’auteur-intello à donner la migraine. Le sérieux le saoulait. Aux jeunes premiers, il a préféré le pinardier comme héros tragique.

Fallet picaresque

Ces romans picaresques s’adaptaient jadis fort bien au cinéma et enregistraient des millions d’entrées avec Gabin, Carmet, Trintignant ou Darry Cowl en vedettes. Fallet mijotait des contes comme la ménagère cuisine, une tortore pas compliquée et drôlement savoureuse. Avec un rien, un moine trappiste ou un bredin de l’Allier, on se tapait un de ces gueuletons de lecture. Voilà le récit imagé que certains médias font d’habitude de René Fallet, amuseur public des Trente Glorieuses. 

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On colporte cette sérénade par ignorance ou par malveillance. Car, la prose de Fallet est explosive. Ce fut peut-être notre dernier moraliste sous l’uniforme du garde-champêtre. Il avançait toujours masqué, une manière de se débarrasser des emmerdeurs. Ce Zorro du Bourbonnais divertit très agréablement le lecteur, c’est une certitude, on se marre même franchement, sa langue gouleyante coule comme l’eau vive, puis, par effraction, au détour d’un chemin de halage, on est saisi par sa noirceur, un constat accablant sur la modernité triomphante, sa vacuité et son immonde dessein. Fallet a été le témoin de notre effondrement, pas seulement celui des Halles mais aussi nos vieux chaînons sociaux, de notre carcasse qu’on appelle aujourd’hui art de vivre. Ne vous méprenez pas ! Fallet n’est pas un tendre, son amertume est inconsolable. On peut dissocier pour le plaisir de la glose, sa prose acide et sa veine plus comique, ses huis-clos psychologiques, presque oppressants et ses débordements estivaux, demeure, malgré tout, une rage souvent jouissive. Une hargne à déconstruire le discours bien-pensant. Une forme de désolation qui cogne dans les tempes et qui emporte souvent, les larmes et les rires jouent un mano à mano dont le vainqueur est plus qu’incertain. Ce qui fait de Fallet un grand écrivain du XXème siècle. 

Braconnier de Dieu

Pour les fêtes de Noël, l’éditeur auvergnat Bleu autour ressort Le Braconnier de Dieu (1973) sous la direction de Marie-Paule Caire-Jabinet dans une édition illustrée et commentée par les proches de l’auteur (Agathe Fallet, Gérard Pussey) et quelques érudits de belle tenue, notamment notre fringant confrère, Philibert Humm, hussard au pied marin et amateur de deux roues antiques. Ce document est surtout l’occasion de voyager dans l’inestimable Bourbonnais. Bleu autour a également publié, cette année, La fabrique d’une province française un essai signé Antoine Paillet qui vous permettra de vous familiariser avec les richesses de cette terre rurale et si intime. Entre nous, quel autre roman français commence par cette phrase admirable d’équilibre et de nostalgie, goguenarde et pétillante: « Ce fut en allant voter Pompidou que Frère Grégoire rencontra le péché ».

Le Braconnier de Dieu de René Fallet – Bleu autour

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La fabrique d'une province française: Le Bourbonnais

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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