René Daumal (1908-1944), poète ardennais méconnu, nous a laissé une œuvre littéraire dérangeante. Valérie Mirarchi nous reparle de ce poète en quête d’Absolu dans son dernier essai.
C’est un poète né en 1908 dans les Ardennes, précisément à Boulzicourt, qui a étudié dans le collège de Charleville, fréquenté également par un certain Arthur Rimbaud. Malgré un destin stellaire semblable à celui de l’auteur des Illuminations, René Daumal ne connut pas la même renommée que celle de son illustre aîné. C’est assez injuste, car son talent est réel, et son expérience intérieure ne manque pas d’audace.
Cauchemars
Après plusieurs portraits originaux consacrés à Françoise Sagan, Romain Gary et Albert Camus, Valérie Mirarchi, docteure en philosophie et agrégée de l’université catholique de Louvain-la-Neuve, signe un essai passionnant sur la vie et l’œuvre de René Daumal, mort à Paris le 21 mai 1944, les poumons rongés par la tuberculose. Le garçon, né dans une famille de sept enfants, d’un père instituteur socialiste, de complexion fragile, est un brillant étudiant au style flamboyant. Dans son Traité des Patagrammes, publié en 1972, chez Gallimard, Daumal évoque l’agitation socialiste qui règne dans sa ville natale : « Je naquis donc sous l’ascendant auditif et social d’une ceinture rouge, comme le halo d’un astre en furie de prolétaire. » Le ton est donné, il ne changera pas. Le jeune homme, très vite, est tourmenté par la pensée de la mort. C’est une idée fixe. Le néant l’angoisse, aucune « consolation tranquillisante », pour reprendre l’expression de Mirarchi, n’est possible. Que faire alors ? La torture métaphysique est intolérable, l’obsession ne cède jamais. Il faut donc expérimenter ce qui, par essence, ne peut l’être. L’œuvre de Daumal, décapante, exubérante, unique, part de cette source noire. Mirarchi cite l’écrivain : « Un jour, je décidai pourtant d’affronter le problème de la mort elle-même ; je mettrais mon corps dans un état aussi voisin que possible de la mort physiologique, mais en employant toute mon attention à rester éveillé et à enregistrer tout ce qui se présenterait à moi. » Tout ceux que la littérature de l’expérience des limites fascine, devraient lire Daumal. Ils comprendraient que les mots sont « trop mous ou trop rigides » ; ils sont les poux dans la chevelure de Samson ; il convient de les « secouer » pour créer un agencement nouveau qui ouvre sur l’inconnu. Les nuits de Daumal, insistons, sont cauchemardesques. Il consigne : « Mes nuits seules sont bien remplies : de lourds cauchemars de suie et de glaise, d’averses de draps visqueux et de légers cadavres. » L’expérience de la mort imminente débouche sur l’existence de l’autre monde. Son témoignage est saisissant. Toute l’écriture s’en trouve alors bouleversée. Le pâle copiste de la réalité – souvent de ses propres faits divers – fuira en courant, et c’est tant mieux.
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Passage secret
Valérie Mirarchi raconte avec précision à la fois l’itinéraire et l’élaboration de l’œuvre de Daumal que je vous laisse découvrir. Tout y est, le dépassement des limites, les jeux surréalistes, les prises de stupéfiants, les ambitions radicales notamment avec l’entreprise audacieuse du groupe, « le Grand jeu », et de sa revue éponyme. Elle n’oublie pas de commenter sa poésie, Le contre-ciel (1936), son premier roman, La Grande Beuverie (1939) et surtout le roman, hélas inachevé, Le Mont Analogue, publié à titre posthume en 1952, chez Gallimard, et réédité en 2020 aux Éditions Allia. Celui-là, il ne faut pas le louper, et le commander immédiatement. Daumal nous dit qu’il y a, entre la terre et le ciel, une montagne énorme, à la fois visible et invisible : le Mont Analogue. C’est là, affirme-t-il, que se tient un passage secret qui débouche sur la source foisonnante de la création.
Antonin Artaud, André Dhôtel, Jean Follain, Adonis, Henri Michaux ou encore Hubert Haddad ont été influencés par le dessein ésotérique de Daumal. Laissons-lui le dernier mot :
« Je suis mort parce que je n’ai pas le désir,
Je n’ai pas le désir parce que je crois posséder,
Je crois posséder parce que je n’essaye pas de donner ;
Essayant de donner, on voit qu’on n’a rien,
Voyant qu’on n’a rien, on essaye de se donner,
Essayant de se donner, on voit qu’on n’est rien,
Voyant qu’on n’est rien, on désire devenir,
Désirant devenir, on vit. »
Valérie Mirarchi, René Daumal ou la course à l’Absolu, préface de Xavier Dandoy de Casabianca, Éditions universitaires de Dijon, Collection Essais.
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