Chaque semaine jusqu’à l’élection présidentielle, la « battle » sur Yahoo ! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur sur un même thème. Cette semaine, Rodolphe Bosselut et Pascal Riché débattent du projet de suppression de la Cour de Justice de la République.
Supprimer la Cour de Justice de la République (CJR) instaurée en 1993, voilà une réforme que François Hollande se devait de porter. D’abord parce qu’elle symbolise sa passion sans cesse rabâchée pour l’égalité. Le mot d’ordre est lancé : dorénavant les ministres seront soumis aux juridictions de droit commun, comme les citoyens lambda. Bref une présidence normale suppose un gouvernement non moins normal. Il y a une forme de cohérence hollandiste sur ce point.
Des esprits chagrins pourraient cependant y voir planer comme un léger parfum de démagogie, sur le thème « Pas de dérogation, ils seront jugés comme les autres et d’abord au nom de quoi ils bénéficieraient d’un traitement de faveur ? Non mais!! Les privilèges ont été abolis le 4 août 1789 !! ». Sauf qu’il faut rappeler que la CJR juge les crimes et délits commis par les ministres dans l’exercice de leur fonction et que Monsieur Tartempion, qui mérite assurément toute notre considération, ne représente pas le pouvoir exécutif.
Or la CJR n’immunise pas les ministres contre les poursuites. La Loi constitutionnelle de 1993 qui a instauré la CJR, en lieu et place de la Haute Cour de Justice, a voulu précisément que les citoyens puissent la saisir, alors qu’auparavant seuls les parlementaires étaient habilités à le faire. Seule restriction, le législateur a mis en place un dispositif de filtres qui permet de s’assurer que les plaintes ne seront pas instrumentalisées pour nuire au pouvoir exécutif. Une sorte de garantie dans l’exercice des pouvoirs.
Même le Syndicat de la magistrature (SM) qui soutient la réforme préconisée par la gauche, reconnaît à mi-mot qu’il faudra conserver un petit filtre (sic), en l’occurrence une « Commission des requêtes composée de magistrats du siège pour éviter une déstabilisation des membres du gouvernement par une plainte abusive »….
Bref, la même chose qu’à l’heure actuelle, mais en mieux sans doute…. On peut douter de l’intérêt de changer un système pour lui substituer quelque chose d’approchant ou de similaire.
L’autre avantage de cette réforme pour un candidat, est de se présenter, à peu de frais, comme le pourfendeur de la partialité supposée de cette pauvre CJR composée, rappelons-le, de douze parlementaires et de trois magistrats du siège à la Cour de Cassation. Haro sur la justice de classe ou de caste qui aurait pondu des décisions de complaisance ou anormalement indulgentes. Ségolène Royal, Laurent Fabius et Georgina Dufoix, qui ont fait l’objet de décisions de relaxe, apprécieront….
Surtout il y a une bien mauvaise manière à présenter les décisions condamnant MM. Michel Gilibert, Charles Pasqua ou Edmond Hervé comme étant moins répressives que celles qui auraient pu être rendues par un tribunal ordinaire…. Qu’en sait-on ? On se plaint suffisamment à gauche de la tendance de Nicolas Sarkozy à dénoncer l’indulgence prétendue de la justice, pour ne pas en rajouter sur ce thème, non ?
Il faut en outre rappeler que l’élection à la CJR des neuf parlementaires qui y siègent se fait à chaque renouvellement, général ou partiel, de l’Assemblée Nationale ou du Sénat, ce qui rend très aléatoire une « composition favorable » le jour de l’audience, plusieurs années après les faits. Là se situe sans doute le principal reproche que l’on peut objectivement faire à la CJR: son train de sénateur dans l’instruction et le traitement des affaires, alors qu’elle ne croule pas sous les saisines… Mais bon, il faut reconnaître qu’en la supprimant on évitera qu’à l’avenir, elle perde du temps.
Enfin cette réforme ne pourra qu’emporter les suffrages de tous puisqu’elle ne coûte rien en termes de financement public et qu’avec un peu de chance elle réalise peut-être une économie. Finis les frais de restaurant quand on délibère entre la poire et le fromage. Voilà qui va rallonger la liste (minuscule pour l’instant) des coupes budgétaires envisagées par le candidat socialiste qui, curieusement, n’est pas très prolixe sur le sujet…
Toute idée jetée dans la campagne ne fait pas une réforme, ou pour dire les choses autrement, il ne suffit pas d’égrener pour chaque thématique une proposition pour construire un corpus présidentiel. Mais à court terme l’avantage tactique d’une telle annonce un brin démagogique, c’est que les bienfaits que l’on peut en retirer sont largement supérieurs aux objections qu’on peut lui opposer. Nul ne voudra mourir pour la CJR et ce n’est pas demain la veille qu’une vague d’indignation va secouer le pays en appelant à son maintien. Je n’imagine personne porter sur le revers de sa veste un pin’s « Touche pas à ma CJR ! ».
Tout ceci ne m’empêchera pas de rappeler à François Hollande qu’il est en train de détricoter non pas une affreuse loi liberticide sarkozyte, mais une réforme tardive de François Mitterrand, qui, il est vrai, ne se voyait pas tout à fait comme un Président normal…
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