Une séquence politique vient de s’achever avec le remaniement du gouvernement. Elle couvre la période qui s’étend des élections municipales de mars 2006 (médiocres pour la majorité) jusqu’aux élections européennes, catastrophiques pour les socialistes et encourageantes pour l’UMP sarkozienne.
Il faut donc lire ce remaniement à travers le prisme de l’élection présidentielle du printemps 2012 (c’est demain !). Le premier gouvernement Fillon, celui de l’ouverture aux Kouchner, Bockel, Amara, Yade, se situait dans le sillage d’un second tour d’élection présidentielle, où l’on cherche à séduire au-delà de sa famille politique. Cette ouverture ayant été actée dans la mémoire des Français, et la situation politique et sociale ne présentant pas de danger majeur de déstabilisation du pouvoir, il n’y avait aucune raison de la poursuivre. La marginalisation de François Bayrou est en bonne voie, sinon définitive, et la promotion de Michel Mercier, déjà fort éloigné du Béarnais, doit être considérée comme une bonne manière faite au Sénat, dont Sarkozy a besoin de l’appui dans la mise en œuvre de la réforme des collectivités territoriales. On me permettra – et même si on ne me permet pas, je persiste et signe – d’interpréter l’arrivée de Fred Mitterrand rue de Valois comme un signe en direction de la communauté gay, privée depuis deux ans d’un ministère qu’elle considérait comme son apanage depuis, au moins, deux décennies. Cette arrivée vient compenser le départ de Roger Karoutchi, qui n’a pas réussi, malgré son coming out, à faire oublier son fiasco dans l’affaire de la loi Hadopi.
Pour le reste, ce gouvernement est celui d’un classique rassemblement des droites, à l’exception de sa composante juppéo-villepiniste, que Sarkozy poursuit de sa vindicte impitoyable, sur le terrain politique comme sur le terrain judiciaire. La nomination de Pierre Lellouche, réputé atlantiste pur et dur et proche des néo-cons américains, au secrétariat d’Etat aux affaires européennes, est un de ces petits plaisirs pervers dont on aurait tort de se priver lorsque l’on est au pouvoir. Elle témoigne aussi de l’évolution de la pensée européenne du président de la République: de l’euro-enthousiaste Jouyet à “ l’américain” Lellouche, il semble que l’OTAN prenne le pas sur l’UE dans la perception sarkozienne de la situation de la planète…
Ce gouvernement se situe donc dans la perspective du premier tour de la prochaine élection présidentielle : d’abord rassembler son camp, et semer le doute chez l’adversaire, pour aborder le second tour dans une position confortable.
Les meilleures stratégies, pourtant, peuvent se heurter aux impondérables de la vie, à ce que le regretté premier ministre conservateur britannique Harold McMillan redoutait par-dessus tout dans l’exercice du pouvoir : “events”, ces événements qui nous dépassent et nous réduisent à feindre d’en être les organisateurs.
Dans ce domaine, Nicolas Sarkozy a montré une étonnante capacité de réaction face à un événement qui aurait pu déclencher une spirale de désaffection à son égard : la crise économique. Les licenciements, l’angoisse du lendemain de nombreux Français, tout cela aurait du, normalement, susciter une vague de contestation politique et sociale. Or celle-ci s’est manifestée dans un ordre si dispersé, en dépit de cette fiction pseudo-unificatrice de “L’Appel des appels” (que sont-ils devenus, d’ailleurs ?), qu’elle n’a pas pu masquer le contenu lourdement corporatiste de la plupart de ces mouvements. Bien sûr, la grogne universitaire peut reprendre à tout moment, comme celle des mandarins de la médecine ou des pilotes d’Air France, mais il y a peu de risques que ces mouvements se coagulent dans une révolte générale, manière française bien connue de procéder à des réformes politiques et sociales.
Avant le premier tour de la présidentielle, il y aura, en mars 2010, les élections régionales, que l’on estime généralement favorables à l’opposition, et qui peuvent donner à cette dernière une dynamique pour le scrutin-roi, l’élection du président de la République, elle-même déterminante pour celle des députés. Cette fois-ci, pourtant, les socialistes triomphants des régionales de 2004 seront sur la défensive et devront, très vraisemblement, céder à la droite quelques-unes des 22 régions conquises lors de ce scrutin.
Plus l’élection présidentielle approchera, moins on verra se manifester l’esprit frondeur des députés de la majorité, car leur retour en nombre au Palais-Bourbon dépendra de l’ampleur de la victoire de leur champion dans la course à l’Elysée. Ils avaleront la potion amère de la réforme des collectivités locales – qui implique une réductions notable du nombre des élus locaux – et par conséquent de celui des fromages à distribuer à sa clientèle dans les provinces…
A droite, donc, les couteaux s’affûtent pour la manche suivante, celle qui désignera le successeur d’un Sarkozy qui a eu la sagesse de limiter à deux mandats consécutifs la présidence de la République, à la manière de ces joueurs compulsifs qui se font interdire de casino. La démonétisation de la fonction de premier ministre excluant, de fait, François Fillon de cette course, c’est un quarteron de quadras qui se tirent actuellement la bourre pour accéder à la pole-position autour de 2014, année charnière du prochain mandat présidentiel. Les premiers partis sont bien connus, ils se rasent tous les matins en y pensant et ne manquent pas de le faire savoir alentour : Jean-François Copé la joue “lui c’est lui, et moi c’est moi” (normal pour un Roumain face à un Hongrois !), Xavier Bertrand excelle dans le genre bon gros zélé, faux gentil et vrai tueur. Mais il ne sont pas seuls. On négligera Galouzeau, dont l’unique chance de retour aux affaires serait d’être ministre d’ouverture d’un gouvernement de gauche, à la grande joie de son ami Edwy Plenel. On fera également l’impasse sur Michel Barnier, qui ne conçoit son retour à Bruxelles que comme une étape vers ce destin plus glorieux, dont il n’a jamais douté qu’il était digne. Nous aurons la charité de ne pas lui ôter brutalement ses illusions. Mais on gardera un œil sur quelques purs-sangs de l’écurie sarkozienne, Luc Chatel, par exemple, ou Bruno Le Maire. Leur ascension discrète, mais régulière dans la hiérarchie gouvernementale, à des postes maintenant exposés (Education nationale et Agriculture) va leur donner l’occasion de se montrer à leur avantage ou, au contraire, de révéler leurs limites. Comme nous n’avons pas (pas encore ?) de Noir ou de métis en position de devenir le Obama français, la grande rupture politico-sociétale pourrait être portée, à droite, par une femme, peut-être Valérie Pécresse si elle parvient à ravir la région Ile-de-France à Jean-Paul Huchon…
Nicolas Sarkozy dispose d’un joker pour éliminer celui d’entre les prétendants qu’il ne souhaite surtout pas voir lui succéder : le nommer en 2012 à Matignon ! Un refus est impossible dans l’état actuel de nos mœurs politiques et une acceptation équivaut à un lourd handicap dans la course à la présidence. Dans leurs cauchemars, les personnalités évoquées plus haut se voient refiler le mistigri par un Nicolas Sarkozy à l’apparence méphistophélique.
A gauche, les plus lucides ont déjà fait leur deuil de la présidentielle de 2012. Les Valls, Montebourg, Peillon, Moscovici se positionnent pour 2017, laissant les Aubry, Royal, Strauss-Kahn, Delanoë, Fabius et Hollande se déchirer dans leur bagarres de sérail pour être celui ou celle que Nicolas Sarkozy se fera une joie de terrasser. La lecture du projet de “primaires populaires” concoctée par Arnaud Montebourg est, à cet égard, révélatrice. S’il est adopté par l’ensemble du PS – ce qui, en l’état actuel des choses est peu probable –, il ne pourrait qu’aboutir à la nomination de Ségolène Royal, celle qui dispose d’un réseau militant important chez les sympathisants socialistes et d’une notoriété nationale indéniable. Mais ces primaires pourraient aussi faire émerger, au sein de la “jeune garde”, celui ou celle qui serait en mesure de récupérer la mise après un deuxième échec de Ségolène. Montebourg est un gros malin : il est celui d’entre eux dont, pour l’instant, la présence médiatique et la visibilité dans le champ politique sont les plus grandes…
Il reste cependant que les calamiteuses élections européennes ont introduit un personnage extérieur dans l’équation présidentielle socialiste : Dany Cohn-Bendit. Non-candidat déclaré et crédible, à moins qu’il ne se décide à se faire naturaliser français, il va peser de tout son poids pour que le candidat socialiste de 2012 soit celui auquel il aura accordé son onction, contre une alliance historique, à égalité de puissance, entre les Verts et le PS. Pour cela, il faut faire aussi bien lors des régionales, avec des listes autonomes, qu’aux européennes, ce qui n’est pas encore dans la poche, mais pas exclu si les socialistes persistent à faire tourner à plein régime la machine à perdre.
Dany Cohn-Bendit est peut-être le seul qui croit encore que 2012 n’est pas fichu, et qu’il peut répéter, à l’échelle de la gauche tout entière, le bon coup réalisé avec l’unification sous sa houlette de la mouvance écologique et altermondialiste. Il a donc besoin d’un candidat PS capable de porter une dynamique d’union et de victoire. Dany va donc faire l’objet, dans les mois qui viennent, de cajoleries insistantes de quelques éléphant(e)s. J’ai comme une petite idée que sa préférence à lui, ce sera François Hollande.
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