Pendant la campagne du premier tour, tout particulièrement lors des deux dernières semaines lorsque le conseil constitutionnel avait imposé l’égalité parfaite entre les candidats sur les ondes, on a entendu la plupart des médias se plaindre de devoir donner autant de temps de parole à Jacques Cheminade qu’à Nicolas Sarkozy et François Hollande. Avec la suffisance qui les caractérise souvent, ils se sont plaint de devoir interroger celui qu’ils tenaient au mieux pour un hurluberlu, au pire pour un fou dangereux. On pouvait parfois lire leur embarras, souvent leur agacement. Bien sûr, les liens de Cheminade avec Lyndon LaRouche posaient questions, ce dernier n’ayant pas hésité à comparer Obama à Hitler. Mais nous y reviendrons. Bien sûr, ses projets de colonisation de la Lune et de voyage sur Mars détonnaient dans notre contexte électoral. Mais le candidat de Solidarité et Progrès était bien l’arbre cachant la forêt des petits candidats qui constituaient autant de gêneurs.
Nathalie Arthaud, Philippe Poutou, Nicolas Dupont-Aignan et même Eva Joly, une fois passée la barre des 5% dans le sens descendant, agaçaient davantage puisqu’eux n’évoquaient pas de projets spatiaux étonnants et qu’il était donc moins facile de les tourner en dérision. Il fallait même leur donner 10 % du temps de parole chacun. Tout tournés vers la lutte pour la finale et celle, honorifique, pour la troisième place, les grands médias, à quelques exceptions près, déclarèrent ces candidatures inutiles sous prétexte que les intéressés n’avaient aucune chance de devenir président de la République et ne s’en cachaient pas. Comme si une campagne électorale était seulement l’occasion de sélectionner celui qui aurait la charge de devenir chef de l’Etat ! Comme si elle n’avait pas aussi pour but d’éclairer le débat public dans un pays qui compte presque autant de courants politiques que de fromages. Imagine t-on le Tour de France avec seulement une vingtaine de coureurs, c’est-à-dire réduit aux équipes des trois favoris ? Imagine t-on que dans un excès de générosité, on autorise finalement la vingtaine d’équipes à concourir, mais qu’on décide néanmoins que les trois favoris ne partiront pas sur la ligne de départ avec les autres, mais quelques dizaines de kilomètres plus près de l’arrivée, parce que, les autres, on s’en fout ?
Il semble que le Président-sortant, lui, l’imaginait comme ça, puisqu’il s’est longuement lamenté d’avoir dû participer à une émission entre Cheminade et Arthaud. Intervenir entre ces deux manants posait visiblement des problèmes à son ego. Et Sarkozy de chouiner sur le fait qu’ils étaient neuf candidats contre lui, tout seul. Le pauvre ! Tous les autres candidats étaient à un contre neuf. Et s’il était davantage visé dans les diatribes des autres, c’est sans doute qu’il était sortant. Serais-je désobligeant de signaler à Nicolas Sarkozy que la meilleure solution pour éviter ce désagrément fût sans doute de ne point se représenter ? François Hollande fut plus discret sur le sujet mais il semble bien que débattre avec d’autres adversaires que Nicolas Sarkozy ne le motivait guère. Il aurait accepté le principe d’un tel débat que Nicolas Sarkozy aurait été contraint d’y participer aussi. Il a préféré être complice de son futur rival du second tour.
Même sans débat, ces cinq semaines d’égalité – dont les deux dernières de manière stricte – ont été une bénédiction pour notre démocratie. Elles ont permis aux électeurs de se faire une idée en écoutant tous ceux qui avaient été sélectionnés par les élus[1. Sélection dont Dominique de Villepin ou Christine Boutin et même Marine Le Pen savent qu’elle n’est pas facile.]. Alors qu’un mois avant le scrutin, on prévoyait un taux d’abstention proche des 30%, elles ont permis de redonner de l’oxygène à cette campagne qui en manquait singulièrement.
Depuis dimanche soir, les gêneurs enfin éliminés, on n’est pas revenu au combat dans la boue, mais au combat dans la merde. Il est désormais loin, le portrait d’Obama avec une moustache d’Hitler qu’on montrait au pauvre Cheminade pour lui faire honte. En six jours, on a eu droit aux portraits de Pétain, aux références à Staline ou à Pierre Laval. On aussi accusé un site internet de relayer un appel de 700 mosquées alors qu’il avait seulement réalisé une enquête sur le fait qu’un individu tentait de le susciter. Aujourd’hui, c’est le fantôme de Kadhafi qui s’invite à la table et on pressent que le futur face-à-face de mercredi n’atteindra pas des sommets de courtoisie républicaine. Décidément, cette dernière semaine s’annonce très très longue.
Daniel Cohn-Bendit trouvait la campagne du premier tour chiante. Moi, je la regrette en constatant le niveau de celle du second. Rendez-nous Cheminade, parbleu !
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