À la mi-août, Renaud Camus publiait sur le site du Parti de l’In-nocence le communiqué n°1860 « sur le comportement des clandestins ». Ce texte a heurté Alain Finkielkraut qui se trouvait alors en Grèce. Durant deux jours, et grâce sans doute à quelque concours caché, il a entretenu une correspondance électronique nourrie avec Renaud Camus. Qu’ils soient remerciés tous deux pour nous avoir autorisés à publier ce dialogue de très haut vol entre Paros et Plieux.
Plieux, lundi 17 août 2015, minuit dix. Sur le nouveau comportement des clandestins.
Le parti de l’In-nocence et le NON remarquent qu’en de nombreux points du continent européen, et simultanément, les migrants, les clandestins, les prétendus réfugiés ou de quelque façon qu’on les appelle, à mesure qu’ils deviennent plus nombreux et donc plus forts, à mesure aussi qu’ils peuvent mieux se rendre compte de la passivité des indigènes et de l’esprit de collaboration de leurs dirigeants, deviennent plus violents, plus agressifs, plus sûrs d’eux et s’en prennent physiquement aux forces de l’ordre. Ils révèlent ainsi leur vrai visage d’envahisseurs et de conquérants, mais le personnel politique, face à la pire invasion qu’ait eu à subir l’Europe depuis des siècles, continue à parler absurdement, à l’instar du président du Sénat M. Gérard Larcher, de “crise humanitaire”. À ce compte on ne serait pas étonné si les manuels d’histoire, avec la servilité remplaciste qu’on leur connaît, se mettaient bientôt à nommer les siècles des Grandes Invasions “le temps des Crises Humanitaires”…
Alain Finkielkraut.
Comment pouvez-vous dire, mon cher Renaud, que les gens qui fuient les bombardements en Syrie et le service militaire illimité en Érythrée sont de pseudo-réfugiés ?
Faut-il être européen pour être un vrai réfugié ?
Ne peut-on penser à la fois leur déréliction et la nôtre ?
Il incombe à la politique d’affronter le tragique de la situation présente et non de le fuir dans un passé balisé, que ce soit celui des années 1930 ou celui des Grandes Invasions. Plus nous devons être fermes en matière d’immigration plus nous devons aussi, me semble-t-il, éviter les raccourcis haineux. La maîtrise des flux migratoires est indispensable. La dénonciation des hordes barbares qui déferlent sur la France est indigne.[access capability= »lire_inedits »]
En toute amitié, Alain
Renaud Camus.
Cher Alain,
Le communiqué que vous évoquez ne vise pas spécialement “les gens qui fuient les bombardements en Syrie et le service militaire illimité en Érythrée”, donc ni lui ni moi ne disons ce que vous dites. Votre seconde question, “Faut-il être européen pour être un vrai réfugié ?”, montre bien le caractère exagéré et, dirai-je, polémique, de vos interrogations. Il n’est certes pas indispensable d’être européen pour être un vrai réfugié, mais ce concept est totalement impuissant à rendre compte des gigantesques vagues migratoires qui submergent l’Europe et la détruisent. Et si les véritables réfugiés sont si nombreux, au sein de ces flux colossaux, que ne profitent-ils de leur nombre pour se faire acteurs de leur propre histoire, comme tous les autres peuples avant eux, et avant qu’il n’existe un continent hors histoire, une maison de repos des peuples, qui devient chaotique du fait de leur afflux ?
« Peut-on penser à la fois leur déréliction et la nôtre ? », demandez-vous. Penser leur déréliction ne saurait consister à les soustraire de l’histoire comme nous prétendons nous y soustraire nous-mêmes, quitte à en devenir les objets passifs, les jouets et les victimes. Penser leur déréliction ne saurait consister à la faire nôtre, à nous y plonger par une solidarité suicidaire. Le raisonnement à l’œuvre ici est exactement celui qui a détruit l’École : certains enfants reçoivent une bonne éducation et d’autres en reçoivent une mauvaise ou n’en reçoivent pas du tout, installons en masse les seconds chez les premiers, comme cela il n’y aura plus d’éducation du tout et tout le monde sera, sinon content, du moins égal dans l’hébétude. Il y a du malheur et il y a du bonheur, installons le malheur (ou l’incompétence, ou l’incivisme, ou la barbarie) au pays du bonheur (ou de l’État de droit), comme cela tout le monde sera malheureux, ce sera beaucoup plus juste. Le principe opératoire de ces raisonnements, c’est : Détruire, dit-elle. S’obstiner contre toute raison à voir dans l’invasion un problème humanitaire et rien d’autre, c’est détruire l’Europe. Puissent la brutalité et la sauvagerie dont commencent à faire montre tant de prétendus réfugiés (j’imagine que les vrais sont plus tranquilles et moins exigeants…) ouvrir les yeux de ce continent repu, avide d’en finir avec lui-même.
Très amicalement à vous, Renaud
Alain Finkielkraut.
Cher Renaud,
Vous ne visez pas spécialement les gens qui fuient les combats en Syrie, ceux qui s’évadent de l’État-prison érythréen ou encore les chrétiens persécutés d’Orient, mais vous les visez aussi, vous les englobez. Et là est le problème. Penser, dites-vous souvent, c’est faire des distinctions. Vous manquez à cette exigence dans ce communiqué que je ne crois pas vous attribuer à tort.
Vous m’objectez que, s’il y a tant de vrais réfugiés, ils devraient profiter de leur nombre pour se faire les acteurs de leur propre histoire. Est-ce ainsi qu’auraient dû raisonner les Juifs polonais et les Juifs allemands de l’entre-deux-guerres ?
Et, vous le savez bien, je ne plaide pas pour l’ouverture des frontières. Je persiste à vouloir délier la fermeté du dégoût et de la haine.
Votre ami, Alain.
Renaud Camus.
Cher Alain,
Vous m’invitez à faire des distinctions, et c’est un appel que je ne saurais ne pas entendre. Cependant vous-même, aussitôt après, faites classiquement le rapprochement, je n’ose dire l’amalgame, entre la situation d’aujourd’hui et celle des années 1930. Nous sommes là au cœur de ce qui nous perd. L’Europe meurt de refaire fantasmatiquement la guerre précédente. C’est ce que je me suis permis d’appeler, dans un recueil au titre à vous-même emprunté (Le Communisme du xxie siècle), « la seconde carrière d’Adolf Hitler ». Hitler est au bout de toutes nos phrases et de toutes nos pensées, et cette référence obsessionnelle nous paralyse. Le continent, je l’ai souvent écrit, est comme un patient tellement opéré et réopéré du cancer hitlérien que, par précaution, et par crainte désormais imaginaire d’une résurgence de ce mal-là, on l’a dépouillé de toutes ses fonctions vitales et on le laisse sans défense contre d’autres horreurs. Il n’a plus de cœur, plus de cerveau, plus de virilité, plus de volonté, plus d’yeux. Il ne voit même pas l’invasion dont il fait l’objet et qu’il prend, comme M. le président du Sénat, pour une crise humanitaire. Nous prenons des géants pour des moulins à vent.
Il y a dans la masse des migrants de véritables réfugiés, dites-vous, et des réfugiés de la pire horreur. Certes. Mais ces réfugiés sont si nombreux qu’ils sont des peuples. Le parti de l’In-nocence et moi avons toujours affiché et proclamé la nécessité et le devoir, pour la France et l’Europe, de soutenir les peuples contre leurs tyrans. Contrairement à beaucoup de nos amis, nous ne sommes pas du tout anti-interventionnistes. Au contraire, nous ne cessons d’appeler l’Europe à réarmer et à redevenir une puissance, un acteur essentiel de l’histoire. On ne peut pas reprocher à nos positions d’être incohérentes. Nous préconisons depuis longtemps la création d’un État chrétien au Proche-Orient, une sorte de grand Liban : c’est-à-dire la décolonisation d’une partie de l’empire colonial arabo-musulman, le seul qui, précisément, n’ait jamais décolonisé mais, au contraire, est en train de conquérir l’Europe et de progresser sur tous les fronts. L’Érythrée est un abject État-prison, aidons son peuple contre ses tortionnaires. Ne lui offrons pas notre pays.
Très amicalement à vous, Renaud
Alain Finkielkraut.
Je suis d’accord avec vous : la référence aux années 1930 désarme aujourd’hui l’Europe. Il n’empêche : nous ne pouvons pas faire comme si le xxe siècle n’avait pas eu lieu. C’est parce qu’en Suisse notamment la barque était pleine qu’il existe aujourd’hui un droit des réfugiés. On ne saurait le supprimer d’un trait de plume. À nous de marier fermeté et perspicacité. À nous aussi de ne pas céder à la tentation de considérer tous ceux que nous refoulons comme des envahisseurs.
Très amicalement à vous, Alain
Renaud Camus
Cher Alain,
Il ne s’agit pas dans notre esprit de supprimer d’un trait de plume le droit des réfugiés, mais de le réviser très profondément, afin de le recentrer sur le strict droit d’asile, comme nous voulons recentrer la “culture” et les “industries culturelles” sur la culture. Votre formulation me convient parfaitement, j’y souscris très volontiers : “ne pas considérer tous ceux que nous refoulons comme des envahisseurs”. Je serai même plus libéral que vous et veux bien ne pas considérer comme des envahisseurs certains (un très petit nombre) de ceux que nous ne refoulons pas. Il n’empêche qu’invasion il y a bel et bien, sous ombre de “droit des réfugiés”, qui est devenu une très mauvaise farce. Et cette invasion ne se donne même plus l’air ni les gants de paraître misérable, aimable et pacifique. Elle devient ce qu’elle est, agressive, violente et conquérante.
Très vôtre, Renaud
Alain Finkielkraut.
Cher Renaud,
Si l’on voulait enrayer l’actuel processus destructeur pour tous, il faudrait non seulement mener une guerre impitoyable contre les passeurs mais intervenir en Libye et peut-être en Érythrée : de cela, le camp progressiste, le camp identitaro-souverainiste et la bien-pensance européenne refusent, chacun avec ses arguments, d’entendre parler. C’est déplorable. Mais ne convertissons pas notre impuissance en vindicte contre les misérables qui débarquent chez nous.
Merci de me pousser dans mes retranchements. Alain
Renaud Camus
Cher Alain,
Les misérables qui débarquent chez nous, comme vous dites, pour la plupart ne sont pas si misérables que cela. Beaucoup ont payé 20 000 ou 30 000 euros, parfois davantage, pour arriver jusqu’à nous – j’en serais pour ma part bien incapable. Un dixième de cet argent aurait mille fois suffi, si vraiment ils sont des réfugiés, à négocier pareil statut avant de violer nos frontières, ce qui, dans toutes les civilisations de la terre, a toujours fait des étrangers des délinquants. Or, bien loin de se comporter en coupables et en obligés, ils se targuent de leur spectaculaire clandestinité, ils sont de plus en plus agressifs et belliqueux, et une part considérable de la nocence leur est due, parmi celle dont nous ne sommes pas redevables aux vagues précédentes d’immigration. Face à quoi l’Europe se demande incessamment de quels nouveaux droits elle pourrait bien les gratifier, alors qu’un nombre croissant de ses propres citoyens sont dans la misère.
Que les camps progressiste, identitaro-souverainiste, européen bien-pensant et, ajouterai-je, poutinolâtre refusent d’envisager les aspects géopolitiques globaux de la situation, je suis bien d’accord avec vous pour m’en lamenter. Je ne cesse pour ma part, avec ma faible voix, d’appeler à un retour de l’Europe dans l’histoire, avec, pour commencer, une armée et des forces d’intervention dignes de ce nom.
Votre ami et admirateur, Renaud Camus
Alain Finkielkraut.
Cher Renaud,
Il y a beaucoup d’arrogance dans les “quartiers populaires” mais je n’en discerne aucune chez les migrants qui ont vendu tous les biens pour s’entasser dans des rafiots en Méditerranée ou chez ceux qui s’efforcent, au péril de leur vie, d’arriver en Angleterre.
J’ai passé en tout cas une journée passionnante en votre compagnie.
Votre ami et lecteur fidèle, Alain
Renaud Camus.
Cher Alain,
Nous voici revenus à notre point de départ, le communiqué de l’In-nocence – lequel, lui, contrairement à vous, discerne bel et bien de l’arrogance chez nombre de migrants, et c’est ce qu’il appelle leurs “nouveaux comportements”, qu’il juge hautement révélateurs. À Cos, ils attaquent la police et répandent la peur dans le port. En Italie ils manifestent pour des nourritures plus conformes à leur tradition et se plaignent de la présence de femmes parmi les personnes chargées de les assister. À Paris et à Calais, ils se ruent sur des policiers. À l’entrée du tunnel sous la Manche, ils réglementent les accès. Partout ils défilent à visage découvert avec des banderoles revendicatives alors que bien entendu ils ne devraient même pas être là. Dans toute l’Europe les viols et les agressions qui leur sont dus se multiplient. Et je ne parle de leur effet catastrophique sur l’environnement, au sens le plus matériel et immédiat du terme : quelque endroit où ils se concentrent prend aussitôt l’aspect d’une décharge publique. On est bien loin des « demandeurs d’asile » des autres époques. N’incriminons pas les origines, les cultures, mais le nombre. Dès que le nombre permet la force, c’est la force et l’esprit de conquête qui se manifestent.
Très amicalement à vous, Renaud.
Alain Finkielkraut.
Cher Renaud,
Le nombre, en effet. Leopold Kohr, le maître à penser d’Ivan Illich, disait : « Il semble qu’il n’y ait qu’une cause derrière toutes les formes de misère sociale : la taille excessive. La taille excessive apparaît comme le seul et unique problème imprégnant toute la création. Partout où quelque chose ne va pas, quelque chose est trop gros. »
Reste que l’invasion dont nous parlons est aussi et indissolublement, comme nombre d’autres exemples que ceux que vous citez l’attestent, une tragédie humanitaire. Il serait suicidaire de vouloir accueillir toute la misère du monde. Mais avons-nous vraiment besoin d’en nier la réalité pour nous donner du courage ?
Très amicalement à vous, Alain
Renaud Camus.
Mon cher Alain,
Vous pensez bien que je suis à 100 % sur la même ligne que vous et que Leopold Kohr quant à la taille excessive de tout : des villes, des musées, des populations, des institutions, des champs, des usines à vaches, à porcs et à veaux. Voilà un des nombreux points où il n’y a pas la moindre divergence entre nous. Le gigantisme implique la normalisation, la normalisation l’interchangeabilité générale, l’interchangeabilité le remplacisme, le remplacisme le Grand Remplacement.
Je ne crois pas que ce soit à moi que l’on puisse reprocher de nier la réalité de quoi que ce soit, et certainement pas des drames humanitaires, et, dirai-je même, humains, qu’implique le remplacisme dans ses œuvres. Qu’il y ait à la gigantesque crise actuelle un aspect humanitaire et qui relève de l’entraide internationale, c’est indéniable. Il en représente entre 2 et 5 %, dirai-je. La réduire à lui, décider de ne voir et ne traiter que lui au sein de son énormité, c’est de la pure folie, de l’aveuglement criminel, au mieux une facilité de belle âme qui ne veut pas sortir du registre familier, au pis une complicité abjecte avec l’abandon de peuple et de civilisation.
Croyez à ma très kohrienne amitié, Renaud
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