Disparition de Rémy Julienne, le plus grand cascadeur français, à l’âge de 90 ans
Rémy Julienne avait fait de la cascade, un art de la compression et de la pyrotechnie. Cette légende des campagnes françaises et des cours de récréation a marqué une époque où la bagnole et le dérapage plus ou moins contrôlé guidaient le sort des Hommes. En ce temps-là, celui de la motorisation des ménages et des vraies stars de cinéma, on rêvait de flaques d’huiles, de casses abandonnées et de vols planés. Rémy, le funambule du Loiret, avait vaincu très jeune l’apesanteur. Le saut à moto, en bateau ou en auto était sa spécialité comme la praline est la confiserie emblématique de Montargis, la ville où il a rendu, hier, son dernier souffle.
On peut se demander si la cascade automobile sans artifice numérique a encore un avenir dans un monde [devenu] aussi aseptisé
Dans sa famille de « crossmen » titrés, on utilisait la poignée de gaz ou le frein à main comme d’autres jouent du pinceau ou du burin. À sa façon, ce César de la démolition sculptait les carrosseries les plus diverses. Avec lui, les voitures tournoyaient à l’écran, explosaient parfois, dans les rires gamins et les fumées provocantes. Comment expliquer à tous ceux qui ne voyaient dans ces cascades qu’un amas de ferrailles et un appel à la collision générale que Rémy était un poète du bitume, un esthète de la tôle froissée, un scientifique du choc frontal. Il exorcisait nos peurs. Il accomplissait nos rêves de courses-poursuites. Il catharsisait, diraient aujourd’hui les précieux, notre pulsion de mort. Et tout ça, sans prendre de risque. Il fut l’un des premiers européens à professionnaliser une discipline jusqu’alors pratiquée par des amateurs fougueux. Son but était de maîtriser le danger, de calculer la moindre dérive, d’anticiper les conséquences les plus graves. Rémy n’était plus alors seulement un saltimbanque du talon-pointe mais un théoricien du spectacle vivant. C’est pourquoi les productions internationales faisaient appel à lui quand on se demandait comment mettre en travers un 44 tonnes sur une route de montagne ou décapsuler une Renault 11 sur les quais de Seine.
A lire aussi: Marielle, Broca, Belmondo: le beau recueil nostalgique de Thomas Morales
J’entends encore mon camarade de classe, Alexandre, à l’âge de huit ans, très sérieusement m’avouer qu’il avait choisi sa voie. C’était décidé, il serait cascadeur comme d’autres veulent devenir président de la République ou danseuse au Crazy Horse. Je pense à lui ce matin, je sais qu’il a un pincement au cœur dans sa tour de la Défense. La vie est taquine, il n’est pas devenu Rémy Julienne mais cadre supérieur dans la finance. Il prend certainement plus de risques aujourd’hui sur les marchés exotiques qu’au volant de la Saab de son père. Vu la tournure des esprits actuels, foncièrement perverse et vindicative, on peut se demander si la cascade automobile sans artifice numérique a encore un avenir dans un monde aussi aseptisé. On fait la chasse aux émissions nocives même fictives. Bientôt, filmer des voitures sera sévèrement puni par la loi, alors les faire voltiger dans les airs ou emprunter des voies de bus à contre sens semblent un tabou ultime. Les faux moralistes veillent sur nos divertissements d’antan. Gare au tête-à-queue ! Grâce à Rémy Julienne, nous sommes heureux d’avoir connu une société qui ne s’excusait pas de brûler des autos pour les besoins d’une scène et qui s’amusait du second degré routier. La comédie populaire d’action n’était plus réservée aux Américains. Chez Oury, Lautner, Zidi, Broca, Deray ou Verneuil, Rémy était la caution automobile. Même si parfois, ça ne passait qu’à un fil, on savait que ce grand professionnel allait donner du rythme à un long-métrage poussif. Entre nous, il a sauvé quelques films par son sens de l’équilibre et de la trajectoire à l’équerre. Même Bond avait besoin des services du frenchy. Un type qui a autant fracassé de DS, 404 et de R16 a toute notre estime. Il a œuvré à une forme de décomplexion jouissive. Je me dis que Belmondo et Delon lui doivent une partie de leur gloire. Alors, aujourd’hui, juste pour le plaisir, revoyez quelques actions désormais mythiques de notre identité cinématographique. Au hasard, Jean-Paul dans « Le Professionnel » faisant hurler une Fiat 131 ou Alain dans « Trois hommes à abattre », meilleure publicité de l’année 1980 pour la Lancia Gamma face à une Citroën CX particulièrement accrocheuse. Avec toi, Rémy, la famille était en sécurité !
Hep! Vous appréciez Causeur ? Vous venez de lire un article gratuit. Pour nous soutenir, procurez-vous notre dernier numéro.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !