Les Carnets d’Ivan Rioufol: Lola, c’est la France des gens ordinaires, des oubliés. Or cette société des modestes et des taiseux indiffère les experts, les sondeurs, les commentateurs du cercle de la Raison. Cette France-là ne fait pas du pouvoir d’achat l’unique centre de ses préoccupations.
Allez ! Réveillons-nous ! Emmanuel Macron espère pouvoir continuer à dissoudre le peuple docile dans un monde ouvert, éthéré, indifférencié. Le pouvoir a déjà réussi à anesthésier le pays par ses peurs fabriquées autour du climat, du Covid, du populisme, des parias. Les Français inquiets biberonnent aux aides cotonneuses de l’État nounou : il prodigue ses soins (dites : « care ») à des enfants souffreteux. Un somnambulisme gagne progressivement la société. Elle a déjà renoncé à descendre spontanément dans les rues, sinon à la marge, depuis l’épisode décevant des Gilets jaunes il y a quatre ans. Plus généralement, une partie de la France est atteinte du « syndrome Bartleby », du nom du héros déprimé de Melville. Bartleby est un copiste méticuleux employé par un notaire de Wall Street dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Peu à peu, le clerc taciturne s’enferme dans une aboulie qui le rend immobile. « I would prefer not to », répète-t-il dans une protestation passive : il se laissera mourir. La France zombifiée connaîtra ce destin si rien ne vient la sortir de l’hébétude.
Mais tout n’est pas perdu. Les Français peuvent encore envoyer paître les prétendus enchanteurs qui, durant ces Trente Calamiteuses, ont conduit au déclin de la nation. Le pouvoir n’est d’ailleurs plus si tranquille, en dépit de ses autosatisfactions. Rien n’est plus calme qu’un dépôt d’explosifs une seconde avant la déflagration. Dans son dernier passage télévisé, Emmanuel Macron a voulu évoquer « la grande bascule », liée aux transitions démographique, écologique, sociétale. Mais c’est « la grande bouscule » qui s’est précipitée à ses lèvres dans un lapsus prophétique. Car, oui, la colère sourde est partout. Elle peut faire valdinguer les puissants. Certes, elle ne s’exprime plus dans des démonstrations de masse. Cependant, elle est palpable à chaque coin de rue. Elle ne répondra pas aux mots d’ordre de l’extrême gauche déphasée : la « Marche contre la vie chère et l’inaction climatique », le 16 octobre, n’aura rassemblé que les nostalgiques de la lutte des classes et de la révolution prolétarienne, plus quelques wokistes. Mais gare aux blessures sentimentales d’un vieux peuple blessé et idéaliste !
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Le martyr de Lola, 12 ans, est de ces coups au cœur qui peuvent sortir un pays du coma et faire rejaillir l’indignation des désabusés. Lola, c’est Jacques Demy filmant sa Nantes natale et le quai de la Fosse des années 1960. Lola, c’est aujourd’hui l’image de cette petite fille blonde aux yeux bleus, semblables aux yeux bleus de l’enfant grec de Chio qui pleure, dans le poème de Victor Hugo, son île ruinée et endeuillée par les Turcs. Lola, c’est la France des gens ordinaires, des oubliés. Or cette société des modestes et des taiseux indiffère les experts, les sondeurs, les commentateurs du cercle de la Raison. Cette France-là ne fait pas du pouvoir d’achat l’unique centre de ses préoccupations. Elle est parcourue des sentiments d’abandon et d’injustice qu’éprouvent ceux qui constatent l’imposture de l’« État protecteur ». N’a-t-il pas renoncé à faire obstacle à une immigration de masse qui laisse trop souvent entrer le pire ? Lola porte une émotion. Son calvaire suscite une douleur d’autant plus contagieuse qu’elle est méprisée par les dénégationnistes. Ils exigent d’oublier le crime au nom du respect du deuil et de la « décence ». Pour eux, pleurer l’enfant, tuée par une jeune Algérienne en situation irrégulière, est faire le jeu de l’« extrême droite ». Ces vautours-là, qui dissimulent les désastres de leur culte de la diversité, détestent le peuple sentimental. Ce sont des brutes.
Eh bien soit ! Que ces cœurs bétonnés, insensibles aux douleurs de l’âme, continuent comme ça ! Les faux gentils ont le visage borné de la censure. Ce sont eux qui empêchent, depuis des décennies, la France de respirer à l’air libre. Rien n’est plus rageant que ces marchands de morale qui se précipitent pour dénoncer politiquement des « féminicides » ou qui brandissent le portrait de George Floyd, mais interdisent de pleurer un crime rendu possible par l’État désinvolte. Dans Le Figaro du 15 octobre, Pierre Manent notait très justement : « Je n’ai jamais vu aussi peu de liberté individuelle qu’à notre époque […]. Aujourd’hui, toutes les institutions, les universités, les médias d’État sont en proie à la même idéologie progressiste. L’opinion dominante n’a plus d’ennemis ». C’est ce monde de faussaires, de lâches, de traîtres qui doit être renversé. Lamartine avait lancé la révolution du mépris. Il est temps qu’elle s’applique à ceux qui dictent le discours officiel et décrètent les excommunications.
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L’heure des comptes a sonné. Je ne veux pas croire mes compatriotes irrémédiablement gagnés par l’aquoibonisme. Je les sais, pour beaucoup, attachés à la préservation de leur nation et au destin de son peuple maltraité. La France silencieuse des provinces et des classes moyennes n’est pas prête à se laisser remplacer. Elle est à l’affût du signal. Or le moment est venu pour les Français amers, honteux de leur sort et de leur renoncement, de se lever et de dénoncer les malfaisants et les calomniateurs. Le moment est venu de dire : ça suffit ! Les idéologues du vivre-ensemble et du sans-frontiérisme, dont beaucoup ont leur carte de presse, n’ont pas seulement tué Lola en laissant venir sa mort. Ils ont saccagé l’école, fracturé la cohésion nationale, rendu la vie perpétuellement conflictuelle. C’est pourquoi ils redoutent la propagation de l’exaspération des lucides.
Ces casseurs doivent répondre de leurs actes, y compris devant la justice administrative ou civile, comme je le suggérai dans ma chronique précédente. Depuis, l’État a été condamné par le Conseil d’État à une astreinte de 20 millions d’euros pour n’avoir pas fait respecter ses normes, sur la qualité de l’air en l’occurrence. Le sénateur LR Bruno Retailleau envisage de porter plainte contre l’État, pour non-assistance à la France en danger. Oui, l’irresponsabilité politique doit aussi pouvoir être sanctionnée par un juge. Au nom du peuple français réveillé.
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