Il faut profondément mépriser le peuple pour ne pas l’entendre souffrir. Au prétexte de préserver un réformisme de façade, Emmanuel Macron a promulgué sa réforme des retraites dès le feu vert du Conseil constitutionnel. Tout pour plaire à l’Union européenne déracinée, à la davocratie sans affect et à la banque centrale faiseuse de rois.
La Macronie : un château de sable disloqué par la grande marée du monde réel. Le locataire de l’Élysée, subjugué par son nombrilisme, commence à s’extraire de son métavers. « C’est une colère qui s’est exprimée », a admis Emmanuel Macron le 17 avril, répétant ce mot qu’il ne voulait admettre. Le 25 février, au Salon de l’agriculture, il assurait encore : « Je ne sens pas la colère, je sens une inquiétude. » Déjà, en mars 2018, à l’issue d’un tour de France, Narcisse avait déclaré, à Loches (Indre-et-Loire) : « Je n’ai pas senti la colère. » On connaît la suite : huit mois plus tard, le chef de l’État était pris à partie par l’insurrection furieuse des premiers gilets jaunes, bêtes noires des syndicats dépassés ; venus spontanément des provinces et de leurs ronds-points, ils déboulaient sur les Champs-Élysées pour faire voir à tous, à travers le gilet de la sécurité routière, leurs exaspérations face à un pouvoir jacobin brutal, aveugle, sourd. Le 22 mars dernier, après le saccage des portiques du pont de Saint-Nazaire par des opposants à la réforme des retraites, une main avait tracé sur un support : « Et maintenant, tu me vois ? » Oui, Macron commence à ouvrir les yeux. Il admet, l’ego blessé, que les Français ne l’aiment pas. Il ne fait là que recevoir sa monnaie.
Crédits euphorisants
Il faut profondément mépriser le peuple pour ne pas l’entendre souffrir. « Ne rien lâcher, c’est ma devise », a lancé Fanfaron après avoir promulgué sa réforme des retraites dès le feu vert du Conseil constitutionnel, le 14 avril. Macron aura voulu plaire à l’Union européenne déracinée, à la davocratie sans affect, à la banque centrale faiseuse de rois. Ceux-ci continueront à fournir à leur protégé ses lignes de crédits euphorisants, comme les dealers fournissent en lignes de coke. Mais qui a renoncé à réformer l’État dispendieux ? Qui a gaspillé l’argent fictif au nom du démagogique « quoi qu’il en coûte » ? Qui a pétrifié la nation durant deux ans au prétexte d’une épidémie qui aurait pu faire l’économie des confinements, des passes vaccinaux, des ségrégations sanitaires ? Macron a lâché sur tout. Il a multiplié les reculades face aux minorités. Il n’y a que contre les Français ordinaires qu’il s’acharne dans la maltraitance, au prétexte de préserver un réformisme de façade. En réalité, l’auteur de Révolution perpétue un système déconnecté des gens. Il accompagne avec zèle « la dégradante obligation d’être de son temps » (Hannah Arendt). Le 17 avril, dans une brève allocution verbeuse digne d’un claque-dents de tribune ou d’un marchand d’orviétan, il s’est donné « cent jours d’apaisement, d’unité et d’action au service de la France ». Cent jours de disgrâce, avant la chute ?
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Les subjugués croyaient avoir vu en 2017, dans le profil d’aiglon du jeune président, celui du Premier Consul. Ne pinçait-il pas, comme Bonaparte avant Napoléon, l’oreille de ses grognards pour les féliciter de leur fidélité ? Depuis, l’illusionniste a été démasqué par beaucoup de ses inconditionnels. C’est le macroniste Gilles Le Gendre, thuriféraire des premières heures, qui a déclaré le 22 mars à l’adresse du Néron du faubourg Saint-Honoré : « La foule doit être entendue. » Macron n’en a rien fait. Les bienveillants veulent y voir une force de caractère. Soit. Mais alors, qu’attend le chef de l’État pour enrayer, avec la même implacable idée fixe, le déclin de la nation surendettée, submergée, déboussolée, abandonnée, dépossédée ? Après l’enregistrement de sa déclaration télévisée, bras d’honneur aux citoyens les plus modestes, le reclus a déambulé rue de Rennes comme un défi. Il s’est même joint à un groupe de chanteurs basques qui passaient là. La provocation habite ce pervers narcissique. D’ailleurs, à peine venait-il d’appeler à l’« apaisement » qu’il déclarait devant les siens, selon Le Monde : « Il faut être dur avec ceux qui veulent nous crever la paillasse. » Aujourd’hui, nombreux sont les Français humiliés qui ont fortement envie, à leur tour et dans ses mêmes termes, d’emmerder celui qui les regarde de haut. Ces trahis portent la révolte du monde réel.
L’empire du vide
La question est simple : faut-il se résoudre à supporter Macron encore quatre ans ? Si oui, dans quel état seront la nation et son peuple en 2027 ? Le président ne suit aucun cap. Il feint le mouvement dans la conformité de l’instant. « Aller vite, mais aller où ? » questionnait Bernanos. C’est un pays mis en danger par son chef halluciné qui est en situation de légitime défense. Les effondrements de la cohésion nationale, des services publics et de la démocratie elle-même sont des réalités devant lesquelles le pouvoir a rendu les armes. Le progressisme macroniste, construit sur le « en même temps » et l’apolitisme des experts, s’est vidé de sa maigre substance. Il ne produit que des pleurs et des grincements de dents. Son ancrage dans la société civile s’est révélé une imposture au bénéfice d’une oligarchie fascinée par le mondialisme et ses consommateurs interchangeables. Une caste arrogante s’est accaparé le pouvoir dans le but de préserver un système conçu pour écarter le peuple et le faire taire. La France macronienne glisse vers la démocratie illibérale, protégée par un « État de droit » protecteur des seuls intérêts des puissants en place. Les juges du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel sont devenus les instruments d’une politique qui accélère la marginalisation des citoyens indésirables.
À ce stade, un devoir de révolte s’impose. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 avait même élevé l’insurrection au rang du « plus sacré des droits, en riposte à un gouvernement qui viole le droit des peuples ». On y est. La seule incertitude est de savoir si les Français, qui pour beaucoup ont accompagné la « décadanse » (Patrick Buisson), peuvent retrouver l’énergie vitale de se rebeller. Je veux croire que oui. Plus que jamais, il est urgent d’être réactionnaire, au sens qu’en donne mon vieux Larousse 1923 : « Celui qui prête son concours à une réaction politique. »