Et si le Maroc retrouvait son identité cosmopolite grâce à son rapprochement diplomatique avec Israël ?
Le Maroc et Israël viennent de renouer leurs relations diplomatiques. Des relations rompues depuis le fiasco du processus de paix israélo-palestinien au milieu des années 1990. Il s’agit d’un événement historique dont l’éclat est malheureusement offusqué par le « tout-coronavirus » qui maintient les médias internationaux la tête dans le guidon.
Sur le plan des symboles, ce n’est pas tous les jours que des officiels Arabes et Israéliens assument publiquement leur collaboration. A Rabat, le 22 décembre dernier, l’envoyé israélien, Meir Ben Shabbat, s’est adressé aux Marocains dans leur dialecte pour leur exprimer sa joie de se retrouver parmi eux dans la terre de ses ancêtres. Quel contraste avec l’image de l’Israélien qui se réveille le matin pour « casser les os des Arabes » …
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Sur le plan politique, les Américains, parrains du rapprochement, ont reconnu la souveraineté du Maroc au Sahara, une vieille revendication marocaine et qui se trouve exaucée dans les derniers jours du mandat de Donald Trump. Qui aurait pu croire que l’ennemi juré des musulmans était capable de faire un tel geste ? Thank you Mr. President !
Sur le plan humain, tout reste à faire. Il y a tellement de temps à rattraper et d’obstacles à surmonter. L’opinion publique, sidérée par le battage médiatique autour du corona, doit encore, à mon avis, s’habituer au fait accompli. Elle est solidaire de la cause palestinienne et sous l’influence de la propagande wahabite. Il faudra du temps et de la pédagogie. Le mieux est de regarder la réalité en face et d’assumer le choix qui a été fait : à la cause palestinienne, le Maroc a préféré la cause marocaine en renforçant son avantage dans le conflit du Sahara et en se réconciliant avec soi-même, c’est-à-dire avec les juifs marocains installés en Israël. Il est normal de ressentir de la gêne, elle fait partie du sacrifice qu’un peuple accomplit pour avancer. C’est la vie, le succès sourit à ceux qui acceptent de faire des choses qui leur sont désagréables.
L’intransigeance est un luxe réservé aux enfants qui jouent à la guerre avec des figurines de soldat et des miniatures de tank. Les adultes eux regardent plus loin que le bac à sable, ils évoluent dans un monde où la marge de manœuvre est limitée et où les choix sont douloureux.
Retour d’un Maroc cosmopolite ?
À titre personnel, je suis enthousiaste. En renouant avec Israël, le Maroc a une chance de retrouver son identité perdue c’est-à-dire son cosmopolitisme. Jusqu’au début des années 1970, le Maroc était un pays à deux civilisations : la musulmane et la juive, deux univers séparés. La première a toujours été hégémonique mais incapable de se rénover, la seconde n’a jamais eu ni pouvoir ni prestige mais elle a admirablement bien négocié son entrée dans la modernité. Au contact de la colonisation française (1912-1956), les sépharades marocains ont su se réinventer sans cesser d’être eux-mêmes. Aux yeux des musulmans, ils étaient une synthèse de laquelle ils pouvaient s’inspirer sans craindre l’assimilation, le juif étant un voisin que l’on connaît bien, le Français étant un conquérant duquel on se méfie.
Les Français partis en 1956, les juifs sont restés et ont continué à irriguer la société marocaine dans son ensemble telle une source d’eau douce qui coule sans faire de bruit, au goutte-à-goutte. Cette « diversité » a disparu avec les soubresauts du conflit israélo-arabe et l’approfondissement de la crise économique, deux motifs suffisants pour émigrer vers Israël. Depuis les années 1970, la civilisation musulmane du Maroc est en chute libre, privée de son « sparring partner », de son contre-modèle qui la mettait au défi de se renouveler.
Retrouver la vieille proximité entre musulmans et juifs marocains
Au fond, l’enjeu principal n’est pas de renouer avec Israël mais de retrouver la vieille proximité entre musulmans et juifs marocains. Elle est pure « création de valeur » pour reprendre une expression en vogue chez les experts. Elle sera beaucoup plus rentable pour le Maroc que tous les investissements économiques que ce nouvel accord ne manquera pas de générer.
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Bien sûr, le monde a changé et il n’est pas question de réinstaller les juifs d’aujourd’hui dans les mellahs (quartiers réservés en médina). La proximité que j’appelle de mes vœux se jouera dans les librairies, dans les espaces de co-working, sur les terrasses de café et sur internet.
L’avenir nous réservera de belles surprises.
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