Accueil Édition Abonné Régis Mailhot: « Si Twitter avait existé dans les années 1940, les caves auraient été vides »

Régis Mailhot: « Si Twitter avait existé dans les années 1940, les caves auraient été vides »

L'humoriste doit adapter son discours à cause des réseaux sociaux


Régis Mailhot: « Si Twitter avait existé dans les années 1940, les caves auraient été vides »
Régis Mailhot. ©Chloé Jacquet

Si l’humoriste ne s’exprime pas de la même façon à la radio et sur scène, c’est en grande partie à cause de la pression des réseaux sociaux qu’il qualifie de « pot de chambre participatif ». Conscient qu’un lynchage sur Twitter peut condamner un artiste à la mort sociale, il s’inquiète de ce poujadisme des élites. 


Causeur. En plus de vos spectacles, vous officiez à la radio depuis de nombreuses années en tant qu’humoriste. Les réseaux sociaux vous ont-ils compliqué la tâche ?

Régis Mailhot. Ils l’ont surtout démultipliée… Les réseaux sociaux agissent comme une caisse de « déraisonnance ». Quand j’ai débuté, je recevais des courriers, des e-mails. C’était sur France Inter, donc je me faisais insulter pour une faute de grammaire. Mais un rédacteur en chef, un patron des programmes pouvait choisir de ne pas vous les transmettre. C’était plus facile de ne pas être parasité, de ne pas dévier de sa ligne de conduite. Aujourd’hui, les critiques, les demandes de renvoi et surtout les insultes sont publiques. Twitter, c’est le pot de chambre participatif du web. Personne ne nettoie. N’importe quelle blague peut m’attirer une « fatwa » ou une « cabale » de tel ou tel groupe déchaîné. Cette malveillance, souvent anonyme, finit par peser sur un artiste et sa manière de travailler.

La facilité est de taper sur des cibles satiriquement correctes, comme Christine Boutin

Dans le monde de Facebook et Twitter, il faut être aimé, ce qui favorise un humour inoffensif s’attaquant à des cibles universellement détestées.

La facilité est de taper sur des cibles satiriquement correctes, comme Christine Boutin… que je n’ai pas épargnée. Les « salauds » officiels rassurent et endorment l’esprit critique. Or, un bon humoriste doit attaquer la bêtise en général et non telle ou telle personnalité, communauté ou groupe d’opinion. Ce qui est intéressant, c’est d’apporter un peu de nouveauté et de taper sur la bêtise émergente. Par exemple, au début des années 2000, j’étais l’un des premiers à me moquer de l’intégrisme religieux qui prenait la couleur de l’islamisme, en parlant du voile, de la possibilité ou non de conduire avec un niqab. On me disait : « Tu vas loin ! » alors qu’aujourd’hui tout le monde fait des blagues sur la burqa.

Ah bon ? Nous avons plutôt l’impression que, depuis la Manif pour tous, tous les humoristes tapent avec entrain sur le même clou catho. Comment avez-vous traité le sujet ?

Finesse et délicatesse, comme toujours… Dans ce débat qui parlait d’égalité, la seule chose vraiment égalitaire a été la connerie. J’avais fait un papier sur le double point Godwin : on avait bouffé du nazi des deux côtés. Xavier Bongibault, porte-parole homo de la Manif anti-homo avait comparé Hollande à Hitler. Comparer Hollande avec un type un peu autoritaire, c’était assez audacieux, voire crétin. De l’autre côté, Pierre Bergé a déclaré à son propos que « chacun a son bon pédé, comme autrefois chaque antisémite avait son bon juif ». J’ai rappelé qu’on pouvait très bien être homosexuel et antisémite… Souvenez-vous de Brasillach. Les deux parties m’ont engueulé à tour de rôle pour s’être senties offensées suivant le principe : « Vous pouvez rire de tout, sauf de ma chapelle ! »

Je fais plus attention à ce que je raconte à la radio que dans mes spectacles

C’est un peu le principe des humoristes de France Inter : se moquer de la droite… et de la droite ! Que pensez-vous de cet humour clairement orienté ?

Pour ma part, j’ai arrêté de dire du mal de la droite, ils le font très bien eux-mêmes ! Plus sérieusement, cela a toujours été. Le clientélisme existe aussi dans nos métiers. On lira rarement un édito pro-Taubira dans Valeurs actuelles. À mon sens, l’humoriste ne doit pas être engagé, mais dégagé. Comment être impertinent si l’on sert une cause ? Cet esprit libertaire m’a toujours animé. Ceci dit, même sur RTL, je fais plus attention à ce que je raconte à la radio que dans mes spectacles. D’ailleurs, quand on me pourrit sur les réseaux, c’est toujours à cause de la radio, jamais à cause des spectacles. Les gens qui paient pour me voir sur scène savent ce qu’ils ont acheté. En général, ils n’ont pas abdiqué sur le second degré. À la radio, il faut faire rire en cinq minutes un million d’auditeurs qui ne m’ont pas choisi, tout ça entre deux pubs, dans le contexte d’une émission de promotion avec un invité qui pianote sur son iPhone. Certains jours, ce n’est pas évident. Cela dit, on ne devrait pas attacher une telle importance aux petits débats d’internet. L’information ne devrait pas se nourrir à l’Agence France Tweet qui fabrique de l’opinion artificielle. Twitter suscite des empoignades entre quelques initiés ou fanatiques enfermés dans une boîte, mais les gens s’en foutent. Ils ont d’autres préoccupations et sont plutôt déconnants.

Si vous le dites. Donc votre manière n’est pas devenue plus « premier degré » ?

Assez peu. J’ai la chance de ne pas faire partie de cette aristocratie du rire sur laquelle les médias concentrent la lumière. RTL, c’est un peu trop populaire, peut-être. À l’époque où je faisais ma chronique le midi sur France Inter, j’ai eu le droit à un papier dans Les Inrocks. Aujourd’hui alors que plus d’un million de personnes écoutent mon billet quotidien sur RTL, je suis en dehors de ces radars-là. Donc finalement plus peinard.

Je ne goûte guère aux plaisanteries misogynes, mais je goûte encore moins qu’on me les interdise

Tant pis pour Les Inrocks !  Depuis les attentats de 2015, un journal de rigolos, Charlie Hebdo, est devenu un symbole…

De journal confidentiel, Charlie est devenu d’un coup d’un seul le blister officiel de la liberté d’expression. Sept millions de nouveaux lecteurs se sont donc abonnés à la liberté d’expression en achetant le numéro post-attentat avant de brailler deux semaines plus tard : « Mais c’est dégueulasse, ils vont un peu trop loin ! » Or, Charlie, c’est justement le mauvais goût assumé, l’outrance rigolarde, le transgressif régressif. Que tout le monde soit soudainement Charlie a favorisé une forme d’opportunisme dans l’humour. C’est devenu une cause plus mainstream, alors qu’en 2014 on n’était pas nombreux à parler de Daech dans un sketch.

Cette cause consensuelle, cher Régis, suscite des torrents de haine sur internet. Et elle est abordée très discrètement par les grands médias…

La pudeur certainement… Cela dit, rassurez-vous, chaque « cause » suscite sa haine ! Chacun est devenu le flic de l’autre. Si Twitter avait existé dans les années 1940, les caves auraient été vides.

Point Godwin ! Mais vous dites sans doute vrai. Les femmes sont-elles devenues le sujet dangereux ?

C’est le tabou absolu du moment ! Pour ma part, je ne goûte guère aux plaisanteries misogynes, mais je goûte encore moins qu’on me les interdise. Si les femmes qui ont un point de vue divergent se font allumer, imaginez le sort d’un homme qui blaguerait à ce sujet. L’affaire Tex est symptomatique. Ses ex-patrons se sont servis de sa vanne comme prétexte pour le virer en sachant très bien que ce sujet tabou les protégeait du moindre reproche. C’est un procédé particulièrement dégueulasse. Plus généralement, je constate une forme de « terreur ». On parle de libération de la parole alors qu’on enferme la pensée. Quand on commence à avoir peur de s’exprimer, c’est inquiétant. Qu’on libère la parole, c’est très bien, mais qu’on les libère toutes ! Au pays de Voltaire, ayons confiance en l’intelligence pour faire le tri.

Cette censure provient de la base. La pression ne s’exerce-t-elle donc jamais d’en haut, de la part d’un actionnaire ou d’un rédacteur en chef ?

Quand cela arrive, c’est toujours à la suite d’une autre pression. Un lynchage sur Twitter peut condamner quelqu’un à la mort médiatique, donc sociale dans le cas d’un humoriste. Ce qu’on appelle la « bien-pensance » n’est en fait qu’un poujadisme des élites. Dès qu’on ne pense pas comme elles, on pense mal. De plus, les censeurs sont des vendeurs de tolérance qui n’ont jamais aucun échantillon sur eux, les fourbes. C’est une police de la pensée en Stan Smith, avec une apparence plus cool que les flics d’antan, mais des méthodes tout aussi staliniennes !

Et à part ça, on peut rire maintenant ?!

Février 2018 - #54

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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