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Régis Debray, le réel et son trouble

Le philosophe publie "D’un siècle l’autre" (Gallimard, 2020)


Régis Debray, le réel et son trouble
Régis Debray © Photos: Hannah Assouline

Sans nostalgie ni regrets, quoique avec une pointe de mélancolie, Régis Debray pose un regard indulgent sur son passé et le nôtre. L’ancien révolutionnaire qui voulait changer le monde avec des idées sait désormais que les peuples ne vivent pas d’abstractions. Observant la fin de la civilisation de l’écrit, il dissèque avec lucidité et gourmandise cette époque qui n’est pas tout à fait la sienne.


Au risque de fâcher notre philosophe, je me demande si la lecture de l’œuvre de Régis Debray n’est pas l’une des plus exaltantes écoles de conservatisme politique qui soient – pas de retour en arrière, mais de politique soucieuse de préserver ce qui mérite de l’être. Régis Debray parle si bien du monde d’hier, des possibilités humaines qui s’y jouaient, des aspirations fondamentales qui s’y exprimaient et auxquelles, bon an mal, les temps savaient répondre, il éclaire si vivement le monde dans lequel nous vivons et la nouvelle figure d’humanité qui s’y dessine, aplanie sur le présent, rétrécie aux dimensions de son moi, pauvre en imaginaire, que l’on referme tous ses livres avec le désir véhément de sauver ce qui peut encore l’être afin que le monde de demain soit encore un peu le monde d’hier.

Que l’on ne se méprenne pas. Nulle inclination à la désolation ou à l’indignation chez Debray. Non plus à la nostalgie. Pas davantage d’ailleurs, à l’euphorie. Debray se tient à égale distance, pour prendre les deux pointes extrêmes d’un même compas, de Michel Serres et d’Alain Finkielkraut. Du premier, il partage les curiosités et les intérêts, le goût de la technique et des nouvelles technologies ; du second, les fidélités et les tendresses (Israël excepté), l’attachement aux Humanités, à la langue, aux institutions. Il n’a toutefois pas les béatitudes du premier ni les inquiétudes et les colères du second. Enfin, là où l’un voit exclusivement des gains et l’autre d’abord des pertes, Régis Debray, lui, s’efforce de ne pas penser en ces termes, moralement connotés.

DEBRAY-Regis-causeurLe monde de Debray n’est pas pour autant un monde sans perte, sans larmes, sans deuil. Homme venu d’une autre rive temporelle, formé selon les modalités de vie et de pensée du vieux monde qu’il aime, Debray ne connaît pas la hantise du progressiste de paraître en retard sur son temps et singulièrement sur la jeunesse. Il est également épargné par cette autre maladie congénitale de la gauche, diagnostiquée par Jean-Claude


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Janvier 2021 – Causeur #86

Article extrait du Magazine Causeur




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est docteur en philosophie. Derniers essais: Libérons-nous du féminisme! (2018), Le Crépuscule des idoles progressistes (2017)

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