Régionales: la fièvre du dimanche soir


Régionales: la fièvre du dimanche soir

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Qui se souvient de la soirée télé consécutive aux élections départementales de mars dernier ? À part les professionnels de la profession politique et assimilés, sondeurs, journalistes, politologues, la raclée subie par la gauche dans les départements n’a marqué la mémoire de personne. Elle était attendue, actée dans les esprits, intégrée dans les stratégies à venir. Déjà, la perspective d’une progression sensible des voix du FN avait mis en émoi le microcosme politique et médiatique. Mais l’impossibilité mathématique, liée au mode de scrutin majoritaire, de voir le parti de Marine Le Pen s’emparer du pouvoir exécutif dans quelques départements avait tempéré les passions.

Dans les états-majors des partis dits de gouvernement, on poussait un soupir de soulagement en constatant que le FN n’avait pas atteint les sommets prédits par certains sondages, et chacun voyait midi à sa porte : à gauche, les effets délétères de l’éparpillement des candidatures justifiaient l’injonction faite aux écologistes et au Front de gauche de ne pas renouveler, à la présidentielle de 2017, les erreurs de celle de 2002. À droite, Nicolas Sarkozy se voyait conforté dans son leadership par un indéniable succès de ses poulains dans les territoires.

Les élections régionales étaient alors considérées comme une péripétie secondaire de la vie politique, simple prolongement de la courbe enregistrée lors des départementales. Le prochain round important était programmé pour les primaires de la droite, chacun des prétendants à la candidature faisant profil bas et unitaire pour un scrutin ne passionnant pas les foules.

L’événement survint, un de ces événements qui donne le cauchemar à tous les marmitons de la cuisine politique habituelle. Les tactiques les plus sophistiquées, les coups de billard à six bandes les plus élaborés, les laborieux arrangements entre prétendus amis volent en éclat, fracassés par une énorme colère, celle d’un peuple qui ne se sent plus protégé. Le citoyen, quelle que soit ses penchants politiques, se transforme en un « Wutbürger »[1. le « Wutbürger » est le citoyen allemand en colère, habituellement modéré, mais qui vilipende les Grecs et refuse les migrants, décrit en 2010 par l’essayiste Dirk Kurbjuweit.], ce bourgeois en colère prêt à toutes les transgressions pour signifier son exaspération aux détenteurs du pouvoir. L’exutoire d’une grande manifestation de masse réchauffant les cœurs, comme celle du 11 janvier après les massacres de Charlie et de l’Hyper Cacher, leur est interdite par l’état d’urgence. Cela laisse la colère bouillonner, avec comme seul soulagement possible l’utilisation rageuse d’un bulletin de vote lors d’une élection dont les conséquences ne semblent pas engager le destin de la nation. Une ou deux régions aux mains du FN ? So what ? Ni Fréjus, ni Béziers ne sont à feu et à sang après l’accession de maires adoubés par Marine, dont on voit aujourd’hui certaines propositions qualifiées naguère de fascistes adoptées sans frémir par un gouvernement de gauche ! Qu’on ne vienne pas nous refaire le coup du grand méchant loup lepéniste alors que les loups, les vrais, sont entrés dans Paris !

L’aiguille des sondages s’affole, le système se met à turbuler sérieusement, menaçant d’emporter dans une tourmente les prétendants au pouvoir de demain.
C’est cela qui va rendre la soirée électorale de dimanche palpitante, sinon dramatique. Ce qui devait être un tour de chauffe devient un banco, et bien malin est celui qui, la veille peut prédire qui va ramasser la mise. Les perdants mineurs sont déjà connus : EELV, grand vainqueur des élections 2010 grâce au coup de génie de Daniel Cohn-Bendit, va prendre une claque monumentale à la suite des errements de ses notables, dont la constance à avoir tout faux force l’admiration. Le Front de gauche est voué à faire de la figuration, déchiré entre les tenants de la rupture avec le PS, comme Mélenchon, et les vieux briscards du PCF qui savent bien que, sans les socialistes, ils sortent du paysage politique.

Au PS, la situation est ubuesque : les suites du 13 novembre ont exfiltré, fonction oblige, François Hollande, et dans une moindre mesure sa garde rapprochée (Valls, Cazeneuve, Le Drian) du cercle des maudits, mais la situation du parti sur le terrain est pour le moins délicate. Il serait alors indécent de crier victoire en pointant l’échec de la droite, si la force du FN privait Les Républicains des succès attendus.

Pour Hollande, cette « victoire » pourrait être le cimetière d’Eylau décrit par Victor Hugo avec les yeux de son père, capitaine dans la Grande Armée, dont la compagnie comptait cent vingt hommes avant la bataille :

« Soudain le feu cessa, la nuit sembla moins noire.

Et l’on criait : Victoire ! et je criai : Victoire !

J’aperçus des clartés qui s’approchaient de nous.

Sanglant, sur une main et sur les deux genoux

Je me traînai ; je dis : — Voyons où nous en sommes.

J’ajoutai : — Debout, tous ! Et je comptai mes hommes.

 Présent ! dit le sergent. — Présent ! dit le gamin.

Je vis mon colonel venir, l’épée en main.

 Par qui donc la bataille a-t-elle été gagnée ?

 Par vous, dit-il. — La neige était de sang baignée.

Il reprit : — C’est bien vous, Hugo ? c’est votre voix ?— Oui. — Combien de vivants êtes-vous ici ?

—    Trois »

Pour Nicolas Sarkozy, en revanche, la nuit prochaine pourrait annoncer Waterloo. Son retour de l’île d’Elbe (en l’occurrence le cap Ferrat), s’était plutôt bien passé en dépit des augures. Son génie manœuvrier l’avait ramené au sommet de son camp, en dépit des complots visant à l’en écarter. Mais, alors que dans l’ombre, ses Talleyrand et Fouché fourbissent leurs armes en faisant mine d’être loyaux, il sait qu’un échec, même relatif, aux régionales lui sera fatal. S’il ne peut vaincre qu’avec le retrait sans conditions des listes de gauche, il n’est plus le général triomphant, mais le chef en haillons d’une armée sauvée de la déroute par son rival. Dans cette hypothèse, on écoutera, dimanche soir avec attention les propos de ses amis François Fillon, Bruno Le Maire et Alain Juppé. Bonne soirée à tous.

*Photo: Sipa. Numéro de reportage : 00733097_000015.



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