Ni une ni deux : zéro pointé. Après la courte euphorie des scores stratosphériques du premier tour des régionales, le Front national a essuyé un revers cinglant en finale. Que lui a-t-il donc manqué pour pulvériser le plafond de verre ? Probablement un soupçon de crédibilité. C’est un fait, les Français en ont ras le bol. Mais pas au point de jeter leur dévolu sur un parti dont ils doutent encore des compétences. Le FN inspire-t-il toujours la peur, le rejet, le dégoût ? Pas assez pour empêcher son ascension aux européennes et aux municipales. Le No pasaran a fait long feu, la crainte d’une « guerre civile », agitée comme un épouvantail déplumé par un Manuel Valls en panne d’arguments, n’effraie plus guère en ces temps d’insécurité chronique. Ségolène Royal nous avait déjà fait le coup en 2007 : à l’en croire, l’élection de Nicolas Sarkozy provoquerait des émeutes à travers la France : « Ma responsabilité aujourd’hui, c’est à la fois de lancer une alerte par rapport aux risques de cette candidature et par rapport aux violences et aux brutalités qui se déclencheront dans le pays », prophétisait-elle alors sur RTL. Sarkozy a été élu, il n’y a pas eu de guérilla urbaine. À force de crier au loup, les socialistes en deviennent inaudibles.
En vérité, le FN ne joue plus vraiment sur les peurs : il joue sur les rêves. Celui de restituer à la France sa souveraineté et sa flamboyance passée, de faire voler en éclats un système qui broie et précarise les peuples, de s’ériger contre la mort annoncée de notre civilisation. Face à la sinistrose ambiante, les Français ont besoin d’espoir. Ni l’égalitarisme de gauche ni le libéralisme de droite ne les font plus vibrer. Les secteurs qui ont plébiscité le FN sont en grande partie ceux où le chômage sévit le plus. Ces Français-là n’ont plus rien à perdre, et sont, dès lors, désireux de tester un parti qui n’a jamais gouverné. Mais il y a aussi ces 50,09 % d’électeurs qui ne jugent même plus utile d’exprimer leur ressenti dans les urnes au premier tour. Fatalisme ? Mépris pour les politiques ? Satisfaction passive d’assister à l’éclosion d’un vote coercitif et protestataire mais sans y adhérer totalement ? Si ce taux a chuté de 8,55 % au second tour, la mobilisation n’a que peu profité au FN, les voix se reportant majoritairement sur ses concurrents pour lui faire barrage. Les abstentionnistes du premier round ont donc estimé qu’une victoire du FN leur serait encore plus dommageable que celle de la droite ou de la gauche. Et là, davantage que la terreur d’une peste brune, serait-on tenté d’y voir un scepticisme persistant quant à la crédibilité du programme économique frontiste, doublé d’une appréhension que sa prise de pouvoir fasse fuir les investisseurs et les touristes. Gérer une ville, passe encore, mais une région… Triangulaires ou non, les candidats bleu marine ont échoué, n’améliorant que peu ou pas leurs scores, dans un contexte post-attentats qui leur était pourtant très favorable. Ils ont certes pâti, dans deux régions, de la bonne conscience socialiste qui, minée par un front républicain en ruines, n’a eu d’autre choix que de faire une croix sur sa représentativité au Conseil régional. En Ile-de-France, Valérie Pécresse a même bénéficié du report de voix d’un certain nombre d’électeurs FN pragmatiques, visiblement peu motivés à l’idée de se coltiner six ans de Bartolone.
À droite comme à gauche, la victoire est amère. Un état des lieux s’impose pour contrer le nouveau « premier parti de France ». Le 12 décembre à Berlin, Manuel Valls a appelé de ses vœux la création d’un « pacte sécuritaire » et « social » européen pour contrer la « crise migratoire », la « menace terroriste » et… la « montée des populismes ». De son côté, Nicolas Sarkozy se retrouve conforté dans sa ligne droitière et s’apprête à se débarrasser de l’encombrante NKM, intarissable détractrice de la stratégie ni-ni. Quant à son rival Juppé, il s’est fendu d’un discours digne d’une présidentielle pour livrer sa « vision de la France », de la « patrie », « moderne, forte, fidèle à ses valeurs, son histoire, sa culture », bien conscient que la campagne de 2017 sera nimbée de réminiscences gaullistes sur fond de nostalgie des Trente Glorieuses. Du rêve, on vous dit.
*Photo: Sipa. Numéro de reportage : 00734729_000007.
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