Aux élections régionales de 2010 – qui avaient été un naufrage pour la droite parlementaire puisque toutes les régions sauf une étaient passées à gauche (21 régions sur 22) – l’UMP, le Modem et les divers droite cumulaient 30,2 % des voix au premier tour. Hier au premier tour des régionales, les mêmes composantes (LR + UDI + Modem + DVD) cumulent 27,6% des suffrages exprimés. C’est un recul de 2,6% par rapport à la situation précédente, qui avait été analysée comme un échec cuisant de la droite !
Par rapport au précédentes régionales, la gauche (hors Front de gauche) a elle aussi fortement reculé, passant de 43% (PS + écologistes + DVG) à 32% hier (PS + EELV + DVG). Mais cet effondrement est principalement dû au recul très fort des écologistes, le PS passant de 28,6% en 2010 à 23,1% hier. Mais si l’on regarde le bloc de gauche gouvernementale (socialistes et écologistes, hors front de gauche), on remarque sa stabilité depuis 2012 : 30,9% des voix au premier tour des présidentielles de 2012 (François Hollande + Eva Joly), 30% des voix aux départementales de 2015. On peut même noter un progrès significatif par rapport aux européennes de 2014, où le bloc de gauche gouvernementale (PS + EELV) ne faisait que 26%.
En dehors de la percée exceptionnelle du Front national dans le premier tour d’hier, le fait majeur de ces élections est donc la déroute de la droite gouvernementale, dite « classique ». Elle perd 10 points entre les départementales de 2015 et le premier tour des régionales, les listes UMP + UDI + DVD passant de 37% à 27,6%… Elle perd 9 points par rapport au premier tour des présidentielles que la droite a perdues, passant de 36,4% (Sarkozy + Bayrou) à 27,6% aux régionales 2015.
La droite parlementaire est donc en déroute. Même si cette déroute sera masquée par le gain de 4 ou 5 conseils régionaux. C’est là le paradoxe de ces élections.
Comment inscrire ce résultat dans la durée et comment esquisser son évolution future ?
La droite « classique » se vide de ses électeurs au profit du Front national. Il est certain que les premières victoires du FN, le menant de quelques points à environ 15% de l’électorat, se sont faites sur un fond d’électorat ouvrier. Dans un premier temps, le FN a siphonné les voix du PC. Mais aujourd’hui la dynamique qui permet au FN de passer des 17% réalisés par Jean-Marie Le Pen au premier tour des présidentielles de 2002 à près de 28% aux régionales de 2015, en faisant le premier parti de France, repose sur le siphonage des voix de la droite classique. Les 9% que la droite a perdus entre les présidentielles de 2012 et les régionales d’hier sont bien passées au FN. Il est clair que la droite travaille, volontairement ou involontairement, consciemment ou inconsciemment, à faire avancer les idées du FN. C’est toute la stratégie sarkozyste de reconquête du pouvoir qui est remise en question.
Il ne faut pas être grand devin pour annoncer que cette dynamique va se poursuivre. Mais elle pourra prendre deux formes. Les deux étant révolutionnaires, au sens où la situation qui en sortira va révolutionner la vie politique française.
La révolution populiste est une première possibilité : la droite prend conscience qu’elle est en ruines, que feux le RPR et l’UDF qui faisaient jadis près de 50% des voix n’en font plus que 25 aujourd’hui et peut-être demain 20% seulement. Et sous l’influence d’une idéologie buissono-zémourienne, elle décide de faire une alliance de gouvernement avec le FN sur un programme identitaire et relativement protectionniste au plan économique.
La révolution conservatrice est l’autre éventualité : la gauche socialiste ayant fait sa révolution macronienne, elle prend conscience que seule une feuille de papier à cigarettes la sépare désormais de la droite parlementaire, surtout après les attentats qui ont vu Hollande se muer en chef de guerre, et elle décide de faire alliance d’une manière ou d’une autre avec la droite face au FN. Programme européiste, libéral au plan économique, discrètement atlantiste et néo-conservateur au plan international.
Si on se réfère aux analyses socio-politiques d’Emmanuel Todd, on voit que la droite et la gauche parlementaires ont en commun de s’appuyer sur les familles sociologiques « inégalitaires », alors que le FN s’appuie sur la France « égalitaire » dans les régions qui ont engendré la Révolution. Cette analyse plaide plus pour la seconde hypothèse formulée.
Dans les deux cas, la vie politique française en sortira bouleversée. La déflagration sera forte. Les prochaines présidentielles, et en particulier les primaires à droite, vont déterminer laquelle de ces deux déflagrations va retentir.
*Photo : © AFP BORIS HORVAT.
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