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Palestiniens au Liban: et s’il était plutôt là, votre “apartheid”?

Depuis 1948, le Liban a accueilli sur son sol des centaines de milliers de Palestiniens


Palestiniens au Liban: et s’il était plutôt là, votre “apartheid”?
Des enfants photographiés dans le camp de réfugiés de Chatila à Beyrouth, Liban, 19 mars 2024 © Collin Mayfield/Sipa USA/SIPA

Les réfugiés palestiniens sont depuis des années une population honteusement marginalisée au Liban, sans que cela émeuve grand monde dans les pays arabes ou dans une opinion internationale trop occupée à taper sur Israël.


Ces derniers temps, on a vu Amnesty International accuser Israël d’être un État « apartheid ». Étrange accusation. En réalité, à l’exception de la Jordanie, qui, depuis 1949, a donné aux Palestiniens vivant sur son sol, le droit à la nationalité et souvent au travail, ce sont les États arabes qui, depuis 1949, pratiquent une politique d’apartheid vis-à-vis des Palestiniens. Prenons l’exemple de la situation de ces derniers dans l’un des États arabes les moins autoritaires, le Liban. Que constatons-nous, déjà à l’époque de l’« âge d’or » de la « Suisse du Moyen-Orient », donc bien avant la guerre civile et la faillite de l’État ?

Que, afin de provoquer l’exil d’un maximum de Palestiniens, les gouvernements libanais successifs ont promulgué une série de lois liberticides qui empoisonnent la vie des réfugiés. Parmi celles-ci, l’impossibilité, une fois sortis du Liban, d’y retourner, à moins d’obtenir un visa de retour[1], chose que l’administration libanaise n’octroie pas facilement. Et, pour être sûr que leurs départs soient définitifs, des procédés administratifs, empêchant leurs retours, ont été instaurés. Résultat : en quelques décennies, environ 100 000 Palestiniens, sortis du Liban, s’en sont retrouvés exclus.

Camps insalubres

Afin de saisir la situation de ces réfugiés, voici quelques exemples de mesures prises à l’encontre de ceux-ci. 

Pour commencer, ils ont été regroupés dans des camps, avec interdiction, inscrite dans le préambule de la Constitution libanaise en 1990[2], de « s’implanter » dans le pays de façon définitive. Défense d’accéder à la propriété immobilière, et même d’hériter de biens immobiliers acquis antérieurement par leurs géniteurs, et cela en dépit de l’atteinte à la propriété privée[3] et des problèmes humanitaires que cette restriction pouvait générer.

Interdiction de toute réédification des camps détruits durant la guerre civile libanaise (1975-1990). Certes, de nouveaux camps ont été bâtis sous le contrôle de l’UNRWA, cependant l’augmentation de leur nombre n’a pas suivi l’accroissement de celui des habitants[4]. En outre, des camps sont dans un état catastrophique : des réseaux d’eau, de plus en plus insuffisants, voisinent avec des égouts non couverts, provoquant de nombreuses maladies.

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Impossibilité de développer les camps situés à Beyrouth. Pire, il a été ordonné à l’UNRWA d’arrêter tous les projets d’amélioration d’infrastructure de ces camps, y compris la réfection des rues. Résultat : l’énergie électrique y est souvent indisponible, et la quantité d’eau distribuée, insuffisante. Et comme la gestion publique de l’eau entraîne des frais, l’entretien des canalisations a été négligé. Tout ceci ne semble guère tracasser l’UNRWA : au lieu de s’insurger, celle-ci s’est abstenue d’effectuer tout travail de restauration des systèmes de canalisation d’eau, de même que ceux de l’électricité[5].

Empêchement de devenir propriétaires de leurs logements. Bien que ceux-ci soient à la fois exigus et incommodes, l’interdiction de faire entrer dans les camps des matériaux de construction, fait que les réfugiés n’ont pas la possibilité d’en améliorer le confort, voire dans certains cas de les réhabiliter.

Droits élémentaires bafoués

Du point de vue juridique, les droits collectifs des Palestiniens sont bafoués. Non seulement ils sont empêchés d’acquérir la citoyenneté, mais leur identité n’est pas reconnue, ce qui les prive de représentation locale. Refus de toute possibilité de participation aux décisions administratives, y compris celles qui les concernent directement, et aucun droit à l’auto-administration.

La loi libanaise qui permet aux étrangers de constituer des associations, refuse ce droit aux Palestiniens. Défense de constituer des syndicats, ou même de se syndiquer (pour adhérer à un syndicat, il faut être de nationalité libanaise). Inutile de préciser que les Palestiniens ne disposent d’aucun droit de vote, et que, a fortiori, toute constitution de parti politique leur est interdite[6].

C’est peu dire que les Palestiniens ne s’épanouissent pas par le travail : faute de passeport libanais, il ne leur est pas possible de travailler dans le secteur public. Et pour ce qui est du secteur privé, les lois libanaises exigent une autorisation spéciale du ministère du Travail, ce qui n’encourage guère les entreprises à embaucher des Palestiniens. Et quand ceux-ci le sont, c’est généralement à des salaires bien inférieurs à ceux octroyés aux Libanais. Les réfugiés se retrouvent, dès lors, employés comme main-d’œuvre peu ou pas qualifiée. En résumé, les « métiers » que les réfugiés peuvent pratiquer sont la culture de la terre, comme journaliers, la maçonnerie, les travaux mécaniques, et ceux des réparations[7]. Et cela sans qu’ils puissent bénéficier de quelque avantage que ce soit de la part de la Sécurité sociale, encore et toujours parce qu’ils ne sont pas libanais. Conséquences : plus de 60% des Palestiniens ne dépassent pas le seuil de pauvreté défini par l’ONU.

De plus, ces réfugiés sont victimes d’un « véritable désastre sanitaire » (selon l’avocat palestinien Souheil El-Natour) : empêchés d’accéder aux hôpitaux publics, c’est l’UNRWA qui les prend en charge ; cependant, comme le budget de l’agence réservé à l’hospitalisation est dérisoire, les malades doivent participer aux frais à hauteur de 50 à 75% des charges. Cette insuffisance de budget a pour effet la multiplication de maladies.

Concernant la lutte contre les épidémies : estimant que la vaccination des enfants incombe à l’UNRWA et à l’UNICEF, le ministère de la Santé ne délivre aucun médicament. En même temps, une malnutrition généralisée des femmes enceintes et des enfants engendre une mortalité infantile à hauteur 40‰, souvent due, également, aux accouchements prématurés[8].

À part ça, tout va bien au pays du cèdre. La preuve, Amnesty International semble n’avoir pas trouvé grand-chose à redire quant à la situation des réfugiés demeurant sur son territoire.

J’ai choisi de parler de l’apartheid au Liban, plutôt que de m’étendre sur celui qui règne en Syrie, ou en Libye (États sur lesquels plus personne ne se fait d’illusions), parce que cette situation témoigne, d’une part, de l’absence de réelle solidarité des États arabes avec les Palestiniens, et d’autre part de l’insoutenable superficialité des « pro-palestiniens » qui ont toujours et délibérément choisi d’ignorer la misérable réalité de la situation des Palestiniens dans les États arabes, réservant leurs dénonciations uniquement à Israël. À la partialité et l’aveuglement d’Amnesty International, il faut ajouter l’incapacité de l’UNRWA qui, en plus de 70 ans, n’est toujours pas parvenue à sortir les Palestiniens de leur situation de réfugiés dans les pays arabes (hors la Jordanie), ni même à les protéger contre les gouvernements arabes.

Pour en venir à Israël, il est indubitable que les Palestiniens de Cisjordanie vivent dans une condition de colonisés et sont souvent victimes d’attaques et de méfaits de la part des colons, parfois ou souvent avec la complicité de l’armée israélienne. En revanche, cet État, à l’intérieur des frontières de 1967, est une démocratie qui ne pratique nullement l’apartheid : les Palestiniens restés dans le pays après la guerre de 1948-1949, sont devenus israéliens et jouissent donc, dans le pays, des mêmes droits, y compris politiques, et sont soumis aux mêmes devoirs que les Juifs – à l’exception du service militaire, ce dont il ne semble pas qu’ils se soient jamais plaints.


[1] Arrêté 487 émanant du ministre de l’Intérieur libanais.

[2] Souheil El-Natour, « Les réfugiés palestiniens », dans Confluences Méditerranée, 2023.

[3] Loi n°296 publiée au Journal officiel n°15 du 5 avril 2001.

[4] 400% selon Souheil El-Natour.

[5] Mahmoud Abbas, « Les réfugiés palestiniens au Liban : problèmes d’habitation », dans Al-Hourriah hebdo, 19 novembre 1996, Beyrouth.

[6] Souheil El-Natour, « Les Palestiniens au Liban : un étranger ». Les quotidiens Al-Quds, Al-Arabi, 12/2/1999, Londres.

[7] Souheil El-Natour, « Les réfugiés palestiniens », dans Confluences Méditerranée, 2023.

[8] Souheil El-Natour, « Les réfugiés palestiniens », dans Confluences Méditerranée, 2023.



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