Droit du travail, statut des cheminots, taxe d’habitation: les timides réformes engagées par l’exécutif cachent le refus de bousculer les Français et l’incapacité à faire fléchir l’Allemagne. Fonctionnaires et élus locaux sont loin d’avoir renoncé à leurs fromages.
Voilà neuf mois révolus que Macron, installé à l’Élysée avec la bénédiction des bureaucraties médiatique et financière, peut gouverner en s’appuyant sur sa majorité parlementaire. Comme c’est un homme pressé que le gars Emmanuel – sous cet angle, il rappelle Sarkozy et Renzi –, il est déjà temps de dresser un premier état des lieux[tooltips content= »Je laisse volontairement de côté l’évolution du système éducatif malgré son extrême importance : on ne saurait parler de tout. »]1[/tooltips]. Ce caractère d’homme pressé convient à un système qui veut des serviteurs affichant leur bonne volonté jour après jour sous le regard des médias et des marchés. Les réformes pleuvent sur nous comme les balles sur les soldats français à la bataille de Gravelotte[tooltips content= »Commune de Moselle célèbre pour la violence des combats qui s’y sont déroulés en août 1870. »]2[/tooltips] : réforme du droit du travail, de la taxe d’habitation et de l’ISF, taxation des retraites, gel des dépenses d’infrastructure, réforme de la SNCF, nouveau super impôt foncier à l’horizon.
Il y a deux façons de traiter le sujet : à l’endroit, les réformes engagées ; à l’envers, les changements auxquels on se refuse.
Les réformes de rupture
Réformes de structure, c’est un terme fétiche de la littérature libérale depuis trente ans. Il exprime la volonté des élites de rompre avec le système public et social issu des années favorables d’après-guerre. Autant parler alors de réformes de rupture. Je ne traiterai que trois d’entre elles : la réforme du droit du travail, la réforme du statut des cheminots et la suppression de la taxe d’habitation.
La réforme du travail
Sur la réforme du droit du travail, la chose essentielle, jamais vraiment dite, est qu’elle vise à réduire le pouvoir des syndicats de négocier les salaires. Le postulat de la rigidité du marché du travail dissimule celui de la rigidité des salaires. De fait, l’Espagne et le Portugal ont obtenu une baisse significative de leurs salaires après avoir « libéré » leur droit du travail. Plus anciennement, l’Allemagne a réduit son coût global du travail de 15% au terme des réformes Schröder faites en 2004 et 2005. L’Allemagne, la surpuissante Allemagne !
Or, la France présente un niveau de salaires qui la place au sommet mondial, avec la Belgique et les pays scandinaves. La chose est des plus déconcertantes. Premièrement, l’industrie française, la moins robotisée du monde développé, n’est pas à même de supporter un coût salarial aussi élevé. Deuxièmement, les patrons laissent dériver les salaires année après année, et, avec eux, les charges sociales dont ils soutiennent, non sans raison, qu’elles sont excessives ! Sont-ils schizophrènes ?
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Laissons de côté les aspects idéologiques de la question. La réussite éventuelle de cette réforme, déjà utilisée par de grands groupes comme Peugeot, dépend d’un facteur proprement économique : un progrès notable de l’investissement productif des entreprises. Sans une progression de l’ordre de 30% sur la durée du mandat présidentiel, qui serait gage de compétitivité retrouvée, il n’y a guère à espérer.
Autant dire que la question de l’euro est sous-jacente à celle du travail. Je soutiens mordicus que l’investissement reste conditionné à la compétitivité monétaire, à l’intérieur comme à l’extérieur de la zone. Or, cette compétitivité nous a été retirée par l’euro. Macron et son équipe de pieds nickelés prennent les choses à l’envers : ils veulent atteindre la compétitivité par la voie du coût salarial afin de nous maintenir dans la souricière monétaire.
La réforme du statut des cheminots
La réforme du statut des cheminots a dû réveiller les souvenirs de ceux qui ont subi les grèves de décembre 1995. Vingt-deux ans après, aurait titré Alexandre Dumas. Je ne joue pas sur les mots. Si Chirac et Juppé avaient mené à bien la réforme d’ensemble des retraites du public, nous en connaîtrions aujourd’hui les effets. Il faut très longtemps avant que les effets financiers apparaissent vraiment dans les comptes publics[tooltips content= »La réforme des retraites du privé de 1993 a permis d’économiser plus de 20 milliards d’euros. »]3[/tooltips]. C’est à une démonstration de zèle que nous convient l’homme de l’Élysée et son escorte politique et médiatique, sans effet notable sur la dépense concernée. Avec un objectif politique : casser l’État dans l’État qu’est la SNCF. Et un objectif symbolique : prouver que Macron est bien l’homme providentiel qui déplace les lignes.
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La quasi-suppression de la taxe d’habitation
Les ossements de Margaret Thatcher ont dû cliqueter dans la tombe. La Dame de fer a quitté le pouvoir en 1990, après avoir été mise en minorité dans son parti du fait de son projet de poll tax destiné à faire acquitter un impôt local à tous les Britanniques, quels que soient leurs revenus. La réforme initiée par Macron en sens inverse relève plus du populisme que du libéralisme[tooltips content= »C’est le diagnostic posé par Emmanuel Todd. »]4[/tooltips]. Cette quasi-suppression allégera certaines catégories de contribuables, mais au risque certain d’exposer les classes moyennes à une aggravation de leur taxe foncière. Nous pouvons apercevoir en filigrane une séparation entre la « périphérie » de la société, qui sera exonérée, et son « centre » représenté par les professions libérales et les cadres.
Macron déplace peut-être les lignes, mais il brouille aussi les cartes. La contribution de chacun à la charge publique est un pilier de la République. La suppression de la taxe d’habitation est donc bien une réforme de rupture, de rupture avec la tradition républicaine. Nous devrions être d’autant plus sensibles à la chose que les personnes exonérées bénéficient par ailleurs de la protection sociale la plus coûteuse du monde.
Plus importants peut-être sont les changements dont on ne veut pas. J’ai mis en avant[tooltips content= »« La facture sociale, un tabou français », Causeur, n° 49, septembre 2017. »]5[/tooltips] quelques mesures simples à forte incidence financière dont l’adoption rétablirait l’équilibre des comptes publics en l’espace d’un an : carte Vitale biométrique – en attente depuis vingt ans –, suppression de la masse des prestations sociales versées à partir de déclarations sur l’honneur – à très haut taux de fraude –, indemnisation du chômage volontaire – une singularité française –, limitation des allocations familiales au nombre d’enfants désirés par les femmes françaises – trois au plus –, rétablissement du contrôle de l’État central sur les marchés publics territoriaux – support d’une gabegie sans précédent dans l’histoire républicaine –, action contre la fraude à la TVA qui grève le budget de 17 milliards annuels – en suivant l’exemple de la Belgique. Et j’en passe.
Mais il ne faut pas désespérer les banlieues, ni stigmatiser les élus locaux.