Alors que le climat social est très tendu, l’affiche publicitaire railleuse d’un site immobilier nargue les malheureux franciliens sur les quais bondés de leurs gares.
Voilà une affiche de publicité qui ne passe pas inaperçue. Les usagers des transports franciliens évoluant péniblement sur des quais bondés (pour tenter de grimper dans l’un des rares trains encore en circulation) ne peuvent pas la manquer. Depuis mardi, le site d’annonces immobilières Green-Acres.com a déployé sa campagne publicitaire dans les gares parisiennes. Sur un fond rouge que ne renierait pas Philippe Martinez de la CGT, on y voit une sympathique grand-mère prononcer un discours, micro à la main : “Camarades, pour notre retraite, allons tous au Portugal !”
L’économie de marché a le sens de l’humour
Sur le front des retraites, la terrible bataille de l’opinion est lancée, et les Français semblent décidés à ne pas être raisonnables. En ces temps de grève massive, les tensions pourraient-elles s’apaiser grâce à cet humour disruptif ? Reconnaissons à l’économie de marché qu’elle le manie plutôt bien. Et on a tous bien le droit de garder le sourire, malgré tout.
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En proposant une réforme systémique qui concernera chacun des Français, l’exécutif entend convaincre l’opinion qu’il œuvre dans l’intérêt général. Des syndicats exagérément rigides ne feraient que relayer des revendications catégorielles, et bloqueraient un pays pour une petite minorité ayant à cœur de défendre des avantages acquis aux périodes d’abondance… Edouard Philippe veut absolument éviter que le rejet massif du projet de société global d’Emmanuel Macron ne vienne se greffer à ces premières contestations. Il ne faudrait surtout pas que l’angoisse de quelques fonctionnaires ne fasse tache d’huile ! Et que des revendications positives émergent dans ce qui n’est pour l’instant qu’un délicieux et convenu débat sur la retraite à points.
Est-on sûr que les Portugais soient d’accord?
Comme nous n’avons pas de boule de cristal, et comme le Premier ministre n’a même pas encore détaillé le programme pour nos vieux jours, rappelons qu’alors que les frontières sont ouvertes, les retraités français ont effectivement de quoi être tentés par l’extradition au pays de Fernando Pessoa. Bien que cela soit aussi dommageable à l’économie française… qu’à l’image qu’un tel phénomène migratoire renvoie de nous-mêmes.
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En plus du soleil qui peut y réchauffer les corps aux peaux flétries, le coût de la vie au Portugal serait 27% moins cher qu’en France (selon l’OCDE). Ça permet de s’offrir un dessert au restaurant avant de rentrer jouer au Scrabble. Côté pierre (et ce n’est pas Green-acres.com qui viendra nous démentir), on y trouve encore de bonnes affaires. Pour peu que l’on accepte de changer de pays, on pourra s’y loger avec sa modeste pension dans une plus grande surface qu’en France. Pire que tout, on découvre que des retraités feraient leurs valises pour fuir l’insécurité, ce petit pays ne connaissant pas une situation critique comme chez nous (délinquance moindre, absence d’insécurité culturelle et de terrorisme jusqu’à ce jour). Naturellement, ces arguments sont mis en avant sans vergogne par des promoteurs immobiliers locaux auprès de nos seniors. Enfin, un dumping fiscal assez scandaleux permet aux résidents de bénéficier d’une exonération fiscale pendant dix ans!
Dans Le Figaro, le fondateur du site d’annonces immobilières révèle que déjà 10% des visiteurs consultent les annonces du pays de la morue. Reste toutefois à s’assurer qu’ils seront correctement accueillis. Le nombre de ressortissants français se serait déjà envolé de 29% en 2018 sur un an, selon l’ambassade de France. Attention : des reportages télévisés nous ont déjà appris que le lisboète moyen sature du tourisme de masse qui a déferlé sur la ville ces dernières années. Dans la capitale portugaise, les nombreux Européens recherchant des vacances pas chères et qui ne vont plus au Maghreb (dont de nombreux Français) commencent à ennuyer certains locaux. Et comme ce ne sont pas toujours les retraités français les plus aisés ou les plus distingués qu’on va leur envoyer (les mesures fiscales attireraient surtout la classe moyenne inférieure touchant de petites pensions du privé), dans certaines localités, des Portugais pourraient ne pas tarder à se plaindre de l’invasion.
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