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Grèves: il est plus facile d’être de droite que de gauche


Grèves: il est plus facile d’être de droite que de gauche
Mobilisation le 12 décembre à Bourgoin Jallieu dans le Nord Isère contre la reforme des retraites © ALLILI MOURAD/SIPA Numéro de reportage: 00936686_000001

Le mouvement social contre la réforme des retraites est encore soutenu dans l’opinion. Jérôme Leroy se demande bien comment.


A chaque fois qu’advient un conflit social, c’est toujours la même chose : je me dis qu’il est plus facile d’être de droite que de gauche ! Précisons que le clivage n’a pas été dépassé par le macronisme qui est une droite dure comme une autre, mêlant habilement la régression sociale, la peur de l’immigration et la répression policière à un degré rarement atteint.

Etre de droite va de soi

Pourquoi est-il plus facile d’être de droite que de gauche ? Cela nous renvoie à Rousseau, ou plutôt à un présupposé de Rousseau : L’homme ne naît pas naturellement bon, il naît naturellement de droite et crée une société à son image. D’ailleurs Rousseau s’en doutait un peu, il ne sait pas trop comment nous expliquer dans Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes comment ça a pu dégénérer comme ça. Il pense, avec raison, que c’est à cause de la propriété : « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eut point épargnés au  genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant un fossé, eût crié à ses semblables: Gardez-vous d’écouter cet imposteur; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne. »

Les gens qui expliquent qu’on devrait faire grève sans gêner personne n’ont pas trop compris ces questions de rapports de forces et que des RER à l’arrêt ou des dépôts de bus bloqués ont plus de chance de faire reculer une contre-réforme nuisible à tous que de se promener gentiment avec un bandeau autour du front marqué : «Je suis gréviste »

Hélas, à part quelques rares exemples, comme les pécheurs d’Icaria, en Grèce, qui adoptèrent un mode de vie spontanément communiste dès l’antiquité et qui intéressèrent Engels et le socialiste utopiste Cabet qui s’en inspira pour son Voyage en Icarie, les sociétés s’organisent toujours de manière hiérarchisée en introduisant la division du travail : « Toi, tu cultives ; toi, tu restes à la maison ; toi, tu pars chasser et toi tu assures la sécurité de la communauté. »

A lire aussi, un autre son de cloche: “J’en veux aux médias de laisser s’installer l’idée qu’il est normal que la France soit bloquée”

Il est donc plus facile d’être de droite que de gauche parce qu’être de droite « va de soi. » C’est le bon sens utilisé cyniquement par ceux qui savent que le bon sens est surtout une expression du manque d’imagination et de la résignation. C’est pour cela que les Gilets Jaunes, quoi qu’on en dise, ne sont pas de droite. Primo : ils ont été imaginatifs d’un point de vue symbolique ne serait-ce qu’en transformant en lieux de vie et d’échanges des endroits qui n’étaient pas faits pour ça comme les ronds-points. Secundo : ils ne se sont pas résignés, ont répondu par une violence brève, bruyante et paroxystique à une violence longue, oppressante et silencieuse qui les faisait vivre comme des zombies vivant pour travailler et non le contraire, qui est une idée de gauche. Ils l’ont payé cher en termes de morts et de blessés graves mais en face aussi, ils ont payé cher, 17 milliards lâchés par l’inflexible Jupiter devenu soudain très pâle.

C’est pour cela que les gens qui expliquent qu’on devrait faire grève sans gêner personne n’ont pas trop compris ces questions de rapports de forces et que des RER à l’arrêt ou des dépôts de bus bloqués ont plus de chance de faire reculer une contre-réforme nuisible à tous que de se promener gentiment avec un bandeau autour du front marqué : «Je suis gréviste. »

Nos syndicats sont à l’image d’un patronat archaïque

Ils doivent donc, du côté des macronistes bénir secrètement ce retour en force des syndicats même s’ils les traitent toujours aussi mal. Se fâcher avec la CFDT, pourtant très accommodante, étant un exploit qu’aucun gouvernement n’a réussi depuis que le gentil Edmond Maire a cru que la négociation pouvait tout régler alors qu’en France les acquis sociaux n’ont jamais été autre chose que le fruit de rapports de forces établis dans la rue et sur les piquets de grève. C’est même pour cela qu’on devait les appeler les « conquis sociaux » sachant que le patronat n’a jamais rien donné autour d’une table mais seulement quand ils ne pouvaient plus faire tourner les usines occupées. Alors ils peuvent toujours pleurer sur l’archaïsme des syndicats, ils ont les syndicats qu’ils méritent tandis que les syndicats eux n’ont rien fait pour mériter un patronat comme ça.

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Il est plus facile d’être de droite que de gauche parce que naturellement, on n’aime pas que son voisin soit plus riche que soi. On voudrait être comme lui et comme on ne peut pas, on veut qu’il soit comme nous. C’est la passion de l’égalité à l’envers, c’est le désir de nivellement par le bas. On dit souvent dans ces colonnes que la gauche chez les pauvres, c’est l’envie oui mais la droite, c’est le ressentiment.  C’est d’ailleurs là-dessus que mise le gouvernement, ou qu’il a misé parce que ça ne fonctionne plus trop en désignant comme bouc émissaire les « régimes spéciaux ».

Toutes les chaines info sont de droite

Etre de gauche, c’est estimer que les régimes spéciaux qui sont précisément des conquis sociaux doivent être supprimés mais par pour que ceux qui en bénéficient reviennent à un régime général : au contraire pour que le régime général devienne un régime spécial pour tous. Des gens nous objecteront des problèmes de financement. Apparemment de même qu’il est possible pour un Haut-Commissaire aux retraites de 72 ans de cumuler des jetons de présence dans treize endroits différents (l’ubiquité, privilège de riche), il doit bien être possible de regarder du côté de l’évasion fiscale, de la fin irréfléchie des cotisations patronales qui étaient du salaire différé ou encore de la flat tax sur les bénéfices en bourse pour en revenir à une imposition progressive. Ou même d’embaucher et de payer des salaires décents pour que les cotisations salariales rentrent enfin.

Il est plus facile d’être de droite, aussi, parce que les chaines d’infos continues qui sont la principale source d’information des Français sont toutes de droites ou dans le meilleur des cas de centre-droit. Bobards et bouteillons y sont monnaie courante, répétée par les mêmes experts qui sont en fait des combattants idéologiques, des soldats politiques : si ça dure, attendez vous à apprendre qu’un cheminot touche 12000 euros pas mois, sans les primes et prend sa retraite à vingt sept ans avec une maison de campagne en prime. Attendez vous, aussi, à voir des indignés sur le quai. Pas indignés par le réchauffement climatique, la rémunération record des actionnaires, la suppression de l’ISF, ou même par la façon dont la paupérisation de la SNCF est programmée. Non, indignés, parce qu’ils ne peuvent même plus être aliénés tranquillement: « Ouais mais nous on bosse ».

Je passe ma vie dans le train, j’ai répondu à trois micro-trottoirs, notamment pendant la grève du printemps 2018. Je ne me suis jamais vu à la télé dire: « Moi, je comprends les grévistes. » Pourtant, en discutant sur les quais, je n’étais pas tout seul.

Minoritaire, mais pas tout seul.

De gauche, quoi.

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