L’école française est déjà bien malade de ses réformes passées, mais de celle-ci, elle ne pourra sans doute pas se remettre.
La réforme dite des rythmes scolaires est rejetée massivement par les parents, les enseignants en poste et les élus locaux, de droite comme de gauche. Avec raison.
La responsabilité individuelle du ministre est mise en avant, son passage en force, la forme brutale et improvisée, trop rapide, le manque de financement… On lui demande de lever le pied, de donner des délais, de mieux financer. Mais personne, ni les syndicats qui en sont les inspirateurs, ni les politiques qui soutiennent ce ministre-ci ou bien son prédécesseur qui préparait la même réforme, n’en tire la conclusion qui s’impose : le retrait de ce texte calamiteux.
Au-delà de la forme, bâclée et brouillonne, c’est le fond de cette réforme qui la rend impossible : cette réforme scolaire lutte contre l’école elle-même.
En effet, et je ne sais pas si le ministre en a même conscience, cette réforme s’attaque de front à l’Instruction. Elle prétend remplacer les sages et patientes heures de lecture et de calcul par des « ateliers » d’activités de colonies de vacances, ou bien de didactique municipale sur le tri des déchets. Tous les décideurs ont semblé penser, une fois de plus, que n’importe quelle activité ludique, n’importe quel parc de loisirs, apporterait plus de bonheur, et donc plus de progrès intellectuel et moral à l’ « Enfant ». L’école scolaire, le temps exigeant qu’on y passe, et leur cortège de lectures, de dictées, de tables de multiplication, et même de notes quelquefois sévères, seraient directement la cause de l’ « Échec Scolaire ». Un peu comme si le dentiste était la cause des caries. Alors, depuis quarante ans maintenant, tout le personnel non enseignant du ministère et de ses syndicats, tous les idéologues de l’éducation, les pédagogues et les sociologues, et finalement les enseignants en poste plus ou moins persuadés par leur propagande, tout le monde essaie, sans en avoir vraiment conscience, de supprimer l’école dans l’école. C’est la quadrature du cercle. Imaginez un terrain de foot où personne n’a plus vraiment le droit de marquer des buts … Eh, bien c’est l’école d’aujourd’hui, prônée sans dictées, sans lecture alphabétique, sans écriture des lettres en maternelle, sans notes, sans calcul mental … Toutes activités scolaires que beaucoup d’enseignants ont pratiqué malgré tout, parce que c’est tout simplement le plus nécessaire et le plus simple …
Et voici que tout à coup, parce que les enseignants n’étaient pas encore assez ludiques, on charge des animateurs plus ou moins dévoués, de pratiquer à leur place, aux heures scolaires de l’an dernier, dans les classes, en en chassant le maître qui y restait pour préparer l’école du lendemain, des « ateliers » d’art de rue ou d’autres activités hurlantes et débridées, aux dépens des bibliothèques, affichages, coins-sciences et autres coins-lecture si soigneusement fabriqués par les instituteurs. C’est une sorte de Disneyland pauvrement improvisé qui entendrait dépasser Marcel Camus.
Les animateurs sont débordés, les enfants sont exténués de bruit et d’excitation stérile, les enseignants se sentent « virés » de leur classe et de leur légitimité, leurs élèves sont devenus encore plus incontrôlables et les petits de maternelle souffrent très évidemment. Les directeurs d’école passent des heures à l’organisation de listes et d’appels tellement infinis qu’il n’est pas rare qu’une petite fille ou deux soient relâchées à la rue par accident ; quand cette remise à la rue n’est pas directement imposée aux parents même pas rentrés du travail … Les parents affolés courent de-ci, de-là, après des enfants aux horaires scolaires variables ; ils essaient de trouver des arrangements impossibles avec leurs employeurs … Certains –en particulier des enseignants-parents-, cherchent déjà une école privée qui pourrait échapper à ces rythmes infernaux. Et tout ceci pour un coût supplémentaire très lourd, qui sera à terme entièrement à la charge des communes ?
C’est une gabegie, un cirque dangereux et insensé, organisé par idéologie, seulement pour soutenir un ministre qui n’a absolument aucune idée des besoins réels des écoles, qui n’a aucune analyse de ce qui s’y passe, qui a même baptisé « refondation » sa médiocre loi de continuation de ce que l’Éducation Nationale subit de pire depuis quarante ans : la dé-scolarisation de l’école.
Il ne suffit pas d’être socialiste pour réussir à faire tourner cette maison du diable qu’est devenue l’Education Nationale. Il y faut une analyse réaliste et un projet de remise au travail efficace, qui de toute évidence manquent à ce ministre-ci comme elles manquaient à son prédécesseur.
L’Ecole Française n’a pas besoin de réformes sans buts, elle a besoin, grand besoin, urgent besoin, de méthodes de lecture alphabétiques, de calcul mental et de dictées, d’écriture des lettres une à une en maternelle … et d’une méthode générale de recherche d’efficacité qui ne peut passer que par la responsabilisation individuelle –et la liberté pédagogique qui va avec– de chaque enseignant, et plus encore de chaque directeur d’école. Il faut réhabiliter l’Instruction Publique, avant que l’Éducation Nationale ne la vide de son sang. Il faut retirer ce texte. Les considérations politiciennes, les carrières politiques, ou les blessures d’amour-propre ministériel ne pèsent rien devant l’intérêt de nos enfants. Abroger, retirer, annuler, sortir de ce bourbier … Voilà ce qu’il faut faire maintenant, le plus proprement possible.
*Photo: G. Varela/20 Minutes/SIPA 00666461_000021
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