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L’Etat n’a rien à négocier avec l’islam en France

Vouloir unifier l’islam de France est une dangereuse utopie


L’Etat n’a rien à négocier avec l’islam en France
Le président du CFCM Anouar Kbibech reçoit le président de la République Emmanuel Macron, lors d'un diner de rupture du jeune du Ramadan, juin 2017. SIPA. 00811891_000001

Vouloir unifier l’islam de France est une dangereuse utopie: tous les islams ne sont pas compatible avec les valeurs de la République.


L’intention d’Emmanuel Macron de réorganiser le culte musulman en France est louable. Le bilan du Conseil français du culte musulman (CFCM) n’est qu’un constat d’échec : refus affiché des droits de l’homme, absence de légitimité aux yeux d’une grande partie des musulmans de France, ambiguïtés récurrentes, opacité, liens avec les Frères musulmans, « hallalisation des esprits »… Je crains cependant que notre président ne prenne le problème à l’envers : la question aujourd’hui n’est pas tant d’organiser le dialogue avec l’islam, que de savoir avec quel islam il est souhaitable et possible de dialoguer.

L’islam unifié n’existe pas

En France comme ailleurs, il n’y a pas un mais des islams. Et il serait catastrophique d’essayer de faire de tous les musulmans de France une communauté religieuse unique : c’est exactement ce que souhaitent les thuriféraires de l’islam politique, qu’ils soient salafistes, wahhabites, adeptes de l’État islamique, d’Al Qaïda ou des Frères musulmans. Pour eux, la solidarité entre « frères et sœurs en religion » est plus importante que tout, et c’est ainsi que de braves gens finissent par fermer les yeux sur la présence de terroristes parmi eux, et ont bien des scrupules à les condamner.

Nous devons, au contraire, lutter sans relâche contre tous ceux qui voudraient que l’appartenance à l’Oumma prenne le pas sur les convictions personnelles, et combattre toute forme d’assignation identitaire, qu’elle ait pour but d’unir les musulmans en une contre-société sécessionniste, de les rejeter en bloc, ou de les accepter sans distinction. Vouloir traiter de la même façon Rachid Benzine et Rachid Habou Houdeyfa (l’imam de Brest qui enseignait aux enfants que la musique est l’œuvre du diable) n’a absolument aucun sens, malgré leur prénom commun. Imaginer qu’Abdennour Bidar et Henda Ayari auraient le même représentant auprès des pouvoirs publics que Tariq Ramadan et Houria Bouteldja est une absurdité et une injure.

Un « islam de France unifié » serait probablement islamiste

En outre, il est très probable qu’un « islam de France unifié » serait aujourd’hui dominé (en influence si ce n’est en nombre) par le salafisme, celui des wahhabites ou celui des Frères musulmans, les uns et les autres ennemis déclarés de notre civilisation. Au sein de cette entité hypothétique, ce sont une fois de plus les musulmans humanistes développant une pensée critique vis-à-vis des dogmes et des textes qui seraient réduits au silence, alors que c’est d’eux et d’eux seuls que pourra naître un islam qui ne soit pas une menace. Sans oublier que ceux-là s’expriment généralement en tant qu’individus, et ne souhaitent probablement pas qu’un représentant communautaire quelconque parle en leur nom et à leur place. Prenons garde à ce que la voix d’une Leïla Babès ne soit pas submergée par les délires complotistes de centaines de Mennel !

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Il ne faut rien attendre non plus d’un supposé « véritable islam ». Tout comme le « communisme réel » a systématiquement été une catastrophe, « l’islam réel » tel qu’on l’observe de nos jours là où les musulmans sont majoritaires est plutôt sinistre, que ce soit dans les pays de vieille tradition islamique ou dans les territoires perdus de la République. Le Coran lui-même contient des passages pour le moins problématiques dès lors qu’on les prend au premier degré – ce qui, hélas, est peut-être bien l’esprit dans lequel ils ont été écrits.

Quels islams en France ?

L’espoir est donc plutôt à rechercher du côté d’un renouveau de l’islam, porté aussi bien par des aspirations populaires que par des intellectuels, du courage lumineux de MyStealthyFreedom en Iran aux remarquables travaux de Yadh Ben Achour en Tunisie, en passant par l’engagement républicain d’Amine El Khatmi en France. Car, bons ou mauvais, les courants qui traversent l’islam dépassent très largement les frontières des nations.

Bien sûr, la question du financement des mosquées doit être posée, et rapidement résolue. Mais, j’insiste, cela ne servira à rien si nous ne nous demandons pas d’abord à quels islams nous voulons permettre de construire des mosquées sur notre sol, et auxquels nous devons l’interdire !

Tous les islams ne sont pas compatibles avec la France

Car il est inutile de se voiler la face : aucune coexistence pacifique durable n’est possible entre les droits de l’homme et la charia. L’objectif premier de l’État doit donc être de distinguer et séparer les communautés musulmanes qui adhèrent aux premiers, de celles qui veulent promouvoir la seconde. Le but n’est pas de négocier un équilibre précaire avec les représentants de courants supposés majoritaires, mais de travailler à une harmonie durable avec les musulmans véritablement humanistes, peu importe quelle proportion des croyants se reconnaît en eux.

Certains m’objecteront que ce « tri » opéré entre les islams, ceux qui seraient autorisés et ceux qui seraient interdits, serait une atteinte à la liberté de conscience. A ceux-là je répondrai d’une part que tri il y a déjà, puisque la France dispose de lois contre les dérives sectaires, et d’autre part que la liberté de conscience n’en est nullement touchée, puisque la distinction ne se fait pas sur les croyances, mais sur les comportements et les agendas politiques.

En effet, le vocable « islam » recouvre le plus souvent non seulement une religion, au sens occidental du terme, mais aussi un projet de société aspirant à régenter à la fois l’organisation politique et le quotidien des individus, jusque dans ses moindres détails, étouffant toute réflexion et toute conscience individuelles. Si la croyance en la dimension strictement religieuse de l’islam relève bien de la liberté fondamentale de chacun, la promotion du projet de société est incontestablement contraire aux valeurs de l’Occident, qu’on le comprenne au sens hellénistique, judéo-chrétien ou laïque (qui d’ailleurs se rejoignent assez largement dans ce qu’ils ont de meilleur).

La responsabilité de l’Etat c’est de rejeter la charia

Le rôle de l’État n’est pas de dire si l’islam sans la charia est encore l’islam. La question est importante mais concerne les historiens, les philosophes des religions et les théologiens. L’État a pour responsabilité de proclamer fermement que la charia n’a absolument pas sa place en France, peu importe qu’elle cherche à dominer par la force ou par l’influence culturelle, politique, médiatique, peu importe qu’elle montre dès l’abord son vrai visage ou qu’elle se dissimule dans des approximations souriantes en attendant d’avoir le pouvoir de s’imposer. Son rejet doit dépasser tous les clivages et faire consensus – à moins bien sûr d’en être complices, ou d’adhérer à un relativisme absolu – autre nom de la démission de l’intelligence et du sens moral.

Liberté de pensée et de conscience – donc droit à l’apostasie et refus des assignations identitaires ; mixité dans l’espace public ; égalité de droit entre hommes et femmes ; devoir pour les croyances quelles qu’elles soient de consentir aux analyses et aux critiques – donc droit au blasphème ; acceptation du pluralisme religieux – y compris du polythéisme et des religions non-abrahamiques ; universalisme plutôt que relativisme ; responsabilité et justice plutôt que concurrence victimaire ; humanité et citoyenneté plutôt que racialisme et communautarisme. Tout ceci n’est pas, et ne doit jamais être, négociable.

La charia et la sunna s’opposent à ces principes. Le Coran, si on le prend au pied de la lettre, s’oppose à ces principes. Les hadiths et la sîrah mettent en scène un prophète dont la vie s’oppose à ces principes. Et pourtant, des musulmans sont prêts à adhérer à ces principes et à les défendre, parce que leur humanité est plus profonde que les dogmes, et que les traditions des cultures islamiques sont plus riches que les textes fondateurs de l’islam. C’est avec ces musulmans, et uniquement avec ceux-là, que l’État doit discuter, peu importe qu’ils soient de France, en France, ou à l’étranger.

La France doit favoriser les musulmans humanistes

Que l’État commence par expliciter ces valeurs, au lieu de prétendre que la France ne serait qu’un espace géographique sans identité, et qu’il impose à toute organisation cultuelle ou culturelle en France de les défendre, et de les défendre vraiment, pas de les utiliser. Que l’État ne craigne plus d’affronter le CFCM ou la Grande mosquée de Paris, les Frères musulmans, les wahhabites, le Tabligh, le Milli Gorüs, et autres pourvoyeurs de pétrodollars ou de votes ethnico-religieux. Qu’il n’oublie pas qu’il peut aussi exister des courants extrémistes et sectaires dans d’autres religions, mais que l’islam politique est aujourd’hui le seul à représenter un véritable danger sur notre sol.

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Que la France devienne un havre pour les musulmans humanistes de toutes nationalités qui partagent nos valeurs fondamentales, en leur garantissant la sécurité et la liberté d’expression, et en favorisant la diffusion de leurs travaux. Que la France soutienne l’exégèse, l’analyse historico-critique, la primauté donnée à la libre réflexion sur ce qui est plutôt qu’à la conformité avec des textes qui prétendent dire ce qui est. Qu’elle développe un enseignement qui ne soit ni diabolisation ni apologie éhontée de l’islam, mais présentation aussi factuelle que possible (et nous pouvons remercier la remarquable Souâd Ayada pour sa lucidité et sa détermination).

Je profite de l’occasion pour évoquer les travaux de philosophie de l’islam de Souâd Ayada, dont on trouvera une excellente présentation ici. Elle a notamment proposé une très intéressante analyse théologique de l’islam politique : « le monothéisme islamique ordonne deux approches et plus largement, deux métaphysiques incompatibles mais néanmoins simultanément inscrites en lui : 1. la première, entièrement subordonnée à la reconnaissance d’une transcendance séparée, dépouillée de toute immixtion avec le sensible et le multiple, inaccessible par essence et par excellence à l’ordre de l’humain, ne saurait produire qu’une vision du monde appauvrie et tronquée, dont la puissance négative culminerait dans ses retentissements juridico-politiques ; 2. la seconde, au contraire, veillerait à ménager la reconnaissance d’une dimension intermédiaire de la sensibilité, par le déploiement de la conception d’une transcendance engagée, c’est-à-dire manifestée sur un mode sensible, dans l’immanence du monde des créatures et que ne pourrait saisir qu’une capacité imaginative élevée à sa dimension visionnaire. »

Ensuite, et ensuite seulement, il sera temps de chercher des partenaires à la fois légitimes aux yeux des musulmans humanistes, dans la diversité de leurs approches et de leurs nuances, et crédibles aux yeux des pouvoirs publics et des non-musulmans. L’État n’aura pas à leur imposer une structure prédéfinie, mais à les accompagner dans la création de ce qu’ils estimeront opportun et adapté.

Nous découvrirons alors collectivement que l’organisation du culte ne sera plus un problème, et loin des ambiguïtés, des impostures et des manipulations d’aujourd’hui, leur parole – irriguée par leur foi et non pas desséchée par des dogmes – renforcera nos valeurs et consolidera le pacte républicain, aux côtés de bien d’autres religions et dans le respect de la laïcité.

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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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