E pluribus unum, la devise des Etats-Unis formule l’idéal américain : l’unité dans la diversité, credo d’un pays d’immigrés. C’est dans le respect de cet équilibre subtil que s’inscrit la grande réforme de l’immigration voulue par Obama qui a été votée conjointement au Sénat par les deux grands partis. Après l’échec de Bush il y a sept ans, désavoué par son propre camp sur la question, les circonstances n’étaient jamais aussi favorables pour les immigrés, le vote latino ayant révélé tout son poids lors de la réélection d’Obama.
Si elle est approuvée par la Chambre des représentants, ce serait la réforme la plus ambitieuse en la matière depuis un quart de siècle. Au programme, la régularisation des 11 millions de sans-papiers présents sur le sol américain (en majorité mexicains), et leur naturalisation au bout de 13 ans, ainsi que l’augmentation du nombre de visas et de permis de séjour permanents pour les travailleurs les plus qualifiés.
Si la Comprehensive Immigration Reform (CIR), a été mise sur le tapis par « la bande des 8 », un groupe bipartisan de sénateurs, les dissensions internes à chaque parti sont nombreuses.
14 des 46 sénateurs républicains ont voté ce texte controversé, au risque de raviver les tensions avec l’aile la plus droitière de leur camp.
En effet, le débat qui agite le Grand Old Party met en lumière l’insoluble contradiction du néo-conservatisme américain, qui cherche à concilier libéralisme économique et défense des valeurs traditionnelles. Les républicains se trouvent ainsi déchirés entre credo libre-échangiste et culte nostalgique d’une Amérique blanche.
Alors que certains cow-boys texans s’insurgent contre la légalisation d’immigrés clandestins et invoquent le précédent de 1986, où une « amnistie » avait suscité un afflux massif de population, les milieux d’affaires se disent évidement favorables à la réforme. En effet, ceux-ci – comme Mme Parisot en France qui sermonnait Guéant pour sa politique d’immigration trop restrictive empêchant les patrons de « tirer profit du métissage » (sic) – encouragent l’ouverture des frontières aux migrants, qui leur permettrait de combler leur manque de main d’œuvre. Microsoft a d’ailleurs soutenu publiquement la réforme, arguant que l’entreprise n’arrivait pas à recruter aux Etats-Unis. Le Wall Street Journal , qui comme son nom l’indique se veut le porte-parole de la finance, est lui aussi immigrationniste, y voyant une nécessité pour nombre d’entreprises qui n’arrivent pas à pourvoir des millions d’emplois trop besogneux pour l’Américain de souche. « Les travailleurs doivent bien venir de quelque part », affirme au journal Jay Reed, responsable d’une fédération patronale du BTP.
Mais côté Tea Party, on n’a pas la même analyse : un rapport du très droitier think-thank Heritage Foundation a affirmé que la réforme coûterait plus de 6 300 milliards de dollars sur cinquante ans. Une fois régularisés, les immigrés consommeraient plus de services publics (éducation, police, retraites, santé..), mais ne paieraient que très peu d’impôts, la plupart d’entre eux se situant dans les tranches fiscales les plus basses.
Pour calmer ces salauds de white-trash, le consensuel « plan des huit » appelle à établir une relation claire entre le besoin d’emplois du pays et l’octroi de permis de travail aux étrangers. En bref, renforcer l’immigration « à la carte » pour garantir des frontières sûres et fournir de la main d’œuvre pas chère sur commande.
Grâce à ce compromis, la réforme passera sans aucun doute : en échange de la régularisation des sans-papiers, les Républicains obtiendront le renforcement des frontières et le durcissement des critères d’immigration choisie. La loi prévoit donc une hyper-sécurisation de la frontière mexicaine : 20.000 agents supplémentaires, des drones et des clôtures plus hermétiques. Et l’examen d’entrée sera durci : « Nous devons garder les meilleurs » explique Paul Ryan. On parle même de l’établissement d’un « permis à points » à partir de 2017 qui remplacerait le système de loterie pour obtenir la fameuse carte verte. Le sésame ne se gagnerait plus à la tombola, mais à « la force du poignet ». Ainsi les diplômés recevront beaucoup de points (5 pour une licence, 15 pour un doctorat), ainsi que les jeunes, et les ressortissants d’un pays à faible immigration. Le paradigme de la chance, qui laissait à tous l’opportunité d’être déçus par le rêve américain, sera alors remplacé par une implacable logique darwinienne, où seuls les meilleurs seront sélectionnés pour rentrer dans la grande famille de la liberté.
L’Oncle Sam pourra ainsi tranquillement faire ses courses dans le grand supermarché mondialisé, choisissant avec l’œil averti du consommateur exigeant l’immigré ayant le meilleur rapport qualité/prix.
L’immigré rapporte des dollars, mais aussi des voix, et l’ignorer peut coûter cher. Lindsey Graham, sénateur républicain de Caroline du sud, l’avoue prosaïquement : « si la réforme échoue par notre faute, nous sommes morts en 2016 ».
En effet, le vote latino est devenu la clé d’entrée de la maison Blanche et le Parti Républicain ne peut plus se contenter de viser la classe moyenne blanche. Les hispaniques, qui ont voté Obama à plus de 75%, et constituent aujourd’hui près de 16,5 % de la population américaine, ne peuvent plus être ignorés par les républicains.
In fine, la réforme de l’immigration américaine révèle la conception marchande de l’immigré qui sous-tend toute position sans-frontiériste. Comme le résume la bonne vieille maxime utilitariste, « Chacun compte pour un, et aucun pour plus d’un » : une voix, des bras, l’immigré n’est qu’un pion qu’on déplace au gré des desseins électoralistes et des calculs économiques, qui, de ce coté-ci de l’Atlantique, ne prennent même pas la peine de se déguiser en projets humanistes.
*Photo: maaritroiha.
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