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Réforme de l’école: encore un effort, monsieur Blanquer!

Le ministre de l'Education nationale est sur la bonne voie, mais...


Réforme de l’école: encore un effort, monsieur Blanquer!
Jean-Michel Blanquer lors de son passage dans "L'Emission politique" de France 2, février 2018. SIPA. 00844987_000023

Comme l’a montré son passage dans « L’Emission politique », le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer est sur la bonne voie. Mais sa réforme de l’école néglige encore des aspects essentiels au redressement du Mammouth. 


Il a explosé les compteurs, d’un coup d’un seul. Invité de « L’Emission politique » de France 2, jeudi 15 février, le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer a fait 71% de satisfaits. Pari politique tenu : audience au top – meilleure que la voix de son maître – et score reçu avec plaisir et humilité. Le train des réformes est en marche. Il faut dire qu’avec le bonnet d’âne décerné par l’OCDE à la France, sans parler du classement Pisa qui place notre pays juste avant la Colombie, il est urgent que les choses changent dans l’Education nationale. Après avoir dit sa foi dans le Progrès et les Lumières, le ministre a abordé, sous l’angle du renouveau, les points clés de sa réforme : le nouveau bac, la place du professeur, le décrochage scolaire, la laïcité et l’égalité. Monsieur Blanquer n’est tombé dans aucune chausse-trappe d’une émission à haut risque.

Le professeur « remis au centre de l’école et de la société »

Les pavés n’ayant pas volé, rue Cujas, à l’annonce de « la » réforme, il roulait sur du velours. Le bac, la vache sacrée, on la garde, mais toilettée, et comment ! Avec la fin des filières, la mixité sociale, l’ouverture sur les grands enjeux du monde, c’est l’entrée du bac dans le XXIe siècle, et peut-être même au-delà, que nous vivons. Quatre matières, le grand oral, fini le bachotage (si tant est qu’il y en eût jamais). Face à deux lycéens policés, venus du privé et du public, auxquels on aurait donné le bac sans confession, le ministre a montré, sur des cartons, comme François Lenglet ses courbes graphiques, le bac d’hier et le bac de demain. Il a expliqué les matières et les options, les doublettes attractives. Nos deux candidats ont fait part de leurs inquiétudes mais ils furent, comme nous tous, rassurés : voir Blanquer, c’est réussir. Innovation de taille : la Terminale change de nom. Elle devient « la classe de maturation ». Sans rire ! D’ailleurs personne n’a ri. Cette classe, par le nom même, ouvrira sur l’Université. Pourquoi pas ? Le monument étant amené à disparaître un jour, pourquoi ne pas lui redonner une chance ?

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Quant au professeur, il doit être « remis au centre de l’école et de la société ». Mine de rien, c’est une révolution copernicienne car, jusque là, c’était l’élève au centre. Discrètement fut évoqué le problème de la rémunération par le biais du « pouvoir d’achat ». Il faut redonner « du pouvoir d’achat » au professeur. Le pouvoir d’achat « doit même avancer », fut-il dit. C’est dire la foi que l’on doit avoir dans le « progrès en marche ». Il est vrai qu’une prime sera accordée pour les enseignants des zones difficiles (avatars des ZEP). Il faut aussi, bien évidemment, lutter contre l’absentéisme, une plaie de notre système éducatif qui nous coûte la peau des fesses.

Serein comme Blanquer

Le moment de « la prise directe » permit d’aborder deux sujets sociétaux : la laïcité et l’égalité. On marchait sur des œufs. Il n’y a pas eu d’omelette. Annonce fut faite de la création d’ « unités laïcité » dont les maîtres mots furent prévention et non répression – avec désensibilisation pour certaines élèves, allergiques au chlore de la piscine. Pas de ghettoïsation mais une thérapie persuasive. Autre réforme concernant un sujet sensible qui s’inscrit dans notre modernité : l’égalité entre filles et garçons. Un tableau de petites filles, confinées dans des coins, et des garçons ailleurs, brossé par une dame souriante qui avait l’air d’en connaître un brin des stéréotypes, nous a amenés à cette conclusion qu’il fallait veiller à garder les couleurs arc-en-ciel de la France. Furent d’ailleurs annoncées pour bientôt des « assises de la Maternelle. » Après des Etats généraux de la bioéthique… Le décrochage scolaire, lui, peut être traité efficacement par le sport : là encore, un petit film tourné par une association « Blanc bleu zèbre » nous a convaincus de la thérapie par le sport. Du sport, toujours plus de sport.

On le voit : tout fut envisagé sereinement : c’est cela, la méthode Blanquer.

L’insoumis, c’était lui

La pochette surprise fut Jack Lang. Venu en voisin, il ramena au réel un propos ministériel un peu managérial. Tout en saluant le maintien du bac, le rétablissement des classes bilangues et des langues anciennes, il pointa finement la réforme du temps de travail des petits salariés… je veux dire des petits écoliers (4 jours d’école, ce n’était pas bon même si cela coûte moins cher à l’Etat). Restait à trouver le filon manquant de ces « réformes » : la culture. Nos deux juristes de haut vol tombèrent d’accord : il faut plus de culture, de lecture, de théâtre, de musique, laquelle, on le sait, adoucit les mœurs. Une rentrée en musique serait donc bienvenue dans nos établissements. Pas forcément sur un air de Johnny, mais pourquoi pas une petite ouverture à la Lully comme aux interclasses du lycée Louis le Grand ? Aussitôt pensé que dit : cette option chorale est déjà prévue ! Avec une cheffe de chœur. On voit quel film inspire nos élites. Notons enfin la trouvaille finale du réticule à portable pour la chasse aux portables. Il fallait l’inventer : c’est chose faite !

Saluons, dans cette émission, le formatage olympien. C’était lissé et paisible, objectif et apaisant. Pas un mot de trop. Notre ministre n’est tombé ni dans la provocation d’un insoumis de service, à propos de la cantine gratuite pour tous, ni dans aucun piège de questions savonneuses : migrants et intellectuels (avec le poil à gratter que l’on connaît). Certes, on ne reproche pas le ton apaisé du bon élève mais on peut regretter l’art de l’esquive. On ne se cache pas l’énormité de la tâche de notre ministre.

Mais, sans mettre le feu aux poudres, cette émission était une occasion d’adresser quelques paroles énergiques et performatives. Alors, « laissez-moi vous dire », Monsieur le ministre. Le problème prioritaire de l’Education nationale est l’enseignement du français. Est-il raisonnable de ne plus enseigner une grammaire simple et efficace, tous les modes et tous les temps de notre langue si riche, privant ainsi les enfants d’un accès égal à la pensée et à l’expression ? Où sera-t-elle l’égalité des chances dans un monde complexe qui demande qu’on le comprenne pour pouvoir répondre à ses défis, selon les mots consacrés ? Ne faut-il pas mettre fin, avec une main de fer dans un gant de velours, à un pédagogisme mortifère qui règne depuis deux décennies dans la formation des maîtres ? Oui, Monsieur le ministre, disons-le et répétons à toutes et à tous, toujours et encore : « si un homme, ça s’empêche », pour reprendre Camus abondamment cité, une langue, ça s’apprend, avec des méthodes éprouvées. Car enfin, ce n’est pas avec « un référentiel bondissant » et en ignorant le passé simple que notre président est arrivé dans la cour des grands.

C’est le français qu’on assassine encore !

Le nouveau bac doit ouvrir la voie de l’Université ? Nous en acceptons tous l’augure. En attendant, voilà ce qu’écrivait, dans un article du Figaro, Louis Chavanette, docteur en histoire, professeur en première année de droit à Créteil. Tout en saluant l’investissement remarquable de beaucoup d’étudiants, il constate : « l’immense majorité ne dispose pas de la maîtrise des règles d’orthographe élémentaire ni du bagage de culture générale pour espérer obtenir une licence. » Ce professeur connaît un dilemme car il ne peut venir en aide à ceux qui sont en difficulté sans pénaliser les autres en droit d’avoir un enseignement du niveau d’Assas ou de la Sorbonne. C’est de culture générale que manquent ces étudiants, une culture générale qu’ils acquièrent au lycée… « Cette culture classique et une langue française fluide sont le fruit d’un apprentissage qui commence dès l’enfance », écrit-il encore.

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L’école républicaine demeure bien l’école de la méritocratie pour tous. Mais personne ne peut réussir sans la maîtrise de la langue française apprise à l’école, avec rigueur et amour, et sans culture générale. Elle est là, l’égalité des chances : redisons-le. La tâche est rude, on en a tous conscience. Oui, monsieur Blanquer, votre grand oral, vous l’avez réussi. Maintenant, reste à répondre au souhait ardent de beaucoup de Français: soyez notre Jules Ferry !

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Marie-Hélène Verdier est agrégée de Lettres classiques et a enseigné au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Poète, écrivain et chroniqueuse, elle est l'auteur de l'essai "La guerre au français" publié au Cerf.

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