Un flou gouvernemental total entoure la date d’entrée en vigueur du système universel. Certains éditorialistes en sont à se demander si la réforme des retraites interviendra bien pendant le quinquennat Macron. «La concertation est ouverte et le projet de loi n’est pas écrit», indique l’entourage d’Édouard Philippe dans le Figaro. Avant toute chose, il faut se demander si le système de retraites français est éthique.
Dans le débat actuel sur la réforme des retraites, on échange beaucoup d’arguments sur la démographie, les taux de cotisation ou l’âge de départ à la retraite. Autrement dit, la discussion se fait autour d’éléments économiques au sens large. Mais très curieusement, on ne s’interroge guère – sauf en ce qui concerne les régimes spéciaux – sur le caractère éthique du système français. Pourtant, la dimension éthique d’un système de retraites est essentielle dans la mesure, notamment, où elle conditionne l’adhésion, la confiance que les Français lui accordent. Un système éthique a toutes les chances de favoriser l’efficacité économique. On l’oublie trop.
Le système actuel pâtit d’une incertitude continuelle
Reste à savoir ce qu’est un système de retraite éthique. Cette dimension est très étudiée par les intellectuels anglo-saxons[tooltips content= »Peter Diamond, Social Security Reform, Oxford University Press, 2003. »](1)[/tooltips] ou même européens [tooltips content= »Erik Schokkaert, Philippe Van Parijs, « Debate on Social Justice and Pension Reform », in Journal of European Social Policy, août 2003″](2)[/tooltips]. Il existe évidemment un pluralisme éthique qui fait que le jugement sur les caractéristiques éthiques d’un système de retraite varie d’une école de philosophie morale à l’autre. Mais il existe cependant un consensus sur un certain nombre de points. Ainsi un système de retraite éthique doit : inspirer confiance, respecter l’équité sous ses différentes formes (intergénérationnelle, horizontale et verticale) et ne pas décourager le travail et l’épargne.
Voyons ce qu’il en est du système français par rapport à ces critères.
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Le système de retraite français inspire-t-il confiance ? Pas franchement. Tout d’abord, il est révisé fréquemment, à peu près tous les cinq ans. Cette incertitude continuelle, alimentée en outre par des rapports réguliers souvent peu suivis d’effets, fait que les Français doutent de l’équilibre et de la pérennité du système par répartition. En veut-on la preuve ? Les Français épargnent davantage que leurs homologues de l’OCDE : le taux d’épargne des ménages est en France de 14% du revenu disponible alors qu’il n’est que de 11% en Allemagne, de 4,5% au Royaume-Uni et de 10% en moyenne dans l’Union européenne. Si les ménages français épargnent autant, c’est par mesure de précaution et parce que leur confiance dans le système de retraite actuel est très limitée.
L’équité mise à mal par les régimes spéciaux
Examinons notre système de répartition au regard de l’équité sous ses différentes formes. Le principe d’équité horizontale est simple : deux individus ayant le même âge et les mêmes revenus vont-ils toucher une pension de retraite identique ? La réponse est non. Si l’un dépend du régime général et l’autre du régime de la fonction publique d’État ou d’un régime spécial, ils ne toucheront pas la même pension. Autrement dit, le principe éthique d’équité horizontale n’est guère respecté en France.
Qu’en est-il alors de ce qu’on appelle l’équité « intergénérationnelle » ? Celle-ci suppose que deux individus aux caractéristiques socioprofessionnelles identiques et aux revenus équivalents, mais de génération différente (l’un a 30 ans et l’autre en a 75), touchent la même pension. Il n’en est rien en France. Le principe même de la retraite par répartition (les actifs financent les retraités actuels) implique, en raison des évolutions démographiques, que les retraités futurs toucheront moins que les retraités actuels. Ceci n’est pas franchement favorable à l’équité entre générations.
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Quant à l’équité verticale, qui cherche à assurer une redistribution et une hiérarchie des retraites à peu près « juste », est-elle respectée ? Là encore, on peut en douter. Certes, il existe un « minimum vieillesse » et c’est une très bonne chose. Mais ceci n’est pas propre à la France. Des pays fonctionnant avec un système par capitalisation (Chili, Australie, États-Unis, notamment) ont également des minimums vieillesse. Et sait-on que le minimum vieillesse australien est d’un montant supérieur au français ? L’équité verticale du système français est donc mitigée.
Capitalisation contre répartition
Enfin, un système de retraite éthique ne doit décourager ni le travail ni l’épargne. Pas seulement pour des raisons économiques, mais parce que le travail, l’épargne et l’investissement ont une valeur sociale et éthique. Or, les systèmes par répartition – dont celui de la France – ont tendance à décourager ces moteurs économiques qui sont aussi des standards éthiques. L’explication tient au fait que, pour financer un même montant de retraite selon que l’on est en répartition ou en capitalisation, il faut, compte tenu de la rentabilité différente de ces systèmes, un taux de cotisation sensiblement différent. Par exemple, pour financer un montant de retraite équivalent, il faut un taux de cotisation de 12 % au Chili et de 20 % en France. L’écart est important et défavorise le travail, plus taxé en France que dans d’autres pays.
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Sur le plan éthique, la différence entre capitalisation et répartition est simple. En capitalisation, la retraite est déterminée par le montant d’épargne accumulée à un taux fixé par les pouvoirs publics et investi dans des fonds de pension. La retraite est financée « aux dépens » de l’épargne accumulée. En système par répartition « à la française », les cotisations des actifs financent les pensions des retraités actuels. Autrement dit, on ne vit pas « aux dépens » de ses enfants, mais des enfants des autres. Est-ce moral, juste, éthique ? À chacun de se prononcer. Mais le plus grave est certainement que les Français n’ont guère confiance dans le système actuel par répartition. Ainsi l’incertitude sur les retraites contribue et encourage la transformation de la France en une « société de défiance ».
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