Samedi 10 octobre après-midi, j’ai défilé à la manifestation contre la réforme du collège, au côté d’enseignants et de parents d’élèves venus de mon département de l’Essonne. Sans être massif, le cortège était fourni. La couverture médiatique était ridicule, sans doute volontairement car France Télévisions avait visiblement eu la consigne de ne pas se déplacer (ce qui s’est vérifié puisque le JT du soir n’en a pas dit un mot). Commençons tout d’abord par les absents : Les grandes instances représentatives des parents d’élèves du public comme du privé (FCPE, PEEP, APEL) qui sont, au niveau national, favorables à cette réforme. Cela n’a pas empêché certaines délégations départementales de la FCPE ainsi que la PEEP de Paris, opposées à la ligne nationale, de se joindre au cortège. De façon générale, la grande majorité des parents a préféré vaquer à ses occupations du week-end. La rentrée 2016 n’est pas pour demain et d’ici là, l’eau a le temps de couler sous les ponts. Les politiques ? Personne ou presque. François Bayrou avait pourtant appelé fin mai à une grande manifestation nationale, mais il a dû oublier de noter la date dans son agenda. Seuls le Premier secrétaire du Parti communiste Pierre Laurent ainsi que le président de Debout La France, Nicolas Dupont-Aignan, étaient au rendez-vous, accompagné de Jean-Paul Brighelli.
Bref, tout pouvait laisser croire que, le pari d’une manifestation monstre étant perdu, le signal de la fin d’une mobilisation qui durait depuis le printemps allait sonner. Les participants allaient-ils rentrer dans leurs chaumières et faire le dos rond jusqu’au tsunami de la rentrée 2016, comme le font déjà nombre de nos concitoyens ? Eh bien, non, c’est le contraire qui semble s’annoncer. La foule marchait avec vigueur et détermination (car il y avait foule, malgré tout). La moyenne d’âge était assez jeune, à l’image du collectif étudiant Jeune et Contre, et surtout de très nombreux jeunes professeurs. Il est fort rassurant de constater que la jeune génération des enseignants n’a pas l’intention de se laisser entraîner dans une aventure suicidaire pour ses élèves et ses propres enfants ou futurs enfants. Cette manifestation m’est apparue comme le rendez-vous national de tous les grains de sable qui ont décidé collectivement d’enrayer la machine, ceux qui communiquent depuis des mois dans les blogs, pages Facebook, se font passer le plus vite possible toutes les informations récoltées ici ou là, en particulier celles pouvant être compromettantes pour le ministère. Cette manifestation a eu une grande vertu, celle de créer du lien humain, entre collègues d’établissements voisins qui ne se connaissaient pas, entre collectifs parents-enseignants venus de la France entière, associations de latinistes, germanistes, entre les professeurs syndiqués ou non. Oui, ce rassemblement était utile et nécessaire. Il a permis aux uns et aux autres de confronter leurs expériences sur le terrain et de mesurer leur détermination à ne pas lâcher l’affaire.
Or, c’est justement le bon moment, car en l’espace de dix jours, les nuages se sont soudainement accumulés au-dessus de la rue de Grenelle. Profitons de ce bref compte-rendu pour les énumérer. D’abord, il y a l’affaire du pré-fichage des enseignants dans l’Académie de Toulouse, qui a conduit tous les syndicats d’enseignants à protester. Ensuite, la diffusion massive, sur les réseaux sociaux, de la vidéo d’une conférence de la Directrice générale de l’enseignement scolaire du ministère, Florence Robine. On l’y voit en train de vendre la réforme aux chefs d’établissement de l’Académie de Caen. Or, dans cette conférence, elle met à mal la stratégie de communication « tout sourire » de sa ministre, notamment, lorsqu’à quelques minutes de la fin de son long discours, elle demande en ricanant et en regardant sa montre si elle doit parler des langues anciennes et vivantes ! Pour ne rien arranger, le recteur d’académie émérite, Alain Morvan, fait circuler un commentaire assassin de cette vidéo, dénonçant notamment le profond mépris affiché à l’égard du corps enseignant par la Directrice générale. Cette conférence, dont il était largement question dans la rue, risque bien de nuire aux efforts désespérés du ministère et des recteurs pour recruter des professeurs volontaires à la première session de formation, qui doit commencer le 19 octobre prochain.
Terminons par deux nouvelles pas très réjouissantes pour le ministère, en attendant de voir comment la communication ministérielle tentera d’adapter son discours : Le Conseil supérieur de l’éducation qui avait approuvé la réforme du collège au printemps, a rejeté cette fois-ci la nouvelle version de la réforme des programmes, présentée fièrement par Najat Vallaud-Belkacem. Et, « last but not least », un sondage IFOP/SOS Education, paru le matin de la manifestation, montre notamment que le mouvement de mobilisation des enseignants est approuvé par 63% des personnes sondées, 61%, considérant que la réforme du collège conduira à un nivellement vers le bas.
La société reste attentiste, tout en désapprouvant sur le fonds la réforme. Cette bienveillance de l’opinion pourrait permettre de continuer à mobiliser les différents acteurs de la société civile, les parents d’élèves en premier lieu, autour de l’un des mots d’ordre entendus dans la rue : « Enterrons la réforme avant qu’elle ne nous enterre. »
*Photo : SIPA.00726382_000019
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !