Réforme du collège: les profs contre la pseudo-égalité


Réforme du collège: les profs contre la pseudo-égalité

manifestation réforme du collège(Avec AFP) – Des milliers d’enseignants sont descendus dans la rue cet après-midi, dans une cinquantaine de villes françaises, pour protester contre la réforme portée par Najat Vallaud-Belkacem. Au total, « plus de 50% » des professeurs des collèges publics ont ainsi répondu à l’appel d’une intersyndicale de sept organisations selon le Snes, principal syndicat du secondaire, alors que le ministère de l’Éducation annonçait à peine 27,61%.

Le syndicat précise que les manifestants étaient « plus de 10.000 » à Paris, bien que la préfecture n’en dénombre que 3 500. Se sont exceptionnellement retrouvés côte à côte le Snes-FSU (gauche), le Snep-FSU (gauche), le Snalc (sans couleur politique), FO (gauche), la CGT (gauche), SUD (extrême gauche) et même… Nathalie Arthaud, successeur d’Arlette Laguiller comme candidate de Lutte Ouvrière à la présidentielle. Entre le Luxembourg et la rue de Grenelle, siège du ministère, c’est au rythme du Chant des Partisans remixé par Zebda, et d’Hexagone de Renaud chanté à tue-tête, qu’une foule de professeurs et de parents d’élèves a défilé en arborant des pancartes vantant l’excellence, le mérite et l’égal accès au savoir. Si la musique se voulait de gauche, les paroles étaient indéniablement de droite. Des pancartes et banderoles affichaient des slogans tels que « Tous égaux, tous illettrés », « A Vitry et à Neuilly, un même droit à l’éducation ».

Il n’empêche, le folklore des grandes manifestations sociales était intact, ce qui ne laisse probablement pas d’exaspérer Manuel Valls et Najat Vallaud-Belkacem, adeptes de l’« égalité pour tous »… et de l’élitisme pour personne. Pour minimiser la mobilisation, le gouvernement n’y est pas allé par quatre chemins, comme l’explique Le Figaro : « Prenons un collège lambda comprenant 100 personnels : 50 enseignants font cours ce matin, 30 font grève. Pour le ministère, qui globalise ses chiffres sur l’ensemble des professeurs du collège, on compte donc 30% de grévistes. Mais le syndicat, qui ne prend en compte que les 50 personnes censées travailler ce jour là – et pouvant donc se mettre en grève –, compte en revanche 60% de grévistes. »

Depuis deux mois qu’a été présentée la réforme, le débat public a surtout été porté par les politiques ou des personnalités qualifiées de « pseudo-intellectuels » par Najat Vallaud-Belkacem. De jeunes blancs-becs aussi notoirement incultes que Régis Debray, Michel Onfray, Alain Finkielkraut, Jacques Julliard ou Pascal Bruckner… Plusieurs enseignantes s’étaient confectionnées des bonnets d’âne estampillés « pseudo-intellectuels » pour retourner le stigmate contre leur ministre, poussant l’outrecuidance jusqu’à dérouler une banderole : « EPI : Ecole produisant l’illettrisme ! » Amusant clin d’œil à l’interdisciplinarité que la rue de Grenelle entend imposer aux enseignants en grignotant 20% de leurs heures de cours, ce qui nuira mécaniquement à la transmission des savoirs fondamentaux. « Ces cours n’auront pas de contenu, ils peuvent être bien faits par hasard mais cela risque de donner n’importe quoi », tonne une manifestante.

Ajoutée à l’« autonomie » des chefs d’établissement, l’application de cette mesure autorisera les proviseurs à infléchir les enseignements à leur guise, aggravant les inégalités entre les collèges huppés et défavorisés. Quelle que soit leur étiquette (et leurs divergences réelles sur le projet éducatif), tous les syndicats s’accordent sur ce constat.

Un représentant du Snalc, qui se félicite de la forte mobilisation des enseignants, nous fait part de sa détermination, que partage Force Ouvrière : « Nous sommes prêts à aller jusqu’au blocage du brevet des collèges si la réforme n’est pas retirée ». Pour sa part, la FSU dit réfléchir à « d’autres types de mobilisation ». Pour le Snes, « il est encore temps (…) de reprendre le fil des discussions et de stopper ce qui s’annonce comme un véritable gâchis pour les jeunes, pour nos professions ».

Certains marchaient avec leur dictionnaire de latin sous le bras, une prof s’était même vêtue d’une toge, tandis que d’autres chantaient « Cicéron, avec nous ! » Les profs de latin et grec craignent un effritement de leurs horaires avec la suppression de ces options, remplacées par un enseignement pratique interdisciplinaire. « Plus on décourage les profs, plus les élèves seront démotivés », nous confie une enseignante de collège privé de l’ouest parisien qui affirme défendre « une certaine conception de l’enseignement et de la transmission » : « L’excellence devient un mot tabou. On rejette l’élitisme, résultat : c’est la médiocrité générale. » Plus loin dans le long cortège, une banderole illustre ses propos : « Non à la médiocrité pour tous ».

Même inquiétude chez les profs d’allemand, dont la discipline pâtira, selon eux, de la suppression des classes bilangues (deux langues étrangères dès la sixième, des classes suivies par 16% des élèves de sixième). « Respectons le traité de l’Elysée ! », pouvait-on lire sur une pancarte, en référence aux clauses linguistiques de l’accord entre De Gaulle et Adenauer que nos germanophiles de gouvernants piétinent copieusement.

Une écharpe de la Mannschaft autour du cou, Marie-Thérèse Feuillet, prof d’allemand dans l’Ain, refuse la disparition des classes bilangues. « Je travaille dans un collège rural. Grâce à ces classes, nous avons pu ouvrir nos élèves à un horizon culturel très différent » tandis que la réforme « ne permettra pas de délivrer un enseignement de qualité » en langues étrangères.

Jean-Luc Mélenchon avait malicieusement pointé du doigt le « délire maoïste » d’un gouvernement qui traite l’enseignement latin-grec avec la parcimonie que le Grand Timonier réservait au piano. Des cours de latin dilués dans des cycles pédagos sur les « langues et culture et l’antiquité » aux classes bilangues amputées, le ratiboisage de l’école se poursuit au nom du « pourtoussisme ». Certes, ces coupes sombres font rager les réacs obstinément attachés à la transmission des savoirs, mais à leurs arguments passéistes, Najat Vallaud-Belkacem saura opposer cette belle sentence progressiste : « La quantité est une qualité ! »[1. Phrase que Staline aurait prononcée à la veille de la bataille de Koursk qui vit les milliers de chars de l’Armée rouge faire plier l’armée nazie.]

*Photo : AP Photo/Francois Mori)/XFM101/243788700558/150519183.



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Guerre contre l’Etat islamique: que fait la Turquie?
Article suivant Affaire Zyed et Bouna: Justice pour la police

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération