Probablement initiée par des « scientifiques de l’éducation », des « formateurs » de professeurs, des « formateurs de formateurs », des théoriciens de la pédagogie hors-sol auxquels sont venus prêter main forte un ou deux vrais enseignants ambitieux et forcément progressistes, une pétition pour la défense de la réforme du collège, destinée à soutenir madame le Ministre, s’est constituée il y a neuf mois. Le temps d’une gestation !
Le compteur des signatures s’est mis à tourner fiévreusement : c’est une ministre omniprésente et une communicante implacable de qui on vient à la rescousse ! C’est une réforme ardemment désirée par les parents et les enseignants, portée par une nation enthousiaste et unanime, et impulsée par un Premier ministre impétueux !
L’énergumène pédagogiste (soustrait momentanément à ses recherches en sciences de l’éducation) le thuriféraire du pouvoir, le monomaniaque jusqu’auboutiste de l’interdisciplinarité par quoi le Salut arrivera, tous les rongeurs de prébendes, acquises ou à venir, ont donc tourné dans la roue jusqu’à épuisement des forces pour soutenir la grande cause de la Réforme des Réformes, celle de l’égalité. Résultat des courses : 2822 signatures. Ni plus ni moins.
Tiens ! Académie de Paris, 100 professeurs soutiennent la réforme. Mazette ! Le gros des troupes viendrait-il de l’ancien institut de la recherche pédagogique ? Académie de Caen : 5 professeurs viennent en renfort.
On vous demande d’être charitable et de ne pas rire, là-bas, au fond ! 2822 soutiens TTC (tout trafic compris). D’après une source proche de l’enquête, il y aurait eu trois nouvelles signatures depuis le début des « formatages » de profs : le conjoint de la Directrice de l’enseignement scolaire Florence Robine aurait apporté son vote ainsi que la filleule de Michel Lussault, à la tête du Conseil supérieur des programmes. En tout cas, le plébiscite est là, après neuf mois d’ouverture du bureau de vote : 2822 signatures[1. Pour mémoire, la pétition Bayrou/Ferry/Chevènement avait recueilli plus de 30 000 signatures.].
On fait péter la bouteille de Champomy rue de Grenelle, c’est sûr.
Si vous employez l’expression « pitoyablement ridicule » ou pire, je vous flanque deux heures de colle séance tenante !
Or donc, dans le temps qu’un quarteron de pédagogistes blanchis sous le harnais s’agite dans son bocal et entend bien conserver son influence minoritaire et délétère, des centaines de collectifs de profs de terrain se montent contre cette réforme. La colère et l’exaspération grondent et même rugissent parmi les enseignants de terrain, sur les réseaux sociaux mais aussi dans les établissements. Les parents d’élèves les suivent, hors de toute considération partisane ou associative : il en va de ce que feront à l’école nos enfants et les enfants de nos enfants. « Organisation apprenante » du prêchi-prêcha citoyen et de l’ « employabilité » avec culture low-cost ou école de l’Instruction avec horaires substantiels ? Veut-on changer de paradigme ?
L’un de ces collectifs, les Indomptés-collectif Condorcet, rassemblant des enseignants du primaire, du secondaire, du supérieur, des pseudo-z-intellectuels et beaucoup de parents d’élèves, des gens de bonne volonté lassés par la communication mensongère du ministère, dégoûtés par l’indigence des premières journées de formation à la réforme, inquiets pour l’avenir d’une institution qu’on défait, ont écrit vendredi, une tribune libre sous forme de lettre à François Hollande pour réclamer l’abrogation de la mascarade que constitue la réforme.
Cette tribune (dont les 250 premiers signataires sont représentatifs de l’ensemble du territoire, outre-mer compris) est devenue une pétition nationale. On trouve parmi les signataires un grand éventail de personnes venues d’horizons divers et même un ancien recteur, expert des questions d’éducation et par ailleurs éminent angliciste, que l’enseignement des langues ne doit pas laisser indifférent…Éditeur de Frankenstein et autres romans gothiques dans la collection de la Pléiade, il croyait sans doute tout savoir des apparitions macabres et des créatures monstrueuses, avant d’avoir vu surgir, échappée des antres pédagogistes, l’abominable réforme.
Cette pétition (mise en ligne vendredi 22 janvier) a recueilli… 5000 signatures en quatre jours. Impressionnant !
Quand Le Figaro et L’Humanité publient la même lettre ouverte à Hollande et la même pétition, c’est qu’il est en train de se passer quelque chose de pas ordinaire. On peut le dire : la liquidation de l’école républicaine n’est pas une mince affaire et devrait concerner tout le monde. Beaumarchais et Jaurès demandent l’abrogation…
Dans la vraie école républicaine tous les élèves font la même chose (s’instruisent, en principe…) et ont le même nombre d’heures de cours et le même programme. Cela risque d’être plus compliqué dorénavant, avec la mainmise pédagogiste et à l’heure du « curriculaire », des « compétences » et de l’ « interdisciplinarité ». Il suffit de regarder la carte des bilangues pour s’en persuader.
Cette réforme régressive promeut une « pédagogie » ultra moderne puisqu’elle permet de faire des économies substantielles sur le volume horaire de l’enseignement des fondamentaux, de mettre à l’agonie l’allemand et le latin, de tailler dans les horaires des mathématiques et du français et de rendre les enseignants polyvalents. Les pédagogies ultra modernes se reconnaissent en effet surtout à ceci qu’elles rendent possible la pénurie voire la disette et introduisent de la flexibilité et de la déréglementation. C’est drôle, cela fait tout à fait penser au monde de l’entreprise !… Sauf que là, il s’agit de nos enfants et non pas de la gestion de stocks de petits pois.
La ministre de l’Éducation nationale ose en effet proclamer que sa réforme est destinée à lutter contre les inégalités et renforcer l’apprentissage des langues. La réalité est bien différente. C’est la suppression des classes européennes (sauf pour les familles aisées qui trouveront bien une solution onéreuse), la suppression des classes bilangues (sauf pour les parisiens et ailleurs, selon le bon vouloir des recteurs !) et donc un coup très dur pour l’enseignement de l’allemand.
C’est aussi la diminution des heures de LV2 en 4eme et 3ème. C’est la quasi disparition de l’enseignement des langues anciennes ! C’est enfin la baisse des horaires d’enseignement notamment en français et en mathématiques.
Cette « restructuration » calamiteuse signe la fin de l’universalisme républicain. Elle accélère la baisse de l’offre publique d’instruction. Sur quatre ans un élève pourra perdre jusqu’à 400 h de cours disciplinaires…
Malgré le camouflage par des dispositifs pédagogiques ronflants-pour tromper les parents- et l’abus, jusqu’à la nausée, d’un langage inspiré du management, les parents sont en train de comprendre qu’on va accentuer les inégalités par l’autonomie accrue des établissements et créer des disparités territoriales qui se traduiront par une évasion toujours plus importante des classes favorisées vers une offre marchande et privée (le e-learning, moyennant finances ?) que la demande ne manquera pas de créer.
Portée par une intersyndicale représentant 80% de la profession, les enseignants et parents défilaient mardi en rangs serrés, dans 90 manifestations ! Sur une pancarte parisienne on pouvait lire : Reformatio delenda est.
*Photo: DR.
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