Le train de réformes récemment lancé par la ministre de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem mine clairement les fondements républicains de notre système scolaire. L’exemple de la suppression de l’enseignement du latin et du grec reste en ce sens emblématique : cette option certes coûteuse car dispensée à des petits effectifs permet de reconnaître l’ambition légitime des parents et d’inciter à l’effort et au mérite. Cette considération pédagogique devrait primer sur une logique pseudo-comptable qui se cache derrière un égalitarisme d’État. La baisse (ou la stagnation) du budget alloué aux internats d’excellence accueillant des élèves méritants et ambitieux de milieux défavorisés relève de cette même logique néfaste. Pire encore, dans les établissements ordinaires ou difficiles, on a osé fermer des filières d’excellence dont le recrutement ne se faisait que sur la base du volontariat. Pourtant, ces filières permettaient, en plus du maintien des enfants des classes moyennes, une mixité sociale et – osons le mot ! – ethnique qui s’amenuisent voire disparaissent dans au moins cent collèges de France. Nos gouvernants ont même tenté de supprimer les bourses au mérite ! Sous couvert d’égalitarisme compassionnel, il s’agit bien de fixer les difficultés sociales dans les territoires de ces classes jadis décrites comme dangereuses. Autrement dit, la réforme du collège va conduire inéluctablement à l’enclavement et à la ghettoïsation des établissements des territoires les plus en difficulté. Il s’agit ni plus ni moins d’une assignation à résidence de certaines populations rurales et urbaines qui arrange les services d’éducation et les collectivités publiques.
À l’intérieur de ces territoires périphériques, les services publics – collèges, Caisses d’Allocation Familiales (CAF) – symbolisent la présence de l’État mais n’expriment pas son autorité. Leur fonction est d’assigner à résidence les populations qui dépendent d’eux. Cet « entre soi » social et ethnique arrange aussi les élus à la recherche de clientèles électorales captives. Qu’attendre de ces ghettos ? Quelle ambition nourrir pour ceux qui y sont assignés ? En réalité, l’État déserte ces quartiers en dehors des horaires de bureau. Cette fixation des difficultés et des populations les plus difficiles débouche inévitablement sur une territorialisation des attitudes, des confessions et des revendications. Et l’on en vient à revendiquer ce qui est subi : des menus de cantine confessionnel (c’est déjà le cas dans plusieurs collèges, sans le dire), des créneaux horaires de piscine réservés aux « femmes » (pour ne pas dire aux musulmanes). Là aussi, la ministre a montré la voie en demandant aux directeurs des écoles primaires d’autoriser les femmes voilées à accompagner les sorties scolaires, sans pour autant avoir le courage d’abroger la circulaire Châtel le prohibant. Comment ne pas s’insurger contre le fait d’habituer les petits garçons et les petites filles à ce voile qui tend à devenir la norme ?
Alors que j’enseignais à Marseille il y a sept ans, je fus tentée d’envoyer à la presse des listes de prénoms d’élèves, sans patronyme, pour mettre en évidence l’anomalie et la faute morale qui consiste à laisser se créer des ghettos ethno-religieux. Le collège Versailles, du 3ième arrondissement, ne recevait pas plus d’une vingtaine d’enfants d’origine européenne sur environ 500 élèves. Rappelons-nous ces mères de la banlieue montpelliéraine du quartier du Petit Bard, manifestant en mai 2015 contre l’absence d’« élèves blancs » dans le collège du quartier qualifié de « collège des Marocains » par ceux qui le fréquentent ainsi que par ceux qui l’éviten… Ce collège est fréquenté, en effet, à 90% par des enfants issus de l’immigration nord-africaine. Ces mères réclamaient « plus de Blancs » pour le bien de leurs enfants, de leur intégration et de leur réussite. Ne soyons pas surpris que ce genre de collèges soit déserté le jour de l’Aïd, que le restaurant scolaire soit vide pendant le ramadan. Et pour ceux qui évoquent le choix des élèves, rappelons qu’il existe souvent une pression « harmonisant » les comportements dans un certain sens. Lors du scandale des statistiques ethniques, Robert Ménard, qu’on peut critiquer par ailleurs, a pointé une difficulté réelle : l’absence de mixité ethnique est un fait problématique. C’est une difficulté qui appelle légitimement une réaction et des actions d’un maire.
Le pacte républicain suppose la rencontre de l’Autre et la promotion du commun, c’est-à-dire du politique, loin de l’essentialisme ethnique et religieux. C’est le « Avant le ‘je pense donc je suis’, il y a le après-vous Monsieur » de Lévinas. Mais sur le terrain c’est le moi – d’abord religieux – qui prévaut de plus en plus. Alors que le pacte républicain repose sur la justice, et la reconnaissance et la promotion de la réussite par le mérite et l’effort, la politique d’éducation du gouvernement consacre le repli identitaire et territorial de notre pays.
C’est dans cet abaissement des exigences scolaires pour ces populations que s’enracine la pseudo-autonomie des établissements. L’argument est connu et profondément malhonnête. Sous prétexte de s’adapter aux différents publics au nom d’une école dorénavant « inclusive », le ministère orchestre la sortie de l’École d’un service réellement public. Il inscrit l’École dans des territoires, en collaboration avec les collectivités territoriales qui sont chargées d’élaborer, avec les établissements scolaires, des Projets Éducatifs Territoriaux. L’objectif est clair : que les classes supérieures et moyennes aillent dans le privé subventionné et que les collèges publics occupent les enfants des classes sociales les plus défavorisées.
Les programmes seront de plus en plus laissés à l’appréciation de petits chefs soucieux d’acheter la paix sociale des quartiers car ils seront dépourvus de tout soutien hiérarchique. C’est plus qu’une rupture d’égalité, c’est une attaque en règle contre le modèle républicain. Les établissements sont mis en concurrence, toujours selon cette logique. L’ouverture aux intervenants extérieurs, présentée comme le dernier chic par la ministre, fera entrer les logiques de quartier quand la clôture de l’établissement manque déjà d’étanchéité. Alors même que les prédicateurs ont remplacé, avec la pleine complicité des élus locaux, les « grands frères », combien de temps faudra-t-il attendre avant que des barbus demandent à être reçus comme médiateurs et ne cherchent à intervenir dans les contenus disciplinaires ?
Mme Vallaud-Belkacem, si peu préparée à sa fonction, est la plus perméable aux obsessions misérabilistes des hauts fonctionnaires. Elle s’avère être la ministre de l’Éducation la plus néfaste depuis son compagnon en lâcheté et en accommodement, Lionel Jospin. Elle est enfin, disons-le, l’emblème du misérabilisme compassionnel que le PS professe envers certaines catégories de la population. Derrière cette politique de la compassion, se cache le mépris.
*Photo: Pixabay.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !