Je préfère prévenir : je vais parler de l’heureux temps des colonies — ou tout comme. Et je préviens deux fois : je vais aussi parler des EPI, les enseignements pratiques interdisciplinaires issus de la cervelle fertile de Najat Vallaud-Belkacem, lumières des lumières, élue entre les élus, comme disait Voltaire. Le point fort de cette réforme du collège dont je ne parviens pas à ne pas m’extasier.
Que sont les EPI ? Il s’agit, en cycle 4 (5e, 4e, 3e), à raison de 2 à 3 heures par semaine prélevées sur les enseignements communs (non, non, ce n’est pas du temps perdu, cela a été pensé par Najat Vallaud-Belkacem), « d’une manière différente d’enseigner les disciplines traditionnelles ». À savoir le français, les langues vivantes, l’EPS, les arts plastiques, les maths, l’histoire-géographie, les sciences de la vie et de la terre, la physique-chimie et la technologie. Bref, à peu près tout — sauf le latin et le grec, qui ont disparu dans la réforme initiée par Najat Vallaud-Belkacem, sottise et bénédiction — disait encore Voltaire.
Oui, mais encore ? J’ai entendu, çà et là, des propositions ingénieuses. Un formateur estampillé Education nationale a ainsi suggéré ce joli thème transversal Lettres/SVT : « Madame Bovary mangeait-elle équilibré ? Vous analyserez le menu proposé à son mariage, en expliquant en quoi ce sommet de la gastronomie normande ne satisfait pas les exigences d’une alimentation respectueuse de l’environnement. »
Les EPI sont la dernière trouvaille du ministère pour empêcher les élèves d’apprendre
J’ai moi-même fait quelques suggestions naïves qui, curieusement, n’ont pas renforcé ma cote d’amour rue de Grenelle. Qu’importe, ma passion pour Najat Vallaud-Belkacem, qui sait si bien remettre à leur place les salafistes de service, n’en sort pas amoindrie.
Evidemment, les EPI sont la dernière trouvaille du ministère pour empêcher les élèves d’apprendre quoi que ce soit de sérieux. Un projet monté par deux ou trois profs (par les temps qui courent, il faut se gratter pour trouver trois profs favorables à la réforme dans le même établissement) visant à faire perdre leur temps aux élèves, dans la pure tradition des délires pédagogiques des enfants de Meirieu.
À noter que des vrais pédagogues, il y a déjà plus d’un demi-siècle, s’amusaient à faire tout seuls des enseignements pratiques interdisciplinaires. Un heureux lecteur de Bonnet d’âne, que je salue au passage, a attiré mon attention sur le Collège de la Sainte Famille, installé au Caire depuis les années 1870 — et qui y est encore (ainsi nommé parce que dans ses murs se trouve un arbre qui a abrité de son ombre Joseph, Marie and Little Jesus lors de la fuite en Egypte — ben oui, il n’y a pas que l’islam dans le Machrek).
Dans les années d’avant et d’après-guerre donc, le professeur de latin, Antonio Pekmez, dit Picfesse (sic), avait monté un EPI — l’heureux jésuite ignorait que cela s’appelât ainsi, mais il n’avait pas rencontré Najat Vallaud-Belkacem — sur la guerre des Gaules pour apprendre le latin à ses élèves : et non, ils n’étaient pas tous blancs, ni chrétiens, et ils ne le sont toujours pas, parce qu’islamistes ou non, les jésuites restent en place, d’autant que maintenant ils ont l’un des leurs installé à Rome. Bref…
En classe de 6e, nous apprend l’un des anciens élèves dudit collège (aujourd’hui éminent oncologiste à la retraite — le collège a nourri les études de quelques gloires), les bambins avaient déjà été partagés en Patriciens et Plébéiens — afin de reconstituer sans doute les affrontements qui ont vu mourir les Gracques. Et en 4e donc, ils furent redistribués en Romains et Carthaginois — afin de maîtriser les guerres puniques. Lequel d’entre eux joua « le chef borgne monté sur l’éléphant Gétule », comme disait Heredia ?
Et comble de l’EPI, ils recréèrent sous la férule amicale du maître les fortifications d’Alésia — « pour mieux étudier le De bello gallico ».
Résultat ? « C’est en grande partie grâce à lui que, bien longtemps après, nous avons passé les épreuves de latin du bac les doigts dans le nez », ajoute Robert Moens, que j’en profite pour saluer à son tour.
Voilà : on n’a pas besoin de solliciter deux ou trois enseignants pour intéresser les élèves. Et on peut s’amuser en latin, en parlant latin, en apprenant le latin. Comme Mr Chips apprenait en souriant à ses élèves la loi Canuleia, qui autorisait Mr Patrician à épouser Miss Plebs. « Mais je ne peux pas rayer les EPI de ma réforme ! » dit Mme Vallaud-Belkacem. « Oh yes you can, you liar… »
Tout est question de pédagogie — la vraie, celle qui prend l’élève là où il est et qui l’élève au plus haut de ses capacités. Et qui permet à de petits Cairotes de devenir médecins, architectes, écrivains, militants tiers-mondistes, journalistes au Monde du temps où c’était le journal de référence, diplomates de haut vol, Secrétaire général de l’ONU, et j’en passe.
Mais les collégiens gérés par Najat Vallaud-Belkacem, grâce à la réforme qu’elle met en place, seront sans doute bien mieux que tout cela. Ministres de l’Education en France, par exemple — un métier pour lequel on n’exige ni latin, ni grec, ni compétences.
Jean-Paul Brighelli, pur élève de l’enseignement public français, laïque et républicain.
* Photo : SIPA.00738858_000010.
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