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Le nouveau bac, diplôme pour une pensée unique?

Fin des filières, grand oral et culture gé laissent craindre une uniformisation de la pensée


Le nouveau bac, diplôme pour une pensée unique?
Des lycéens regardent les résultats du bac dans un lycée lillois en 2012. SIPA. 00640311_000006

Suppression des filières, grand oral et culture gé: la nouvelle formule du bac laisse craindre une uniformisation de la pensée.


Pourra-t-on encore appeler, comme dans une série télévisée réputée, les professeurs préparant avec rigueur leurs élèves au baccalauréat, « Terminator » ? La question se pose depuis que la « terminale » est menacée par la prochaine réforme du bac.

La « terminale », c’était l’eldorado du cancre, le rêve inatteignable du rebelle qui, de redoublement en exclusions, de « colles » en cours de rattrapage, désespérait d’aborder enfin ses rives. Terminale, tout le monde descend !

Notre ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, propose à la place : classe de « maturité ». On ne pourra donc même plus sourire de ces adolescents boutonneux, belges ou suisses, affirmant contre toute évidence qu’ils atteignaient la « maturité ». De plus, cette nouvelle dénomination est triste, car après la maturité qu’y a t il ? La vieillesse ! Cela évoque celle de certaines provinces du Canada où les écoles secondaires sont nommées « senior high school ». Notre terrible époque a déjà tendance, sur le marché du travail,  à considérer comme « senior » celui qui a passé trente-cinq ans. Alors « senior » à 17/18 ans ! Mais cette réforme pose d’autres questions.

La « terminale » était un commencement

La première est quasi métaphysique, voire philosophique, touchant en tout cas à la psychologie collective. Les autres pays d’Europe, même s’ils avaient donné un autre nom à cette ultime année du secondaire, la ressentaient bien comme la dernière, puisque la numérotation établie à l’étranger va de la première classe, celle qui suit le « jardin d’enfant », à la onzième, douzième ou treizième, selon l’âge de départ fixé pour le marathon scolaire.

Les Français, splendidement dédaigneux d’une rationalité qu’on leur prête à tort depuis Descartes, tout en l’appelant « terminale » font bien de cette classe un début – et non une fin – puisqu’elle succède à la classe… de première ! La numérotation des classes, après l’école primaire, « remonte » en effet chez nous de la sixième à la terminale. La Belgique, qui avait transposé notre système, y a renoncé en 1975.

A lire aussi: Réforme du bac: retour vers le futur !

La seconde question que pose cette réforme est pédagogique. Sorte d’Apothéose après l’arrivée au bout du marathon scolaire, la « terminale » fut un temps dite classe de « rhétorique ». Elle préparait, par l’introduction de la philosophie notamment, à l’entrée à l’Université, domaine de l’abstraction théorique par excellence, qui donnait les bases d’une  pratique qui s’apprenait dans la profession elle-même en droit, dans l’enseignement des lettres ou en médecine. Sage précaution, qui évitait le travail d’initiation fait aujourd’hui par les professeurs de l’enseignement supérieur à l’aide de travaux dirigés de « méthode », souvent instaurés après une hécatombe particulièrement meurtrière des étudiants de première année de licence et le plus souvent abandonnées l’année suivante faute de succès tangibles.

Le « bac français », qui marque la fin de la « première » depuis 1969 en France, est du reste le reflet de cette dissociation voulue entre classe de fin d’études d’abord – la « première » – puis classe préparatoire à des études longues. Il y a un consensus, presqu’une coutume, qui transcende les cultures nationales : celle de considérer qu’à 16 ans – âge souhaité en fin de première – l’élève est assez « mur » précisément, pour saisir des concepts mobilisant certes les connaissances accumulées mais aussi les aptitudes que donne une tête non seulement « bien pleine »  mais surtout « bien faite » telle que la souhaitait Michel de Montaigne.

Les filières du bac, gardiennes de la différence

Mais, pour que cette « terminale » ou quel que soit son nom permette de préparer aux études supérieures, encore faudrait-il ne pas supprimer les filières. Nous sommes encore nombreux à avoir passé le bac entre 1969 et 1983, à une période où être en troisième A1 voulait dire être des littéraires purs et durs (Français, latin, grec) par rapport aux A2 (latin, langues), et où être en « C » était être un potentiel Cédric Villani.

Ces filières faisaient de notre parcours de fin d’études un chemin de lys et de roses. Nous préparions en effet nos bacs, avec la paisible certitude de ne pas avoir à démontrer notre aptitude avec des matières pour lesquelles nous n’avons aucune disposition et vers lesquelles ne nous portait aucun élan amoureux.

Enfin ce choix d’orientations précoces répondait aux divisions instaurées dès 1808 par Napoléon, elles correspondaient aux divisions universitaires.Cette porosité, dont on regrette aujourd’hui l’absence, entre le secondaire et le supérieur était bien réelle puisqu’il y avait au XIXe siècle suffisamment peu de candidats pour que les professeurs de l’université fassent eux-mêmes passer les épreuves, comme on le voit dans Le Bachelier de Jules Vallès. Seul vestige de cette époque, probablement destinée à disparaître, le président du jury du baccalauréat est obligatoirement, encore aujourd’hui, un enseignant universitaire. Supprimer les filières générales L, S et ES, pour les remplacer par un « tronc commun » aboutit donc à dissocier plus encore le secondaire du supérieur, le lycée de l’Université. En faire un fourre-tout sans connexion avec l’Université sur lequel il est censé ouvrir n’est pas un service à rendre, ni  à ceux qui l’auront obtenu sans savoir que certaines études leur sont de fait interdites, ni à l’économie d’universités qui tendent à l’autonomie financière et dont les amphis sont construits pour 500 ou 1 000 étudiants de première année. Effectifs qui diminuent des deux tiers l’année suivante !

Il plane enfin quelques inquiétudes sur deux autres nouveautés, l’épreuve de « culture générale « et le « grand oral ».

La « culture générale » et le « grand oral », un conditionnement mental

A travers la culture générale, matière qui n’en est pas une, il est facile de pénaliser par une mauvaise note le candidat – en général tributaire à cet âge de sa culture familiale – dont l’originalité, par rapport à la doxa, « dépasse les bornes » et qui de ce fait a « franchi la ligne jaune » aux yeux du jury potentiellement formaté qui le juge. Ces matières imprécises commencent par être laissées aux bons soins de chaque enseignant mais sont ensuite uniformisées par des questionnaires à choix multiples (QCM) – seul recours des enseignants pour ne pas avoir à lire des centaines de copies de six pages -, ce qui n’est pas sans rappeler la critique faite au système japonais, adepte précoce du QCM et de ces matières qui « apprennent à penser ». Comme l’écrit Edwin O. Reischauer dans son Histoire du Japon et des Japonais : « l’école indiquait aux jeunes ce qu’il fallait penser. Elle formait des sujets dociles acquis à l’orthodoxie officielle (…). Le Japon a le triste privilège d’avoir été le premier pays au monde à utiliser les techniques totalitaires de conditionnement mental et à transformer l’école en instrument du Pouvoir. »

Il en va de même du « Grand oral ». Déjà, la « lettre de présentation » des candidats instaurée en 2012 rappelait fâcheusement l’épreuve sur dossier qui a malencontreusement remplacé dans le concours d’agrégation des facultés de droit l’épreuve écrite anonyme qui rendait le candidat admissible à passer le concours. Lettres de présentation, épreuves sur dossier ou grand oral sont des épreuves subjectives qui permettent d’écarter non pas seulement ceux qui n’auraient pas de notes assez brillantes, mais ceux dont un article de jeunesse ou un épisode scolaire antérieur révélerait opportunément une opinion dissidente avec la doxa du jour – car les sciences hélas n’évitent pas ce piège.

Un risque d’uniformisation de la pensée

Cela est d’autant plus grave que la même idéologie qui ne veut voir qu’une seule tête en généralisant le « tronc commun » veut aussi obstinément, depuis que Lionel Jospin l’a déclaré publiquement en arrivant au ministère de l’Education nationale en 1988, « donner le bac à tout le monde » : à 91% des candidats qui ont désormais leur bac général, on y est presque !

Alors bien sûr, certains y échappent. Si la quasi totalité des candidats l’ont, il s’agit en réalité de  37% d’une classe d’âge. Bacs pro et techno en poche ou décrocheurs dès l’âge légal de la fin de l’obligation scolaire, ils deviennent parfois comme Fabrice Lucchini, Gérard Depardieu, Sacha Guitry, Georges Brassens ou le géneral Bigeard des esprits rebelles, qui tiennent à s’affranchir des idées obligatoires de leur époque et à le faire savoir.

Cela ne nous consolera pas cependant de ce risque immense d’uniformisaton de la pensée. Comme l’a souligné un esprit libre, celui de Nathalie Loiseau, ministre des Affaires européennes lorsqu’elle était  directrice de l’ENA, elle touche en priorité ceux qui du bac passeront aux grandes écoles ou aux universités, c’est a dire les dirigeants de demain.

Monsieur le ministre de l’Education nationale, de grâce, entre deux réunions de concertation sur la future réforme, prenez le temps d’aller lui demander son avis. Afin de revoir votre copie…

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