Il fut une époque où l’identité ne sortait jamais sans sa pièce ; dans le meilleur des cas, celui qui vous la demandait était un employé des Postes. Maintenant, elle traîne dehors en permanence, c’est à se demander si elle a un toit.
Noirs, juifs, demi-Noirs, demi-juifs, musulmans, Arabes, Arméniens, Corses, Céfrans, Souchiens, Rebeus, Renois, les races et les couleurs fâchent toujours, même pudiquement périphrasées d’identité.[access capability= »lire_inedits »]
Sur-débattue, nationalisée à 100%, devenue une obsession, un parti bien pris, l’identité est partout mais son taux d’occupation politique, médiatique et mental n’apporte aucune réponse, et le clivage droite dure /gauche molle n’éclaire plus la question depuis longtemps.
L’expression par excellence de l’assimilation
La Question métisse, de Fabrice Olivet, prend l’identité par les parties, donne un passeport pour la réfléchir et éclaircit ce mot qui rend tout si complexe dès qu’il est prononcé. Son auteur est métis ! Comme Julien Clerc, Montebourg, Picouly, Dieudo, Fabrice Éboué, Kader Merad, Tsonga et Parker. On est un Noir ou un Blanc avec majuscule mais un métis en minuscule ! Petite cruauté orthographique et exotisme tendance se conjuguent pour effacer cette identité complexe qui est pourtant l’expression par excellence de l’assimilation. « Être génétiquement situé à la fois dans le camp des bourreaux et dans celui des victimes préserve d’avoir à expier les crimes de ses ancêtres », explique Olivet en nous accompagnant à la frontière des identités, là où on a une chance de les voir !
Cet ancien prof d’histoire est en colère : « La France est le pays qui a le plus œuvré pour bâtir un monde sans frontières, sans races et sans religions. Pourquoi baisse-t-elle la tête comme un coupable qui saurait à l’avance que ces histoires d’Arabes, de Noirs, de juifs allaient forcément lui être comptées en débit ? » À ceux qui aiment battre leur coulpe sur la poitrine de la nation entière, Olivet rappelle quelques vérités historiques. Bien avant la Révolution et malgré le puissant lobby des colons, il suffisait à l’esclave noir de poser le pied sur le sol et de crier « France et liberté ! » pour devenir un « sujet à part entière » − ce qui, malgré l’oxymore, est une victoire de la liberté.
Le 16 pluviôse an II (4 février 1794), la Convention montagnarde décrète l’abolition de l’esclavage, quatorze ans avant les Britanniques, et soixante-dix longues années avant les Américains. N’oublions pas que, le 24 septembre 1793, Jean-Baptiste Mills était devenu le premier député noir de l’histoire de France, suivi par Belley, élu de Saint-Domingue. « Ah quel beau jour foutre, celui où l’on a vu un Africain et un mulâtre prendre séance à la Convention ! », s’exclamait le père Duchesne à l’aube de cette diversité.
Franchissons les siècles à l’arrache pour observer que, si le général de Gaulle avait succombé dans l’attentat du Petit-Clamart, la France aurait été, cinquante ans avant l’Amérique d’Obama, le premier pays occidental dirigé par un Noir, Gaston Monnerville, descendant d’esclaves émancipés en 1791.
«Sans distinction de peau, d’origine, de culture ou de religion»
Il est vrai que Napoléon ramena pour un temps la domination ségrégationniste. Reste que l’idéal universaliste forgé à travers les âges a résisté, jusqu’à nous, déjouant les difficultés et les ambiguïtés de son utopie. Seule la France a eu l’audace de travailler pour l’humanité tout entière, avec cet orgueil un rien suffisant présent tout au long de la colonisation (nous y exportons cet homme universel… qui se trouve être nous !) mais finalement tellement plus dynamique et curieux que le fameux respect des Anglo-Saxons pour les « communautés », cache-sexe d’un sentiment d’indépassable supériorité et de pas mal de cynisme mercantile.
Les jeunes Français issus de l’immigration peinent à s’identifier à leurs ancêtres les Gaulois ? Olivet leur rappelle l’histoire des Dumas, le grand-père mulâtre de Saint-Domingue, premier général d’origine afro-antillaise de l’armée française, qui fit tant pour la Révolution et inspira à son fils, Alexandre, le personnage de d’Artagnan ! Et Toussaint Louverture, ce Napoléon en mieux et en noir ! Et Félix Éboué, rue de banlieue et place parisienne, certes, mais surtout petit-fils d’esclave devenu gouverneur de l’Afrique équatoriale française en 1940, qui délaisse Vichy pour rejoindre le Général. « Du chevalier de Saint-Georges à Senghor, notre histoire regorge de figures de blacks et de beurs ni chanteurs ni sportifs, à ressortir d’urgence en grande pompe. Avec eux, une foule d’anonymes se sont battus pour intégrer le nouvel espace ouvert par la Révolution française avec cette foi dans l’idée que seul le citoyen doit être jugé, interpellé, récompensé ou puni, sans distinction de peau, d’origine, de culture ou de religion. » Malgré les chapitres moins glorieux et les rendez-vous manqués, l’idéal assimilationniste ne saurait être réduit à la somme de ses échecs.
Alors, ce débat mal embouché problématise à mort le choc des identités. Mais dans les faits, un Français d’origine maghrébine a peut-être mieux sa place dans sa nation qu’un Allemand d’origine turque dans la sienne, voire un Anglais d’origine pakistanaise outre-Manche.
Championne des mariages et unions mixtes, la République de France a permis à l’auteur de rester métis sans avoir, pour survivre, à choisir une communauté de référence. Aussi reste-t-elle « l’outil inégalé et irremplaçable pour atténuer et résoudre les difficultés intercommunautaires. Le métissage inverse les pôles de la haine raciale; amour et plaisir contre haine et violence. »
Agacé, néanmoins, par l’idéalisation de sa « piquante » identité, Olivet déplore que la haine de soi qui a longtemps sévi chez les Noirs se déploie aujourd’hui chez les Blancs.
Et moi, au fait, avec mon inquestionnable identité de Visage pâle 100% breton des deux bords, j’avais perdu de vue, derrière la polémique, à quelle point elle constitue chacun d’entre nous. « L’identité ! ? Y’a ceux qui la cherchent et ceux qui lui cherchent des poux », dit la brève d’un comptoir. La Question métisse est à mettre d’urgence entre toutes les mains pour que l’on puisse encore concevoir l’altérité comme une chance, ou au moins comme une opportunité.[/access]
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